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Jusqu'à quand la dégradation de la santé du citoyen ?
Publié dans El Watan le 04 - 06 - 2006

Les blocages des projets indispensables à la promotion de la santé publique sont-ils le fait du hasard ou plutôt les conséquences d'inhibitions internes préméditées ? Certes, dans un secteur aux spécificités multiples, I'impéritie de certains responsables peut parfois « justifier » leur incapacité de discernement entre l'utile, le nécessaire et l'indispensable !
Mais cette impéritie, aussi notoire soit-elle, peut-elle expliquer, à elle seule, une gestion aussi catastrophique de ce département stratégique ? En dépit des moyens importants alloués par notre pays à la santé publique, la situation sanitaire nationale demeure inquiétante comparée aux énormes crédits consommés par ce secteur, et ne semble refléter que le laisser-aller, la mauvaise gestion et la négligence de l'intérêt général : prise en charge défaillante des pathologies lourdes (cancer, insuffisance rénale, polytraumatisés,...) et chroniques (hypertension artérielle, diabète, fatigue nerveuse...) ; réémergence des maladies liées à la pauvreté et émergence de nombreuses infections et épidémies (tuberculose, leishmaniose, hépatites, sida...), mauvaises conditions d'accueil et de séjour des malades ; pénuries fréquentes de médicaments de plus en plus coûteux ; longues attentes au niveau des plateaux techniques ; hygiène hospitalière absente ; dégradation alarmante de l'hygiène générale dans nos agglomérations, etc.
Un drame social pour les pauvres et les démunis
La dégradation de la qualité des prestations au niveau de nos établissements publics a fait fuir les malades vers les structures privées. Seuls les pauvres et les démunis sont contraints à demander les soins charitables de nos hôpitaux ! Malheureusement pour eux, l'étau se resserre chaque jour davantage ! Même s'ils arrivent à accéder à un lit d'hospitalisation, ils devront - outre leur literie et leur nourriture qu'ils sont censés amener avec eux - trouver les moyens pour payer leurs médicaments, faire leurs examens complémentaires, acheter leurs prothèses... chez le privé ! A l'instar de toutes les suggestions constructives, celle faite lors du prestigieux forum mondial pour la lutte contre la pauvreté et l'exclusion (Alger, 10-12 octobre 2000), consistant à instruire les gestionnaires à veiller à l'interdiction aux malades hospitalisés de se prendre en charge par leurs propres moyens durant leur hospitalisation, n'a jamais vu le jour ! Les récentes circulaires relatives à la gestion des produits pharmaceutiques dans les structures publiques (n°7 du 22 novembre 2005) et à l'alimentation et l'hôtellerie des malades hospitalisés (n°3 du 26 mars 2006) sont loin de ce qui a été commandé pour mettre fin au transfert informel des moyens humains et matériels du public vers le privé ! Ce n'est certainement pas le passage - à partir du 30 juin 2006 (?) - de la journée d'alimentation de 110 à 150 DA qui va améliorer la santé du malade et réformer la santé publique ! Et alors que des mesures positives ont été prises par l'Etat en faveur de ces citoyens vulnérables depuis plus de quatre années (décret exécutif n°12/01 du 1er juin 2001 portant accès aux soins pour les démunis non assurés) ; sur le terrain, la majorité de cette population à risque n'a pas encore acquis ce droit essentiel
Des inhibitions internes avérées
A ce jour, un secteur aussi important est géré selon les dispositions d'une loi promulguée depuis 1985, dans un tout autre contexte politique et socio-économique de gratuité des soins ; alors que trois ministres se sont déjà succédé sur un projet de loi initié en 2002 et qui est toujours au stade de projet ! Jusqu'à quand ? A ce jour, nos fameuses réformes hospitalières ou contractualisations, qui ont fait changer au ministère de la Santé et de la Population sa dénomination en 2002, sont toujours au stade du « on va faire » ! Il y a à peine un mois, le spectre de la mort menaçait les sujets atteints de maladies chroniques, suite au refus de près de 600 pharmaciens contractuels au niveau de la capitale de leur délivrer leurs médicaments indispensables (refus motivé par le retard accusé dans le paiement de leurs créances, ainsi que par la remise en question de certaines clauses du cahier de charges). Notre assurance maladie, qui a effectué durant près de vingt années des remboursements illusoires sur la base d'une tarification irréaliste qui remonte à janvier 1987, vient enfin, depuis le 16 avril 2006, de mettre en application l'arrêté du 29 décembre 2005 fixant les tarifs de référence servant de base au remboursement des médicaments et les modalités de leur mise en œuvre. Mais déjà, ces modalités posent problème pour les titulaires de la carte du tiers payant et des retraités (qui doivent payer de leur poche la différence entre le prix de référence et le prix de vente) et font peser le doute quant à la disponibilité des moyens logistiques nécessaires pour concrétiser sur le terrain cette politique. A ce jour, une élite de plus de 50 000 médecins ne dispose pas d'un conseil de l'ordre fonctionnel ; alors que le décret portant création de cet ordre existe depuis 1992 (décret exécutif n°276-92 du 6 juillet 1992). Pour la énième fois, on efface tout et on reprend à zéro ! Le ministère de la Santé a décidé depuis 4 mois d'organiser les prochaines élections des conseils nationaux et régionaux de déontologie médicale (arrêté n°175 du 3 janvier 2006). Mais, ces élections, prévues pour le 13 avril, viennent encore d'être reportées au 10 mai 2006 (?) A ce jour, les zones déshéritées du Sud souffrent du manque de spécialistes. Ces derniers, contraints parfois à vivre dans des chambres pour malades, fuient ces régions faute de mesures incitatives suffisantes. Des milliers de médecins - formés par l'université algérienne au prix d'énormes sacrifices - chôment ou sont réduits à faire la promotion de produits pharmaceutiques au profit de firmes étrangères alors que la santé publique en a grandement besoin ! Il suffit d'instaurer le bilan de santé systématique périodique dans le cadre de la prévention primaire pour créer utilement des milliers d'emplois et sauver des vies humaines ! Maintes autres projets fondamentaux pour le pays n'ont jamais abouti (les sites de veille contre les risques chimiques et biologiques, créés sur papier depuis 2001 - décision n°121 du 31 octobre 2001 - n'ont jamais été installés) ou ont été abandonnés (le programme national de prévention des infections liées à la pratique médicale - décision n°16 du 20 octobre 2001 - a été carrément abandonné depuis 2003, malgré sa réussite incontestable) ou ont mis des années pour aboutir (sept années - une durée équivalente à celle de la lutte pour la Libération nationale - pour la production de l'insuline), ou n'ont suscité qu'un intérêt tardif (la production et la consommation des médicaments génériques en Algérie sont récentes et sont, selon l'OMS, parmi les plus faibles au monde). Comment peut-on expliquer le fait, qu'avec n fois moins de dépenses de santé par habitant, nos voisins marocains et surtout tunisiens ont pu offrir à leurs citoyens un système bien plus performant que le nôtre ? Par quoi peut-on justifier le fait, que malgré l'importance de notre PIB, le dernier rapport des Nations unies sur le développement humain (7 septembre 2005) ait pu classer l'Algérie à la 103e place (sur 177 pays enquêtés), derrière tous les pays arabes, y compris la Palestine occupée ? Ce ne sont là que quelques aperçus de cette irrationnalité déconcertante qui a conduit à la faillite non déclarée de notre système de santé qui n'a laissé d'alternative aux meilleurs fils de l'Algérie indépendante que l'exil (plus de 15 000 de nos meilleurs médecins exercent en France, pour ne citer que ce pays) et qui oblige aujourd'hui nos nantis et nos privilégiés à prendre l'avion au moindre mal, pour se faire soigner à l'étranger ! Peut-on encore douter de l'existence de ces inhibitions internes ?
Graves dilapidations des deniers publics
Malgré tous les scandales financiers et les outrages à la morale publiés par la presse dans le but d'améliorer la qualité des prestations dans ce secteur, la situation ne fait qu'empirer ! Il est certain que rien ne changera, tant que les décisions dans ce département resteront entre les mains d'une « poignée de permanents » de l'administration centrale, vieillissant à leur postes et qui ont fait de l'impéritie, de l'incompétence, de l'immoralité, de l'irrégularité et de la violation des lois leur code de gestion. L'enquête morale classique - jadis garante de la moralité et de la compétence des commis de l'Etat et déterminante pour leur nomination - n'ayant plus sa place d'antan, cette coalition de fonctionnaires, qui voit les ministres défiler rapidement devant elle, a trouvé largement le temps pour s'accommoder à toutes les situations et en tirer un profit personnel au détriment de l'intérêt national ! De brillants gestionnaires intègres et compétents sont exclus, sans raison de toute participation à l'édification nationale alors que d'importants établissements hôspitalo-universitaires sont confiés depuis des années à des individus sans moralité ni conscience. Il est évident qu'avec une gestion aussi dramatique au niveau central, aucun travail de conception sérieux et planifié ne pourra aboutir. Des dossiers extrêmement importants pour le pays ne verront jamais le jour et la santé du citoyen ne pourra que se dégrader davantage ! Selon l'ancien ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, en cinq années, de 1999 à 2005, les dépenses de santé ont connu un excédent de 100%. Sur les 5 milliards de dollars alloués à ce secteur en 2005, 65% sont destinés pour les ressources humaines, 20% pour les médicaments et 15% pour les équipements. Alors que les publications annuelles du MSPRW montrent que les crédits des structures de santé ne sont jamais totalement consommés, l'ancien ministre de la Santé a débloqué une enveloppe de 100 milliards de dinars pour, selon lui, « éponger principalement la dette des 13 CHU » (Liberté du 23 mars 2004) sans qu'aucun de nos perspicaces journalistes n'eut la curiosité professionnelle de s'interroger sur l'origine de cette énorme dette ou si cette nouvelle et consistante enveloppe sera encore offerte aux mêmes gestionnaires concepteurs de cette dette ? On efface tout et on reprend encore à zéro !
Où sont les pouvoirs publics ?
Le quotidien El Khabar du 9 mars 2006 a eu l'exclusivité de publier les résultats de l'enquête effectuée par la Gendarmerie nationale depuis décembre 2004 sur la gestion du CHU de Blida et qui a confirmé la dilapidation de plus de 24 milliards de centimes ? Où était le ministère de la Santé et que faisait-il durant cette longue période (1999/2003) ? Ces pratiques sont-elles l'apanage des gestionnaires de Blida ou sont, de par la complicité indispensable de certains « responsables » de l'administration centrale du MSPRW, des pratiques généralisées et une règle valable en tout temps et tout lieu dans ce vaste secteur ? Pourquoi alors, seulement Blida ? Les révélations de cette sérieuse enquête sont fondamentales et ne peuvent être classées dans les oubliettes, au même titre que les autres enquêtes. Car, d'une part, elles déterminent avec précision et par des preuves irréfutables l'origine du mal, en incriminant pour la première fois certains responsables de l'administration centrale du MSPRH et elles démontrent que la réforme réelle de notre système de santé est à notre portée et c'est ce qu'il y a de plus important, d'autre part. Il est aisé - pourvu que la volonté politique y soit - de procéder à une enquête rétrospective exhaustive afin de vérifier la gestion et la comptabilité des structures de santé durant la dernière décennie, s'assurer de la légalité des décisions ministérielles et de la régularité de la comptabilité, situer les responsabilités de tout un chacun et voir où sont passées les sommes faramineuses allouées à la santé publique et déviées de leur objectif. Si un seul hôpital a dilapidé plus de 24 milliards de centimes, quel serait alors l'état des autres hôpitaux et à combien s'élèverait le montant global au niveau des 230 établissements de santé du pays ? L'absence d'une telle enquête (indispensable pour assainir le secteur et rendre confiance au citoyen) est une injustice envers les malades, ainsi que tous les gestionnaires intègres qui constituent la majorité écrasante dans ce secteur et où certains (facilement identifiables) ont également profité de l'absence de tout contrôle et de la préoccupation des autorités par le volet sécuritaire pour détourner les crédits destinés à leurs structures.
- Professeur en médecine au CHU Mustapha - Juriste


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