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«L'Algérie a subi l'effet de ‘‘retrait de l'échelle''»
Mohammed Bahloul. Economiste, directeur de l'IDRH d'Oran
Publié dans El Watan le 25 - 10 - 2010

- L'impact sur l'économie algérienne de l'Accord d'association avec l'UE et de la ZALE est loin d'être positif. Est-ce que c'est la compétence des négociateurs algériens qui est en cause?
Vous posez une question difficile dont on ne peut réduire le traitement à la compétence d'un collectif de négociateurs. Il s'agit bien de la compétitivité d'une économie dans le contexte du libre échange de laquelle découle spécialement la problématique de la relation entre la formation d'une industrie et le libre commerce international. Les effets d'impact négatifs, voire dévastateurs, des formes de libération du commerce extérieur sur le système industriel national en formation ne peuvent être imputés uniquement à l'entrée de l'Algérie dans les zones de libre-échange dont la plus discutée est celle sanctionnée par l'Accord d'association avec l'Union Européenne. L'ouverture de l'économie engagée bien avant par pallier allant en s'accentuant et les «défauts de maison» des démarches de restructurations industrielles sont parmi les facteurs déterminants de la désindustrialisation et de la perte de compétitivité qui sont un fait majeur de ces 25 dernières années. Quant aux effets de l'intégration dans les zones de libre-échange, les résultats sont indiscutablement médiocres et loin des attentes. L'hécatombe des industries et des emplois dans notre pays s'est accélérée. Il y a eu même régression. Des industriels se sont transformés en commerçants-importateurs.
A ma connaissance, il y a très peu de pays qui ont subi l'effet de «retrait de l'échelle» de cette ampleur comme l'a subi l'Algérie. Cette ruse de guerre économique inventée par les Anglais consistait à plaider le libre échange pour les autres pays afin d'inonder leurs marchés par les produits compétitifs de leur industrie édifiée quant à elle dans les principes protectionnistes les plus stricts.
C'est pour vous dire que la question ne se résume pas seulement à des négociateurs habiles et compétents même si cette dimension n'est pas à négliger. C'est une question de choix et de démarche stratégique dans la construction d'un système économique national. Car que feraient des négociateurs chevronnés sans stratégie nationale, sans vision, sans feuille de route et surtout dans une économie à structure compétitive problématique à tout point de vue : de la démographie des entreprises à leur productivité. La capacité de négociation d'une nation est à rechercher d'abord de ce côté. Les compétences de négociation n'en sont qu'un élément. On ne peut reposer la responsabilité du succès ou de l'échec de l'intégration dans le libre échange sur un seul acteur. Ce qui ne veut pas dire que les besoins de formation et de préparation des négociateurs algériens ne sont pas importants.

- Les problèmes nés de la privatisation au profit d'Arcelor ou encore l'affaire Djezzy suscitent des interrogations sur les conditions dans lesquelles ces contrats ont été conclus…
Le changement économique dans notre pays et les restructurations industrielles qui l'ont accompagné s'est réalisé sans s'appuyer sur la mobilisation des ressources de l'analyse stratégique et de l'intelligence économique. Même si Arcelor et Orascom sont deux cas différents, ils illustrent bien en grande partie cette observation. Le premier peut nous interpeller sur l'opportunité d'une cession d'actifs majoritaire à un investisseur étranger dans un contexte de forte croissance de la demande mondiale de l'acier comme sur ses résultats en terme d'investissements de modernisation et d'expansion de cette industrie, de création d'emplois et de transferts de compétences, de couverture de la demande nationale, etc. Le deuxième cas est encore plus illustratif. Les conditions d'entrée- sortie de l'investisseur égyptien Orascom posent des interrogations à tous les niveaux quant à l'existence d'une démarche stratégique de développement dans le domaine des télécommunications et de la téléphonie mobile en particulier. Le cas de Djezzy est symptomatique et mérite une analyse stratégique qui reste à faire. Observez que la stratégie industrielle est venue après les grandes restructurations opérées dès les années 1990. Ce qui pose un véritable problème de séquences du changement. Elle devait en principe être le ‘starter' et le cadre dans lequel s'emboîtent toutes les restructurations. Le comportement des agents économiques comme les aiguillages et les appuis des politiques publiques devaient être prélevés de la vision contenue dans cette stratégie. Mais il faut dire que les conditions des années 1990 ne permettaient pas un séquençage de ce type d'autant plus que le package des réformes était dicté de l'extérieur.

- Le président Bouteflika a critiqué les investisseurs étrangers qui ont, selon lui, profité du marché algérien sans contrepartie. Est-ce que l'Algérie n'a pas su protéger ses intérêts ?
Le discours du chef de l'Etat devant les présidents des APC est révélateur. Il a signifié la fin d'une illusion. La question de l'apport des IDE a été mal posée dés le départ. Leur rôle dans le développement a été surdimensionné, voire idéalisé, sans considération des conditions nationales et internationales de leur implantation et de leur valorisation au profit de la nation. Il est indéniable que dans le contexte des mutations et données de la mondialisation aucun pays ne peut concevoir aujourd'hui son développement sans l'apport des IDE. Mais toutes les études le montrent, il n'y a aucun ‘automatisme' dans ce domaine. La corrélation IDE-Développement n'est pas toujours positive. Les retombées peuvent être même très négatives avec des transferts inverses de valeur et de compétences. Le statut des IDE et leur efficacité dans un processus de développement national sont fortement déterminés par les rapports entre les firmes transnationales (FTN) et les Etats. Les FTN décident des destinations et balisent les couloirs de migration des capitaux sur la base des considérations de profit et de sécurité à long terme des anticipations. Mais l'attractivité des territoires qui est principalement une affaire des Etats s'est toujours révélée comme un facteur puissant et déterminant dans les décisions de localisation prises par ces firmes. La préparation de l'environnement des affaires recouvre un ensemble de facteurs et de conditions à réunir qui vont de la réduction des coûts d'accès à la légalité économique d'un projet d'investissement, à l'information, aux facteurs de production et autres externalités jusqu'à… la qualité de la vie des cadres expatriés. On a pu recenser 36 facteurs d'attractivité pour un pays comme l'Algérie, mais un travail immense reste à faire dans ce domaine et à tous les niveaux de l'administration des IDE qui sont à moderniser.
Enfin, la dimension contrôle institutionnel des activités des firmes est aussi importante que les incitations que met l'Etat pour attirer les IDE. Ces derniers peuvent devenir un excellent outil de transfert des richesses et d'appauvrissement d'un pays.

- Pour se rattraper, l'Algérie vient de changer plusieurs aspects de sa réglementation liée aux investissements étrangers. Est-ce suffisant ?
Dans tous les cas de figure et au-delà du redéploiement du contrôle étatique, les évolutions récentes en matière de règlementation du commerce et des investissements dans notre pays annoncent, me semble-t-il, un véritable changement de cap. Elles ont certes créé de l'incertitude et de l'instabilité chez les agents économiques parce que mal accompagnées sur le plan de la communication. Mais ni l'option de l'économie de marché, ni la place du secteur privée national et international ne sont à mon avis en cause. Toutes les mesures prises ces derniers mois demeurent fortement ancrées dans le paradigme libéral. Les termes de ‘nationalisations' et même d'expropriation' utilisés par certains médias étrangers à propos des modifications apportées par l'Algérie sont, à mon avis, impropres et participent de la guerre psychologique. Dans la pratique historique du changement, il s'agit tout simplement, de ce qu'on appelle une bifurcation dictée à la fois par des impératifs de conjoncture et de structure dans le système de l'économie mondiale en crise. L'image de l'Algérie en a certes pris un coup. Mais je pense que la situation va évoluer dans les prochains mois dans les milieux des investisseurs, étrangers notamment.
Il reste que la mise en cohérence systémique et sémiotique (de grands déficits dans la communication institutionnelle) de la gouvernance globale de l'économie n'est pas au point. Loin de là. Des incitations très attractives n'ont aucune signification si elles ne sont pas callées à des choix clairs et stables, portées par une capacité de négociation et de concertation avec les acteurs nationaux et internationaux et encadrées par un système de contrôle institutionnel effectif et performant. Ainsi par exemple, une capacité de négociation forte et inventive peut être plus rentable que toute une batterie d'incitations, d'autant plus qu'on ne peut indéfiniment légiférer et accorder des primes à l'investissement pour tous les secteurs.

- Est-il aussi simple d'appliquer ces nouvelles réglementations dans la mesure où l'Algérie est signataire de plusieurs conventions internationales en la matière ?
Je pense que les nouvelles règles ne vont pas à l'encontre du droit international et des engagements contractuels de l'Algérie. Le redéploiement du contrôle de l'action publique sur l'économie que véhiculent les nouvelles lois et règlementation n'a pas pour finalité d'attenter aux droits de propriété. Certains ont présenté le cas Djezzy comme un oukase de l'Etat, une sorte de violation des droits de propriété. Ce n'est pas le cas.
Les droits de propriété ne fonctionnent dans aucun pays indépendamment de la protection des droits de la collectivité et de ses membres. Si l'action publique est garante de la protection des droits des propriétaires, elle est aussi garante des droits des autres parties prenantes notamment ceux de l'Etat, des banques, des salariés…etc. La violation des règlements de la fiscalité ou du change est sévèrement sanctionnée dans les pays du libéralisme avancé. Cette ligne de défense des intérêts nationaux est à mon avis la plus pertinente. Il est important de la dédramatiser le contentieux Djezzy dans les conditions actuelles de sa gestion. Ce ne sera ni le premier, ni le dernier auquel l'Algérie sera confronté. Ce n'est pas une spécificité algérienne. L'économie de marché c'est le monde de la négociation et du contrat par excellence et donc du conflit qui lui est inhérent, en latence. Il peut surgir à tout moment au cours de la réalisation du contrat.


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