Comme de tradition, le président de la République, en vertu des pouvoirs que lui confère la Constitution, a décidé, à l'occasion de l'Aïd El Fitr, des mesures de grâce qui touchent quelque 6778 détenus. Sur la liste, le nom du journaliste et directeur du Matin, Mohamed Benchicou, ne figure pas. Alors que subsistait encore un maigre espoir de voir « la clémence présidentielle », dans sa propension réconciliatrice, s'étendre à ce prisonnier un peu spécial qui n'a jamais cessé de dénoncer la cabale politique dirigée contre lui par tous les gens du pouvoir que la ligne éditoriale de son journal dérangeait, son maintien dans les geôles confirme toute la sévérité du traitement qui lui est accordé par l'autorité suprême de ce pays, en dépit de son état de santé qui est considéré par sa famille comme très critique et même inquiétant. En fait, Benchicou maintenu en prison pour purger intégralement sa peine - il lui reste théoriquement sept mois - c'est non seulement la décision de justice qui est appliquée dans toute sa rigueur pour un chef d'accusation classé comme délit économique (sortie illégale à l'étranger de bons de caisse) que le détenu a contesté de toutes ses forces en se référant aux textes de loi, mais c'est aussi pour les observateurs avertis la manifestation flagrante d'un régime de représailles ressemblant étrangement à un acharnement politique qui va au-delà de la personne de Benchicou puisque c'est toute la presse indépendante qui est visée pour sa liberté de ton. Il est, à ce propos, complètement incongru et disproportionné de voir d'ex-chefs terroristes notoirement connus pour leur participation aux crimes commis contre le peuple algérien bénéficier d'une réhabilitation officielle qui blanchit leurs actes pourtant, eux aussi, condamnés par la justice, alors que pas le moindre petit geste de mansuétude n'est venu au secours du journaliste dont le seul crime qu'il revendique est celui d'avoir contredit le système politique en place. Le cas du directeur du Matin qui a constitué, malgré les apparences, une véritable épine pour le régime en place, n'est pas à isoler en vérité des velléités du pouvoir à vouloir frapper fort pour réduire à néant toute forme d'opposition intellectuelle qui remettrait en cause l'ordre établi. La presse indépendante étant par essence non soumise aux référents officiels de la pensée et ayant également adhéré et défendu les thèses démocratiques, c'est donc naturellement qu'elle est mise dans le collimateur. A l'heure où dans le monde la liberté d'expression gagne du terrain avec l'ouverture fulgurante de la communication, les débats en Algérie sur le sujet restent biaisés. La récente rencontre organisée à Alger sur la bonne gouvernance et le rôle des médias a, dans ce contexte, mis a nu toute la contradiction qui mine le pseudo système démocratique dans lequel nous évoluons. Le professeur Brahim Brahimi, au demeurant, estime à juste titre que la situation de la presse en Algérie est « terrible ». En laminant les partis politiques et en embrigadant la société civile, le pouvoir a cassé les ressorts de la société civile, précise-t-il encore. C'est tout dit. Avoir une presse crédible, critique, totalement libre, qui incarne réellement le quatrième pouvoir et une société civile active et organisée pour servir de garde-fous contre les dérives dictatoriales, ça n'intéresse pas les tenants du régime. On comprend dès lors mieux pourquoi il est plus facile de « pardonner » à un terroriste qu'à un journaliste.