L'abstention doit être interprétée comme une « défection totale » des citoyens par rapport au politique. C'est ce qu'a déclaré le politologue Rachid Grim dans cet entretien, précisant que partis politiques et pouvoir « ont perdu toute crédibilité ». Comment interprétez-vous les résultats des élections locales ? Si nous nous contentons des chiffres officiels, les résultats sont très faibles, même si le ministre de l'Intérieur les juge extraordinaires. Il ne faut surtout pas oublier qu'il s'agit d'élections locales très proches du citoyen. Elles le concernent directement, parce qu'elles ont une relation directe avec la gestion de sa vie quotidienne. C'est étonnant que le ministre de l'Intérieur déclare qu'elles sont bonnes. Elles sont désastreuses du fait du fort taux d'abstention. Selon vous, pourquoi cette forte abstention ? Elle reflète la défection totale des citoyens par rapport au politique. Et quand je dis le politique, cela sous-entend les partis politiques et le pouvoir, qui n'ont aucune crédibilité vis-à-vis des électeurs. Ces derniers ont adressé un message très fort à destination du politique, mais je pense qu'il n'a pas été saisi. Rappelez-vous les déclarations du ministre de l'Intérieur lors des élections législatives lorsqu'il avait dit, en parlant du fort taux d'abstention, qu'il n'était pas important, mais qu'il fallait attendre les locales où les citoyens vont être nombreux à aller voter. Or, aujourd'hui cela n'a pas été le cas. Le faible taux de participation devra donner à réfléchir non seulement aux partis politiques, mais également au pouvoir. Demandez à vos proches et entourage pourquoi n'ont-ils pas voté et ils vous diront qu'il n'y a pas de raison pour qu'ils aillent aux urnes. Pourtant, les communales sont de loin plus importantes que tout autre rendez-vous électoral. Dans les pays occidentaux, ce sont elles qui intéressent les électeurs parfois beaucoup plus que la présidentielle. L'abstention s'explique par la défection, mais aussi par une rupture flagrante de la confiance entre les dirigeants et les citoyens. Ces derniers se disent : « A quoi bon d'aller voter puisqu'il n'y aura aucun changement. Les maires qui partent ne sont pas différents de ceux qui arrivent : hadj Moussa part et Moussa hadj le remplace. » Quelle lecture pouvez-vous faire sur le réaménagement de la politique locale imposé par les résultats ? Vous parlez du phénomène FNA ? Du FNA, mais aussi de la dégringolade du FFS et du MSP, du retour du RND et du FLN... C'est vrai, le MSP a perdu, tout comme le FFS qui, faut-il le préciser, vit une crise interne qui l'a discrédité. Le PT a fait un pas en avant, mais nous ne pouvons pas être aussi affirmatifs du fait que les résultats chiffrés rendus publics par le ministère de l'Intérieur sont difficiles à vérifier, exception faite pour la Kabylie où les données relatives au FFS et au RCD peuvent être fiables, dans la mesure où la fraude est difficile dans cette région. Néanmoins, le phénomène FNA reste pour moi un vrai mystère. Si lors des élections législatives de 1997 il est entré par erreur dans l'échiquier électoral avec, si je ne me trompe pas, 2 sièges à l'APW, en jouant sur la ressemblance de son sigle avec celui du FLN. Mais cette fois-ci, c'est vraiment l'énigme. Moussa Touati incarne le FLN néo-conservateur. Je dirai qu'il représente la tendance la plus conservatrice. Il est pire que l'actuel FLN. Cela ne rappelle-t-il pas le cas du RND en 1997 ? Pas du tout. Le RND est l'émanation d'un grand mouvement de militants du FLN qui voulaient une sorte de changement. Le RND avait une base, mais cela n'est pas le cas du FNA. Il est sorti du néant. Peut-on dire que c'est grâce au travail de ses deux élus à l'APW qu'il a pu émerger ? Cela m'étonne fort. Néanmoins, il n'est pas exclu que ce soit une création des néo-conservateurs du FLN. D'après vous, pourquoi le FLN a-t-il perdu des voix ? Il faut reconnaître que le parti garde quand même sa position de première formation, même si en cours de route il a perdu des voix. Je reste persuadé que ce parti reste celui du pouvoir et de ce fait, il continue à attirer vers lui non seulement les anciens nostalgiques, mais également tous ceux qui ambitionnent d'être à l'intérieur du régime ou qui aspirent tout simplement avoir les privilèges de ce dernier. Par contre, le RND a su préserver sa deuxième place en dépit des nombreuses crises qui l'ont larvé. Quelle analyse faites-vous du recul des islamistes, notamment du MSP ? Ce recul me pousse à m'interroger sur la montée du FNA. Est-ce que le parti de Moussa Touati est en train d'être préparé pour remplacer le MSP au sein de la coalition présidentielle ? Je pense que ceux qui ont aidé le FNA à rafler autant de sièges pour se présenter comme une force politique ont un objectif à court terme. Celui de remplacer le MSP, en perpétuelle régression. Selon vous, y aura-t-il du nouveau après ces élections ? Je ne le pense pas. J'ai eu à discuter avec de nombreux candidats de toutes tendances confondues, y compris du FFS, du RCD et du PT, et leur logique reste toujours la même : d'abord leurs intérêts puis ceux de la collectivité. Comment voulez-vous qu'avec de tels profils il y ait une quelconque évolution ? Cela veut-il dire que la situation ne changera jamais ? Je reste convaincu que ce changement ne peut être arraché qu'avec la logique des émeutes. Le pays est sur un chaudron. Il bouillonne. Vous avez remarqué que quelques pluies seulement ont causé des désastres et engendré des émeutes dans de nombreuses régions. Pour arracher leurs droits, les citoyens sont à chaque fois obligés de recourir à la violence. Si la situation continue ainsi, un jour tout basculera, sauf si le pouvoir réagit à temps pour instaurer une vraie démocratie. Mais cette culture n'est pas celle du régime, dont le seul souci est de se maintenir au pouvoir. Cela serait un miracle qu'un jour il décide de prendre en charge les aspirations du peuple.