En dépit des moyens importants alloués, le rendement reste faible. La qualité est encore défaillante,... les mauvaises conditions d'accueil et de séjour de malades, la pénurie de médicaments et les longues attentes au niveau des plateaux techniques ;... on parle beaucoup et on ne fait rien. Nous avons assisté à un effet de déplacement des ressources humaines informellement du public vers le privé. Il est temps de formaliser cette relation informelle. Notre système d'assurances est en crise ; ... La gestion de ces caisses durant ces dernières années en dit long... » Ce ne sont là que quelques extraits du réquisitoire historique tenu le 9 avril 2005 par le ministre des Finances sortant, Abdlatif Benachenhou, lors de la dernière rencontre euroméditerranéenne sur le financement de la santé et le développement économique. Un système de santé sans fondements Les piliers principaux sur lesquels repose tout système de santé : 1- le code de la santé ; 2- l'assurance maladie ; 3- l'ordre des médecins ; n'existent pratiquement plus aujourd'hui dans notre système ! Est-il possible qu'un secteur aussi important que la santé, censé protéger la vie des citoyens, puisse fonctionner à ce jour selon les dispositions d'une loi promulguée depuis 1985, dans un tout autre contexte politique et socioéconomique de gratuité des soins ? Est-il juste que notre assurance maladie effectue, jusqu'à présent, malgré l'inflation galopante de ces dernières années, des remboursements illusoires sur la base d'une tarification irréaliste qui remonte à janvier 1987 ? Est-il moral que l'élite intellectuelle du pays (une corporation de plus de 40 000 médecins) ne dispose pas d'un ordre des médecins fonctionnels, lui permettant d'exercer sa noble et sensible profession dans des conditions saines, éthiques et conformes aux données actuelles de la science, comme prévoit la loi, alors que le décret exécutif de création de cet ordre existe depuis 1992 ? Une situation sanitaire lamentable Malgré les énormes moyens consentis par notre pays à la santé, la situation sanitaire nationale ne semble refléter que la négligence, l'incompétence et l'absence de conviction pour la santé publique et pour l'intérêt général des responsables de ce vaste secteur sensible : prise en charge défaillante des pathologies lourdes (cancer, insuffisance rénale, polytraumatisé,...) ou chroniques (HTA, asthme, diabète,...) ; émergence et réémergence de nombreuses infections et épidémies (tuberculose, hydatidose, leishmaniose, brucellose, paludisme, rage, sida, rougeole, hépatites virales, grippe, botulisme, guillain barré, peste, conjonctivites, MTH, intoxications alimentaires collectives,...) ; dégradation alarmante de l'hygiène générale et individuelle dans nos agglomérations, où même nos métropoles, y compris notre capitale, sont devenues, par endroits, de véritables décharges publiques. Une mauvaise gestion sans contrôle ni évaluation Persuadé à l'instar de ses prédécesseurs, et comme il est de coutume chez nous, que sa gestion ne sera nullement évaluée, ni aujourd'hui ni demain, Monsieur le ministre sortant a, en toute quiétude, usé et abusé de ses pouvoirs pour violer la réglementation, confisquer les droits constitutionnels de plusieurs fonctionnaires et porter lourdement atteinte à la santé publique ! En moins d'une année, sans se soucier des conséquences néfastes de ses actes sur la santé des citoyens, des dizaines de cadres ont été limogés, dégradés ou mutés, sans qu'aucun de ces hauts fonctionnaires de l'Etat n'ait été traduit devant une commission disciplinaire ou que sa gestion n'ait été objectivement évaluée. N'est-il pas triste qu'à l'ère de la médecine prédictive, des milliers de médecins, formés par l'université algérienne, au prix d'énormes sacrifices, chôment ou sont réduits à faire la promotion de produits pharmaceutiques au profit de firmes étrangères, alors que la santé publique en a grandement besoin ? Il suffit pourtant d'instaurer le bilan de santé systématique dans le cadre de la prévention primaire pour sauver des vies humaines, améliorer la santé publique, créer utilement des milliers d'emplois et pallier au chômage et à l'exil de ces cadres de la nation ! Sommes-nous dans le comble du paradoxe, quand, malgré toutes ces insuffisances contrôlables et qui défient la raison, nos décideurs s'inquiètent et déplorent encore dans leurs discours officiels la fuite des cerveaux vers d'autres pays ? C'est ces pratiques amorales qui n'ont laissé d'alternative aux meilleurs fils de l'Algérie indépendante que l'exil, qui expliquent que plus de 15 000 médecins exercent aujourd'hui en France, pour ne citer que ce pays ! Incroyable mais vrai, on n'a pas, à ce jour, au niveau national et après plus de vingt années d'évolution de l'infection VIH/SIDA, un seul centre de dépistage volontaire et anonyme pour connaître l'ampleur et assurer la prévention et l'infection la plus grave et la plus préoccupante pour la santé publique mondiale (même la Chine, le pays le plus peuplé au monde, en dispose pour ses citoyens !). On parle beaucoup et on ne fait rien ! Pis, alors que des maladies infectieuses aussi graves que l'hépatite C constituent un véritable danger pour notre pays, le programme national de prévention des infections liées à la pratique (ILPM), bien que fondamental et qu'il a fait ses preuves sur le terrain, est, contre toute attente, abandonné depuis mars 2003 ; les sites de veille nationale contre les risques chimiques et biologiques, créés sur papier depuis quatre ans (décision ministérielle n°121 du 31 octobre 2001), n'ont jamais été installés. Notre système de surveillance épidémiologique n'a pas été actualisé depuis 1990 et nos fameuses réformes hospitalières ou contractualisations sont toujours au stade « on va faire » ! Pénuries fréquentes de médicaments trop chers En moins d'une année (du 6 octobre 2003 au 13 septembre 2004), un département aussi important que la pharmacie a vu défiler à sa tête trois directeurs centraux et trois DG de la PCH (pharmacie centrale des hôpitaux). N'est-il pas alors normal dans ces conditions que notre pays figure au plus bas du tableau des statistiques de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de consommation du générique avec seulement 15 à 20% (93% en Egypte, 80% en Syrie et en Jordanie, ...) que l'enveloppe d'importation des médicaments connaisse une augmentation exponentielle (500, 600 et plus de 900 millions de dollars, respectivement en 2002, 2003 et 2004), que les prix des médicaments flambent, qu'un produit dangereux (tel le Pregistimil en 2004, « ce lait qui tue ») prenne du temps pour être retiré des officines, ou que des pénuries fréquentes de produits pharmaceutiques vitaux, surtout pour certaines maladies chroniques, deviennent motif de revendications pour les associations de protection des droits des malades ? Le rapport n°897/DG/PCH/2004, adressé par le DG de la PCH au ministre de la Santé en 2004, mentionnait entre autres anomalies, un stock de sécurité nul au 21 mars 2004 pour 271 produits ! Même la digozine, médicament indispensable en cardiologie, avait disparu de nos officines durant une longue période. Plus grave encore, est que ces pénuries coïncidaient avec la grève des médecins spécialistes de la santé publique : deux mois continus (du 6 janvier au 4 mars 2004) d'arrêt de travail pour des milliers de spécialistes au niveau national. Une grève anormalement prolongée, à l'instar de toutes les grèves dans ce secteur (spécialistes et généralistes de santé publique, enseignants et praticiens paramédicaux, gestionnaires,...) de par l'inconscience des « négociateurs » du MSPRH, qui n'ont jamais tenu leurs promesses (El Watan du 23 septembre 2004) ni honoré leurs engagements écrits (PV des réunions du 14 mai 2002, 13 novembre 2002, 27 novembre 2002, 22 avril 2003,...). Quelle crédibilité peut-elle encore rester chez des « responsables centraux » qui, face aux différents syndicats, ont toujours fait preuve de légèreté, d'impéritie notoire et d'incompétence au point de dialoguer avec leur propre personnel de santé par presse interposée, d'étaler publiquement leurs insuffisances et le reniement de leurs engagements (El Watan du 21 septembre 2004), et de recourir en fin de compte à l'autorité judiciaire pour mettre fin à une grève légitime de médecins spécialistes ? Outre la souffrance humaine, il est certain que de nombreux citoyens, surtout dans l'Algérie profonde, ont perdu leur vie ou gardé des séquelles indélébiles suite à cette absence concomitante de médecins et de médicaments ! Est-il juste qu'aucun des responsables de cette tragédie nationale n'ait été identifié, et encore moins inquiété ? L'impunité n'est pas seulement anormale ou dangereuse, elle est la ruine de l'Algérie. Elle est mortelle ! Dilapidation de deniers publics Selon le ministre des Finances sortant, en cinq années, de 1999 à 2005, les dépenses de santé ont connu un excédent de 100% sur les 5 milliards de dollars alloués à ce secteur en 2005, 65% sont destinés pour les ressources humaines, 20% pour les médicaments et 15% pour les équipements. Alors que les publications annuelles du MSPRH montrent que les crédits alloués aux structures de santé ne sont jamais totalement consommés, le ministre de la Santé sortant a débloqué une enveloppe de 100 milliards de dinars (?) pour, selon lui, « éponger principalement la dette des 13 CHU » (Liberté du 23 mars 2004), sans qu'aucun de nos perspicaces journalistes n'eut la curiosité professionnelle de s'interroger sur l'origine de cette énorme dette ou si cette nouvelle et consistante enveloppe sera encore remise entre les mains des mêmes gestionnaires de ces établissements publics et concepteurs de cette dette ? De brillants gestionnaires, intègres et compétents, formés dans les plus grandes écoles nationales et même étrangères, sont exclus, sans raison, de toute participation à l'édification nationale, alors qu'on envisage d'importer des étrangers pour gérer le nouveau CHU d'Oran, notre fierté nationale, et que de prestigieux établissements, tel le CHU Mustapha, sont confiés à des individus sans moralité, ni conscience ni compétence ! Il y a maintenant plus de trois mois (22 mai 2005) que l'ex-DG du CHU de Blida et deux de ses proches collaborateurs sont sous mandat de dépôt pour « mauvaise gestion et dilapidation de deniers publics » sur la période allant de 1999 à 2003 (Le Soir d'Algérie du 23 mai 2005). Le contrôle de la gestion des structures de santé étant sous la tutelle du ministère de la Santé, n'est-il pas alors légitime de se demander où était cette tutelle et que faisait-elle durant cette longue période ? Ces pratiques sont-elles l'apanage des gestionnaires de Blida ou sont-elles érigées de par la complicité indispensable de certains « responsables » de l'administration centrale du MSPRH, en règle générale au niveau des 230 établissements de santé du pays ? Les services de l'Inspection générale des finances (IGF), qui ont visité ce CHU, n'ont-ils pas pu déceler ces graves anomalies ? Pourquoi alors seulement Blida ? Il est pourtant aisé, pourvu que la volonté politique y soit, de procéder à une enquête rétrospective exhaustive afin de vérifier la comptabilité analytique de toutes ces structures, situer les responsabilités de tout un chacun, voir où sont passées les sommes faramineuses allouées à la santé publique et déviées de leur objectif, comprendre enfin pourquoi qu'avec « n » fois moins de dépenses par habitant, nos voisins marocains et surtout tunisiens ont un système de santé bien plus performant ! Le malheur des uns fait bien le bonheur des autres. Où est l'Etat ? Pricipales victimes : Les pauvres et les demunis La dégradation de la qualité des prestations au niveau de nos établissements publics de santé a fait fuir les malades vers les structures privées. Seuls les pauvres et les démunis sont contraints aujourd'hui à demander les soins charitables de nos hôpitaux. Malheureusement pour eux, l'étau se resserre chaque jour davantage. Même s'ils ont la chance d'accéder a un lit d'hospitalisation, ils devront trouver les moyens pour payer leurs médicaments, faire leurs examens complémentaires, acheter leurs prothèses chez le privé ! On a assisté à un effet de déplacement des ressources humaines et matérielles informellement du public vers le privé. A l'instar de toutes les suggestions constructives, celle, faite lors du forum mondial pour la lutte contre la pauvreté et l'exclusion (Alger, octobre 2000), consistant à instruire les gestionnaires à veiller à l'interdiction aux malades hospitalisés de se prendre en charge par leurs propres moyens durant leur séjour à l'hôpital, n'a jamais vu le jour ! Et alors que des mesures ont été prises par l'Etat en faveur des ces citoyens vulnérables depuis plus de quatre ans (décret exécutif 12/01 du 1er juin 2001 portant accès aux soins pour les démunis non assurés), les statistiques publiées à ce jour font ressortir que l'écrasante majorité de cette population à risque n'a pas encore acquis ce droit essentiel. Le dernier rapport des Nations unies sur le développement humain (7 septembre 2005) vient de classer l'Algérie à la 103e place (sur 177 pays enquêtés), derrière tous les pays arabes, y compris la Palestine occupée ! Réconciliation nationale ou justice sociale ? Il est évident qu'avec une gestion aussi dramatique au niveau central, où impéritie notoire, incompétence, immoralité, inversion des données sélectives, discrimination, favoritisme, abus et irrégularité font loi, aucun travail de conception sérieux et planifié ne peut aboutir, et des dossiers extrêmement importants pour le pays ne verront jamais le jour. Toutes les personnes intègres et loyales, ayant dénoncé aux pouvoirs publics la gestion chaotique de ce secteur stratégique, ont été broyées par le comportement délictueux de certains « permanents » de l'administration centrale, avec à leur tête Madame la SG du MSPRH. Quelles que soient les capacités intrinsèques et la bonne volonté du ministre qui accepte ce département, sans s'assurer de la moralité et surtout des qualifications de ses plus proches collaborateurs, il ne pourra, à l'instar de ses prédécesseurs, qu'essuyer un cuisant échec dans sa mission. La réconciliation nationale et la paix civile c'est d'abord et avant tout une justice forte et indépendante, capable d'imposer à tous le respect de la loi et de garantir au citoyen sa dignité humaine et ses droits constitutionnels, dont le droit à la santé ! (*) L'auteur est Professeur en médecine au CHU Mustapha, juriste.