A Oman, le théâtre a adopté un ton libre et audacieux, qui souligne une certaine évolution du quatrième art dans la région du Golfe. La troupe théâtrale omanaise Sollala a agréablement surpris le public présent lundi soir au Théâtre national Mahieddine Bachetarzi, avec la présentation de Awrak Makchoufa (Cartes dévoilées), une pièce présentée à la faveur du deuxième Festival international du théâtre d'Alger (FITA). Mise en scène par Imad Mohcen Al Chanfari, la pièce évoque d'une manière simple et sans forcer le trait le rapport entre la population et les gouvernants. Des rapport conflictuels marqués, d'une part, par le mépris et la haine, et de l'autre, par l'allégeance et la soumission. Dans un département gouvernemental, ou peut-être un palais, des citoyens sont venus se plaindre auprès de «maali el wazir», le ministre : une mère qui n'a pas les ressources pour soigner son fils, un aveugle qui n'a plus les moyens de subsister, un entrepreneur qui n'arrive pas à avoir de marchés, un musicien écrasé par l'indifférence… Et, il y a une journaliste, courageuse, qui a osé dénoncer ce même ministre. Pour avoir écrit des articles critiques, elle a été licenciée par son journal. «Vous êtes la honte de la société. Vous oubliez les problèmes de la société et vous vous attaquez à nous», lui crie le ministre. La reporter lui rappelle qu'elle détient des preuves de son implication dans des affaires de corruption. Le ministre se met en colère. A ce moment- là, un séisme réduit presque en ruine la bâtisse. Tout le monde est prisonnier des décombres. «Nous sommes tous les mêmes», dit l'un des survivants. Ce n'est pas l'avis du «Ministre» qui veut régner sur les lieux, même en temps de crise. Une partie des rescapés accepte le fait accompli, alors que la journaliste tente vainement d'organiser la résistance. «Venez avec moi. Il faut casser cette porte pour sortir retrouver la lumière», crie-t-elle. Elle n'est suivie de personne. La mise au pas sécuritaire des sociétés arabes a réduit presque en poussière l'espoir de soulèvements populaires pouvant imposer le changement. La lâcheté paraît parfois «la qualité» la plus partagée dans des sociétés prises en étau entre le règne aveuglant de l'argent ou la loi obscure des répressions. D'un ton libre et quelque peu cynique, Awrak Makchoufa est une pièce osée. Elle dit tout haut ce que beaucoup disent tout bas. Même si l'expression est parfois au premier degré, cette pièce a le mérite de jeter une lumière crue sur la situation politique et sociale dans la région arabe. Le caractère décalé de Awrak Makchoufa protège la pièce du discours de l'estrade. L'idée du déshabillage, soulignée par des comédiens à moitié nus, est certes connue, mais elle aide à accentuer le drame de l'absence de liberté. Absence qui favorise toutes les formes d'esclavagisme, d'embrigadement et de violence. La pièce se termine sur un note fortement pessimiste qui laisse supposer que demain sera peut-être le même qu'aujourd'hui. A moins d'un… sursaut de dignité. Les comédiens Samira Al Wahibi, Aïssa Adjzoun, Achraf Al Machikhi, Omar Al Basraoui, Moayad Al Yafie, Khaled Al Chanfari, Djallal Ghabech, Kabous Al Chanfari, Amal Al Nouiri et Modine Ghaleb ont impressionné par leur jeu parfait, naturel et convaincant. La musique, petite mais présente, a été conçue par Yasser Aboudoukhane, a ajouté un certaine poésie à une pièce plaisante qui confirme que le théâtre omanais a beaucoup évolué ces dix dernières années, gagnant en audace et en maturité. «Il y a beaucoup d'arbitraire dans le monde arabe. Les citoyens éprouvent beaucoup de difficultés à pouvoir s'adresser aux responsables. Ces responsables ont toujours le regard ailleurs», a analysé Khaled Al Chanfari, comédien. Selon lui, la pièce a eu plusieurs prix à Oman. «Même si la troupe est soutenue par le ministère de la Culture, nous sommes libres dans nos créations et de nos choix de sujets à traiter sur scène», a ajouté Khaled Al Chanfari. Il s'est dit impressionné par le public algérien. «Ah, si nous avions le même public à Oman !», a-t-il confié. Awrak Makchoufa devrait être présentée prochainement en Syrie, au Maroc et en Italie.