L'«effervescence» de ces derniers jours s'explique par le fait que les acteurs politiques tentent de se positionner pour prendre part à une course imminente, estime le politologue Rachid Grim. S'agit-il de la fin d'un règne ? Peut-être, mais pas complètement. Cependant, Rachid Grim, n'exclut pas que la succession se fasse dans la violence, ce qui rendrait l'intervention de l'armée et son retour sur la scène politique presque incontournables. -La classe politique semble s'agiter ces derniers jours. Le président du RCD parle «de l'après-Bouteflika» qui commence, le FFS tente de se redéployer et le FLN replonge dans une crise. Pourquoi cette agitation et à ce moment précis ? La classe politique s'agite effectivement. Il n'y a pas que les personnalités et les partis que vous venez de citer qui s'agitent : c'est pratiquement une effervescence généralisée. Même les personnalités et partis de la coalition gouvernementale ne se privent plus de déclarations fracassantes et de positionnements souvent surprenants. Cela donne l'étrange impression que tout le monde essaie de se positionner – ou de se repositionner – pour prendre le départ d'une course qui ne tardera plus à démarrer. -Est-ce que, comme semble le croire Saïd Sadi, l'après-Bouteflika a déjà commencé et que les uns et les autres se préparent aux futures joutes pour prendre un pouvoir qui ne tardera pas à devenir vacant, ou au moins à y participer ? Les rumeurs sur l'état de santé du Président, ses absences longues et répétées de la scène publique, l'absence de stratégie claire d'un pouvoir qui attend plus qu'il n'agit, le retour sur la scène et à des postes stratégiques d'éléments importants de l'armée, le limogeage (ou la mise à l'écart pour les préserver) de membres éminents du premier cercle présidentiel – Zerhouni et Khelil en particulier – les gesticulations de plus en plus visibles des chefs de file du FLN et du RND, tout cela – et une multitude d'autres indices – peut effectivement faire accroire que quelque chose d'important est en train de se préparer sur la scène politique. -Il est très difficile d'en faire une analyse rationnelle. Comme d'habitude dans ce pays, il s'agit plus d'interpréter des événements, des déclarations ou des gestes de personnalités politiques, plus que de les analyser à partir de faits avérés. L'analyste politique ne peut en réalité que spéculer à partir de ce qu'il croit comprendre des événements qui se déroulent devant ses yeux. Or de quoi s'agit-il pour l'instant ? Premièrement, l'absence presque totale du Président sur la scène publique. Même ses audits – en dehors de toute image – des ministres pendant le mois de Ramadhan n'ont convaincu personne – malgré les démentis poussifs des ministres auditionnés – de la réalité des rencontres avec le Président. Deuxièmement : certains événements importants semblent montrer que le Président revient petit à petit à une situation de forte dépendance vis-à-vis de l'armée. La nomination d'un général à la tête de la DGSN fait partie de ces événements qui semblent militer pour un retour en force de l'armée sur la scène politique. Troisièmement : le limogeage de Zerhouni et de Khelil, – des hommes-clés du système Bouteflika – que des rumeurs insistantes situaient parmi les personnalités que les responsables de l'armée voulaient absolument voir évacuées de la scène politique. Quatrièmement : la poursuite – et même la généralisation – des émeutes populaires qui ne font qu'accentuer le fort sentiment de malaise que toute la population ressent. Il faut y ajouter les prises de position de certains hommes politiques qui n'hésitent plus à penser et à dire tout haut que lesdites émeutes iront en s'accentuant et aboutiront fatalement au renversement, par la force, du régime. Enfin, le repositionnement des partis et des personnalités politiques d'opposition, tels le FFS (qui devient de plus en plus virulent dans ses critiques du système) et le RCD (qui a pratiquement monopolisé la scène politique depuis plusieurs mois, à travers les écrits et les déclarations de son chef). Beaucoup de personnalités y sont allées de leurs déclarations au vitriol, dans le but de prendre date…au cas où. Est-ce suffisant pour affirmer qu'il y a comme une odeur de fin de règne et que chacun aiguise ses couteaux pour prendre part à la curée ? Peut-être pas complètement. Mais le malaise général aidant, je pense que tout le monde a en tête cette possibilité de fin de règne et de non-préparation de la relève. Je crains, comme beaucoup d'autres observateurs, que l'avenir proche soit très noir pour le pays. Bouteflika, comme le zaïm qu'il est, se veut éternel et il ne semble pas qu'il veuille préparer sa succession. Celle-ci, en cas de disparition, ne pourra se faire que dans la violence. Ce qui rend l'intervention de l'armée et son retour sur la scène politique presque incontournables. -Saïd Sadi a estimé que l'armée «a repris les choses en main». Y a-t-il un clash au sommet du pouvoir entre les différentes fractions ou bien font-elles bon ménage ? Est-ce que l'armée a repris les choses en main ? Je ne crois pas que pour le moment ce soit là la bonne interprétation des quelques événements qui ont eu lieu (entre autres la nomination d'un général à la tête de la DGSN). Je crois, pour ma part, que l'armée n'est pas encore de retour sur la scène politique.Mais qu'elle s'y prépare activement dans le cas d'une succession à problèmes. Dans le cas où tout se déroule normalement – soit conformément à la Constitution actuelle, soit dans le cas où le Président se décide à changer les règles de succession (avec le consentement du système, armée incluse) – l'armée restera en dehors du jeu politique, tout en maintenant le futur Président sous étroite surveillance. L'armée n'a absolument aucun intérêt à revenir sur le devant de la scène politique. Au contraire, elle a tout à perdre, surtout qu'à l'international, elle continue d'avoir mauvaise presse. Elle n'a pas oublié les années noires où les généraux étaient pratiquement interdits de sortie du territoire national, de crainte d'être arrêtés et jugés pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, comme le leur avaient promis les chantres européens des droits de l'homme. Mais si les choses venaient à mal se passer dans le processus de succession, l'armée, d'une manière peut-être indirecte, reprendra nécessairement les choses en main. Ceci n'exclut pas que même dans un processus normal de succession – dans le cadre de la Constitution actuelle, ou celui d'une Constitution réformée – l'armée aura son mot à dire. Et son mot pèsera de tout le poids d'une institution qui se veut incontournable. -Les tiraillements au sein du FLN ne sont-ils pas, à votre avis, révélateurs de quelque chose dans le sérail ? La lutte pour la succession est-elle lancée ? Je ne suis pas certain que les tiraillements au sein du FLN dont vous parlez ont quelque chose à voir avec ce dont on parlait il y a un moment. A mon sens, il s'agit plus d'une guéguerre entre barons pour renforcer leurs positions respectives au sein du vieux parti. Chacun ne pense qu'aux prochaines élections (locales, régionales et même nationales) et aux bénéfices qu'ils en retireront pour eux-mêmes et pour les clans qu'ils représentent. Il s'agit de renforcer leurs propres clans en tentant d'éliminer ceux des autres. -Le FLN est-il un parti comme tous les autres ou demeure-t-il toujours le «parti-Etat» où tout se décide ? Pèsera-t-il dans le choix du candidat du pouvoir pour la prochaine présidentielle ? J'ai beaucoup de mal à répondre à cette question. En voyant comment le parti fonctionne, en analysant sa composante humaine et en connaissant les objectifs premiers de ses militants, il ne me semble pas que le FLN ait un rôle fondamental à jouer dans la prochaine élection présidentielle. Il sera un parti comme un autre.De deux choses l'une, où tout reste en l'état (candidature de l'actuel Président ou de quelqu'un d'autre que lui et/ou les décideurs auront de concert adoubés) et le FLN continuera à jouer son rôle de soutien «indéfectible» au programme du candidat adoubé. Ou bien les choses changeront – c'est-à-dire que la succession se fera dans le cadre de l'actuelle Constitution – et le FLN se verra dans l'obligation de présenter son propre candidat et dans ce cas, il sera un parti comme un autre. Peut-être même moins bien loti que les autres, parce qu'il aura à rendre des comptes sur son bilan depuis l'indépendance. Et ce dernier n'est pas du tout rose. Toujours est-il que le FLN est une immense machine, ayant des ramifications sur l'ensemble du territoire national et qui a une très forte capacité de mobilisation. Cette capacité, il l'a toujours mise au service d'un homme fort. Et si, à la prochaine élection présidentielle, il s'en dégage un, le FLN mènera campagne pour lui et pèsera de tout son poids pour l'aider à prendre les rênes du pouvoir.