Plus de 800 entreprises publiques économiques (EPE/SPA) ne devraient plus être en droit de poursuivre leurs activités si le droit commercial algérien en vigueur leur était rigoureusement appliqué. Un haut responsable du ministère de l'industrie, qui a requis l'anonymat, nous apprend qu'une évaluation faite par un bureau d'études et de conseil dépendant de son département ministériel avait en effet estimé, à la fin de l'exercice 2009, à environ 820 le nombre d'unités publiques économiques présentant un actif net négatif qui les voue à la dissolution, si l'article 715 du code de commerce en vigueur venait à leur être scrupuleusement appliqué. La disposition en question stipule effectivement que «si du fait des pertes constatées dans les documents comptables, l'actif net de la société devient inférieur au quart du capital social, le conseil d'administration concerné est tenu dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l'assemblée générale extraordinaire à l'effet de décider, s'il y a lieu, la dissolution anticipée de la société». La nécessité de mettre impérativement fin à l'activité des sociétés en cessation de paiement imposée par le code de commerce s'explique par le souci d'éviter aux fournisseurs et autres créanciers des sociétés déficitaires de subir les conséquences de leur insolvabilité. Ce n'est, à l'évidence, pas cette voie pourtant toute tracée par la législation algérienne en vigueur qu'a choisie de suivre le gouvernement algérien qui, depuis ces cinq dernières années, permet à ce type d'entreprises de poursuivre leurs activités en dépit de leurs irrémédiables déstructurations économiques et financières. Incapables d'assurer le financement de leur exploitation au moyen de leurs propres ressources, ni même par celles des banques qui refusent de leur avancer des capitaux, ces entreprises publiques, relevant toutes de la sphère concurrentielle marchande, s'enfoncent alors chaque année davantage dans les eaux troubles du surendettement avec, au bout du compte, d'énormes dettes que l'Etat propriétaire devra, d'une manière ou d'une autre, éponger avec l'argent du contribuable. Et l'on imagine l'importance de l'ardoise que laisseront ces 830 EPE en faillite lorsque force reviendra nécessairement à la loi qui ordonne, on ne peut plus clairement, de dissoudre ce type d'entreprises avant qu'elles ne constituent un danger pour leurs créanciers. On se pose alors la question de savoir si les entreprises, qui fournissaient ou détenaient des créances dans ces EPE insolvables, ne courent pas à leur tour le risque d'être entraînées dans la spirale du déficit en conséquence de l'incapacité de ces sociétés à les payer. Une inquiétude que, du reste, corroborent les chiffres révélés par ce même bureau d'études et conseil du ministère de l'Industrie qui fait état de plus de deux cent cinquante autres EPE dont la valeur de l'actif net s'est considérablement détériorée au point de constituer, à terme, un péril pour leur existence. Nous avons, quant à nous, eu vent de nombreuses sociétés privées de bâtiment et travaux publics, sous-traitantes d'entreprises publiques qui ont déclaré faillite parce que ces dernières n'étaient plus en mesure de payer leurs prestations. 250 milliards de dinars de dettes Autre effet pervers engendré par cette poursuite illégale d'activité accordée à ces centaines d'EPE en cessation de paiement : leur incapacité d'honorer des dettes fiscales, parafiscales et sociales évaluées, aujourd'hui déjà à plus de 250 milliards de dinars. Alors que le but primordial assigné aux entreprises est de créer de la richesse, voilà que l'Etat les autorise à provoquer exactement le contraire, à savoir l'appauvrissement du pays ! Nous ne reprochons évidemment pas au gouvernement d'avoir laissé ces entreprises poursuivre leurs activités (il en a le droit en tant que propriétaire), mais de l'avoir fait sans avoir pris le soin de leur donner les moyens financiers requis pour travailler dans de bonnes conditions. Les lois de finances de ces deux dernières années ont effectivement dégagé d'importantes ressources financières destinées à l'assainissement de certaines d'entre elles, mais outre le caractère très bureaucratique des remises à flots prévues, l'écrasante majorité des 820 entreprises en difficulté ne pourra, pour diverses raisons, pas bénéficier de cette action de sauvetage de l'Etat qui sera essentiellement destinée aux grandes entreprises structurantes. Qu'adviendra t-il alors de toutes ces EPE, sans valeur stratégique auxquelles on vient de fermer toute possibilité de sortie de crise, puisqu'elles n'ont, en tant qu'entreprises insolvables, pas droit aux crédits bancaires, que leur privatisation n'est plus à l'ordre du jour au regard de certaines dispositions de la loi de finance complémentaire pour l' année 2009 et leur participation aux compétitions commerciales d'emblée compromise par leur incapacité à verser les cautions et autres retenues de garanties exigées par les clients comme préalable à l'octroi de contrats commerciaux. Les 820 EPE maintenues en activité en dépit de leur situation de faillite n'ont donc objectivement aucun avenir, quand bien même, l'Etat continuerait à imposer d'autorité la poursuite de leurs activités. Elles ne pourront, dans le meilleur des cas, servir que de «crèches pour adultes» à des milliers de travailleurs auxquels l'Etat ne peut, dans les conditions économiques présentes, assurer l'embauche dans des entreprises viables. L'hérésie juridique que constitue le maintien en activité de ces milliers d'EPE en faillite à laquelle nous assistons a donc de bonnes chances de perdurer encore longtemps en dépit de la très lourde ardoise, que l'Etat et par conséquent les contribuables devront assumer.