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«La flagrance fiscale, une nouvelle arme pour lutter contre la fraude»
Djamel Djerad. Commissaire aux comptes
Publié dans El Watan le 20 - 09 - 2010

-Sur le plan fiscal, pouvez-vous résumer les nouveautés apportées par cette LFC 2010 ?
On peut citer le règlement de l'IBS et IRG et acomptes provisionnels sans attendre l'avertissement préalable, la flagrance fiscale, la publication des ressources du Comité olympique et des fédérations sportives et la réaffirmation du droit de préemption de l'Etat et des entreprises publiques sur la cession des actions détenues par des étrangers. Il y a aussi le droit de l'Etat de reprendre les actifs des entreprises privatisées mais non gérées par le personnel auquel elle a été cédée. Tout le monde sait que des travailleurs rentiers avaient bénéficié des dispositions préférentielles de la cession de leur entreprise et l'ont cédée ou louée à des tiers non salariés en dehors de toute légalité. Sur un autre plan, il a été institué une taxe sur le blé importé à un prix inférieur au prix de régulation.
Tout le monde sait que des commerçants indélicats achètent auprès des importateurs de blé à un prix inférieur à celui de la régulation et le mélange au blé algérien et obtiennent ainsi un profit substantiel de la subvention de l'Etat. D'autre part, il a été décidé la taxation des véhicules particuliers des entreprises. En effet, les charges d'amortissement des véhicules particuliers des entreprises sont plafonnés à 800 000 DA et pour la détermination du bénéfice fiscal il y a lieu de réintégrer la différence du montant de l'amortissement pratiqué sur les véhicules dont la valeur d'acquisition est supérieure au plafond fixé. Ce qui est nouveau c'est une taxe supplémentaire non déductible du bénéfice applicable sur les véhicules particuliers dits «de luxe».
Cette taxe permettra aux entreprises de mieux réfléchir sur une dépense d'investissement pareille. On peut aussi relever que désormais les actes authentiques relatifs aux entreprises publiques seront exclusivement établis par l'administration des domaines. En effet, suite à la révision du barème des honoraires des études notariales, il s'est avéré que ceux-ci étaient exorbitants compte tenu du niveau du capital souscrit. Enfin, les cahiers des charges des appels d'offres internationaux doivent prévoir l'engagement d'investir dans le domaine en Algérie dans le cadre d'un partenariat. Il faudra attendre le texte d'application de cette disposition pour mieux appréhender sa faisabilité et les domaines concernés, etc.
-On parle de flagrance fiscale, pouvez-vous expliquer son intérêt et son implication pour les opérateurs économiques ?
Avant la LFC 2010, l'administration fiscale ne pouvait intervenir qu'après la remise de la déclaration fiscale du contribuable, mais avec cette nouvelle procédure de «flagrance fiscale», elle peut intervenir dès qu'une opération frauduleuse est constatée. Il s'agit d'une nouvelle arme fiscale pour lutter contre la fraude fiscale et surtout le risque de non recouvrement de recettes fiscales. Il est clair que le fisc dispose actuellement d'une panoplie de moyens pour procéder au recouvrement de ses droits (vérification comptable, droit de visite et de saisie, droit d'enquêtes, droit d'information par les tiers, imposition d'office,…) mais il ne peut réagir rapidement face à des entreprises ou des commerces éphémères ou qui organisent leur insolvabilité et prononcent des liquidations anticipées.
En effet, avant la LCF 2010, un temps plus ou moins long peut s'écouler entre la remise de la déclaration fiscale par le contribuable et le délai de contrôle de cette déclaration et la décision d'intervention sur place ou sur pièces. C'est ce temps que les contribuables indélicats mettent à profit pour commettre toute sorte de fraudes et évasions fiscales que le fisc ne peut contrôler qu'après la déclaration de la période considérée et il est en général trop tard, parce que le contribuable a procédé à la liquidation anticipée. De là, la LCF 2010 donne le droit au fisc de procéder au contrôle anticipé d'opérations effectuées par le contribuable avant qu'il n'en fasse la déclaration dès que des irrégularités sont constatées telles que la fausse facturation, l'utilisation d'un logiciel de comptabilité ne répondant pas aux critères définis par le décret exécutif 09-110 du 7 avril 2009, des activités commerciales illicites, la non- déclaration des travailleurs, etc. Le fisc établit dans ce cas un «procès-verbal de flagrance» qui lui permettra de procéder à la saisie conservatoire sans autorisation préalable du juge et en l'absence de titre exécutoire par dérogation aux dispositions du code civil et procédures administratives ainsi que l'application d'amendes fiscales.
-A quoi répond-elle la réactivation de la Cour des comptes ?
Lorsque la Cour des comptes a été instituée en 1980, son champ d'application couvrait aussi la gestion des entreprises publiques. Les réformes de 1988 l'en avait exclu dans la mesure où il était question d'affirmer l'autonomie de gestion mais en renforçant le contrôle de ces entreprises publiques par leur conseil d'administration, le commissaire aux comptes et l'assemblée générale in fine. Il semble que ces organes qui ont une responsabilité civile et pénale n'auraient pas joué leur rôle de contrôle a priori et a posteriori de certains actes de gestion et certaines opérations financières qui aurait «poussé» les pouvoirs publics à «réactiver» non seulement la Cour des comptes mais aussi l'IGF qui en était exclue après 1988. D'ailleurs, le législateur a aussi revu les obligations des commissaires aux comptes dans le cadre de la loi n° 01-10 du 29 juin 2010.
-Pouvez-vous expliquer la mesure qui concerne le prélèvement sur les entreprises étrangères, en guise d'application de la réciprocité ?
La LFC 2010 vient combler un vide juridico-fiscal relatif à certaines charges que des entreprises comptabilisaient sans limitation du montant et que l'administration fiscale ne pouvait vérifier convenablement notamment les redevances de cession ou concession de licence, brevets, marques, procédés et formules de fabrication dont l'évaluation peut-être effectuée par l'entreprise elle-même en intra et donc surévaluer la valeur à transférer à l'étranger. Donc, cette disposition oblige l'entreprise concernée à justifier l'évaluation et les montants comptabilisés en charge. La disposition prévoit que cette obligation de justifier l'évaluation et l'utilisation du droit n'est pas applicable pour les entreprises ayant leur siège dans un Etat ayant signé une convention fiscale avec l'Algérie. C'est normal dans la mesure où la convention fiscale bilatérale prévoit déjà dans ses dispositions générales l'obligation d'information de cesimmobilisations incorporelles (brevets, marques, redevances, etc.).
Le seul point à soulever est que cette question de réciprocité n'est, dans ce domaine, qu'à sens unique surtout vis-à-vis des pays avec lesquels l'Algérie a signé une convention fiscale et donc, cette mesure de la LFC 2010 risquerait de ne pas répondre à son objectif et ne pas donner les résultats escomptés. En effet, quels seraient les brevets, marques, concessions, obligations algériennes dont les entreprises françaises, espagnoles, italiennes, suisses, allemandes auraient à payer les droits pour leur utilisation dans ces pays ? Par contre les entreprises algériennes utilisent et continueront à utiliser les brevets, marques, concessions de ces pays et dans ce cas, elles ne sont pas soumises aux dispositions de la LFC 2010. Et l'on sait que nos entreprises utilisent à 90% ces immobilisations incorporelles de ces pays et il ne reste pas beaucoup pour celles qui sont en relation avec les entreprises des pays n'ayant pas de réciprocité fiscale avec l'Algérie.


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