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«Des élections au suspense très limité» Jean-Jacques KourlindskyDocteur en histoire, chargé de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques sur les questions ibériques (Amérique latine et Espagne).
Après huit années passées sous la gouvernance de Luiz Inácio Lula da Silva, surnommé le «père de la nation», le Brésil s'apprête à élire un nouveau président ce dimanche 3 octobre. Quel avenir pour ce jeune géant de l'économie mondiale ? Saura-t-il continuer son développement une fois orphelin de «papa-Lula» ? -Le président sortant bénéficie d'une très forte popularité, près de 80% d'opinion favorable. Comment expliquez-vous le phénomène Lula ? Cette passion reflète-t-elle la réalité de son bilan ? Il est vrai que cet ancien cireur de chaussures, devenu président, est pour le moins charismatique. Personnage phare de l'opposition de gauche à la dictature militaire des années 1960 et du syndicalisme ouvrier, Lula bénéficiait déjà d'une certaine popularité brésilienne et internationale avant même sa première élection. En 1980, il fonde le Parti des travailleurs, qui reste le plus grand parti de gauche d'Amérique du Sud. On estime le nombre de ses membres entre 500 et 700 000. C'est cette forte assise militante qui distingue Lula des autres dirigeants de cette région comme Hugo Chavez (Venezuela) ou Evo Morales (Bolivie).Il faut bien comprendre que si Lula ne se représente pas, c'est uniquement parce que la Constitution du Brésil, qu'il refuse de modifier, lui interdit un troisième mandat. On ne peut que saluer son éthique politique et la force de son engagement démocratique, alors qu'il renonce à une victoire acquise d'avance.Au bout de huit années de gouvernance (2002/2010), son bilan justifie pour une bonne part sa prestigieuse image. Il convient tout de même de rappeler que le gouvernement Lula a grandement bénéficié du travail d'assainissement financier effectué sous Cardoso, ainsi que d'un contexte économique international plutôt favorable. Lula a su allier croissance économique et réductions des inégalités sociales et économiques. Une de ses grandes réussites reste la «Bourse famille», une aide financière, qui concerne près de 50 millions de personnes, uniquement reversée aux mères (et non aux pères) de famille pauvres dont les enfants sont suivis médicalement et scolairement. Sur la même ligne, on peut également citer la grande opération d'électrification des campagnes. Ce genre de mesure a non seulement gagné les couches les plus pauvres au chef du PT, mais génère également de nouveaux consommateurs qui font fonctionner l'économie intérieure du pays, ce qui satisfait les grandes entreprises. Le financement de ces mesures s'appuie en grande partie sur le dynamisme du commerce extérieur du Brésil qui reste relativement stable. -Tous les candidats semblent chercher à s'approprier «l'héritage» politique de Lula, peut-on alors réellement parler d'opposition ? Effectivement, dans ce contexte les créneaux pour proposer une alternative sont quasi inexistants. Même le Parti social démocrate brésilien, grand parti de la droite libérale, a bien du mal à trouver une identité propre. Son candidat, José Serra, est pourtant sérieux, ancien ministre de la Santé sous Cardoso, maire de Sao Paulo et gouverneur de la province du même nom (la plus riche et la plus industrielle du pays), il s'agit d'un homme d'expérience. S'il se veut moins interventionniste, il ne peut toutefois se permettre de rejeter les grandes orientations sociales imposées par Lula. Marina Silva, leader du Parti vert crédité de 10% d'intention de vote, insiste sur la mauvaise gestion environnementale du gouvernement Lula, qui laisse grandement à désirer. Mais elle rappelle également sa proximité avec Lula en tant qu'ancienne membre du PT et comme ministre de l'Environnement, poste dont elle a pourtant démissionné. La candidate qui s'impose c'est naturellement celle du PT, Dilma Rousseff. Lula lui apporte un soutien total, pose à ses côtés sur les affiches de campagne et dit vouloir rester son conseiller. Il clame haut et fort : «Dilma, c'est Lula». Certains, notamment au PSDB, ont pu accuser Lula d'utiliser son poste de président pour promouvoir sa championne, mais ce genre d'argument ne convainc que les convaincus. Pour ce qui est de Dilma, on lui reproche parfois d'être une novice jamais passée par les scrutins, mais elle peut tout de même se prévaloir de son passé d'opposante farouche à la dictature militaire (qui lui a valu de subir la torture et l'emprisonnement trois années durant) et de son rôle de «ministre-chef de la Maison civile» (équivalent du Premier ministre) au sein du gouvernement Lula. Quoi qu'il en soit, les sondages lui créditent entre 49 et 51 % d'intentions de vote. Il s'agit donc d'élections au suspense très limité. La seule question est de savoir si la candidate du PT va l'emporter au premier ou au second tour. La véritable opposition est à rechercher au sein de la classe moyenne et de l'élite intellectuelle du pays. Ses couches sociales ont toujours été réticentes à la Lula-mania. Comme par une sorte de réflexe de classe, elles s'offusquent du franc-parler «populaire» de l'ancien ouvrier. Elles ont aussi mal accepté certaines mesures sociales comme l'imposition de quotas dans les universités pour favoriser l'insertion des Afro-Brésiliens. On reproche également à Lula de ne pas avoir su «nettoyer» la classe politique de sa corruption comme il l'avait promis. Son parti avait été grandement mis à mal en 2006 par le scandale des «mensualités», ces pots-de-vin servant à acheter le vote des députés. Il faut dire que la Constitution brésilienne rend presque impossible à un parti d'obtenir la majorité au Parlement, il est donc très difficile d'y faire voter une loi. Seule une réforme de profondeur des institutions pourrait changer cela. -Comment voyez-vous l'avenir du Brésil ? Le pays est-il assez stable pour se dispenser du «père de la nation» ? Une chose est sûre, le Brésil de 2010 n'est plus celui de 2003. Le pays se porte bien et est lancé sur une voie qu'il peut continuer à suivre. Il est de toute façon appelé à devenir l'un des acteurs politiques et économiques majeurs. Lula y est bien sûr pour beaucoup. C'est avec lui que le Brésil a acquis une forte dimension internationale et s'est assuré de nombreux partenariats économiques. Il a fait entrer son pays dans les grandes instances internationales et que ce soit au G20 ou aux Nations unies, il n'hésite pas à s'affirmer, comme le montre sa récente prise de position en faveur de L'Iran. Lula a aussi mis en place une ingénieuse stratégie d'articulation de l'intérieur et de l'extérieur. Il utilise le dynamisme des relations Sud-Sud comme moteur de l'économie intérieur. Par exemple en s'appuyant sur les populations immigrées pour lier le Brésil au destin historique de leur pays d'origine. Cette politique s'illustre bien dans le rapport de Lula avec l'Afrique. Non seulement, il y voyage beaucoup, mais il n'a pas hésité à qualifier le Brésil de second pays noir du monde derrière le Nigeria. Assumer sans complexe cet héritage africain est très novateur au Brésil. D'un côté, cela renforce l'intégration des populations immigrées et de l'autre, cela lui permet de lier des partenariats économiques privilégiés qui, à leur tour, garantissent le financement de sa politique sociale. De grandes opérations de rapprochement ont aussi concerné le Japon, l'Inde, la Chine et les pays arabes. Enfin, il faut bien se rappeler que d'ici quinze ans, le Brésil sera un des plus grands producteurs de pétrole, sans doute aussi important que l'est la Russie aujourd'hui. Cette chance représente aussi un risque, car l'or noir apporte souvent bien des problèmes aux pays qui l'exploitent. Jusqu'à maintenant, le Brésil a affirmé sa volonté de ne pas rejoindre l'OPEP et souhaite réserver son pétrole au marché intérieur, mais les choses peuvent toujours changer.