Sur fond de restructuration du secteur public économique, le gouvernement algérien s'apprête à opérer un nouvel assainissement financier au profit des groupes industriels appelés à encadrer près d'un millier d'entreprises à capitaux publics. Il s'agit de la cinquième réorganisation du secteur économique étatique en l'espace de vingt ans (fonds de participation, holdings publics, méga-holdings et SGP) chacune ayant été, on s'en souvient, accompagnée de coûteux assainissements financiers qui n'avaient, en définitive, servi à rien, sinon à différer la mise en faillite de ces sociétés, pour la plupart insolvables. Le prochain redéploiement, présenté comme la panacée pour la résolution miraculeuse de tous les problèmes inhérents à la gestion des actifs publics, consistera à affilier plusieurs dizaines de sociétés à capitaux publics à treize entreprises de groupes (holdings), pour la plupart créées dans les années 1970 et 1980 et transformées pour la circonstance en Etablissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). L'assainissement financier dont bénéficieront douze d'entre elles est pour le moins colossal et la question qu'on peut se poser d'emblée est de savoir s'il sera le dernier. Le Trésor a, en effet, décidé de leur consacrer pas moins de 333 milliards de dinars pour geler leurs énormes découverts bancaires estimés à environ 110 milliards de dinars et contribuer pour un peu plus de 200 milliards au financement d'une bonne part de leurs investissements. On constatera tout de même qu'en dépit de l'importance des capitaux dégagés, l'assainissement financier envisagé ne prend pas en charge les lourdes dettes que ces vieilles sociétés nationales traînent comme un boulet depuis leur passage à l'autonomie, au début des années 1990. Les frais financiers générés par ces dettes continueront donc à les handicaper, compromettant pour certaines d'entre elles toute chance d'équilibre financier durable. On se pose alors la question de savoir pourquoi le gouvernement algérien a, cette fois encore, opté pour ce type de remise à flot aussi ruineux qu'inutile, étant bien conscient que les effacements périodiques d'ardoises sans traitement préalable des véritables causes de leurs déstructurations financières n'est pas du tout la solution qui convient. Et le sobriquet de « champions » donné à ces groupes pour mieux faire avaler la pilule ne saurait occulter que ces entités, comme du reste toutes les entreprises économiques à capitaux exclusivement publics, portent en elles certaines tares congénitales qui les prédestinent à l'échec. Il y a d'abord le fait que ces « champions » seront à capitaux exclusivement publics, même si la possibilité d'y admettre, à certaines conditions, d'autres partenaires est prévue, et l'on sait par expérience que ce qui appartient à l'Etat appartient à tout le monde et par conséquent à personne. Sans propriétaire « physique », ces entreprises économiques (à ne peut confondre avec les entreprises de service public) ne pourront, nous en sommes convaincus, jamais être managées comme d'authentiques firmes autonomes soumises à l'obligation de résultats. Ces groupes publics, qui fonctionneront sur le modèle des précédentes sociétés nationales, continueront, comme par le passé, à être gérés par des dirigeants aux ordres des tutelles ministérielles et autres cercles du pouvoir, l'obligation de résultats consistant à appliquer docilement les injonctions de leurs donneurs d'ordres. Il faut également savoir que ces groupes appelés à devenir des champions sont pour la plupart de vieilles entreprises publiques traînant de nombreux archaïsmes dont les managers ne souhaitent, pour diverses raisons, pas se départir. Reprenons à notre compte une formule du président du groupe Cevital, Issad Rebrab, prononcée à l'occasion du forum Reage qui s'est tenu récemment à Paris : « On ne peut pas faire des champions avec des vieux ! » On se pose alors la question de savoir si tous ces capitaux alloués à l'assainissement financier de ces entreprises dont on n'a pas pris la peine de réformer préalablement la nature de la propriété et le mode de management n'auraient trouvé meilleur usage dans le financement de la nouvelle économie avec, à la clé, des aides financières aux petites et moyennes entreprises privées ayant des chances d'exporter, dans le développement des technologies de l'information et de la communication, dans la recherche-développement et autres activités favorisant les mutations systémiques bénéfiques pour le pays. En optant pour ce type de restructuration du secteur public économique avec reconduction des assainissements financiers, le gouvernement algérien ne fait en réalité que reconduire la vieille économie et toutes les tares structurelles qui la caractérisent, compromettant cette fois encore l'émergence d'une nouvelle économie portée par un secteur privé dominant, adossé à des appareils de formation performants et à des partenariats multiformes, notamment avec les universités et centres de recherche.