Les cycles économiques n'ont pas de prise sur la vie politique de Ahmed Ouyahia. Le diplômé de l'ENA a connu, en étant aux affaires, deux récessions dans l'OCDE, l'une après l'éclatement de la bulle Internet en 2001, l'autre après la crise des subprimes en 2008 ; deux creux des recettes d'exportation énergétiques de l'Algérie (1999 et fin 2008 début 2009) ; un plan d'ajustement structurel dont le pays n'a pas fini d'essuyer les plâtres (96-98) ; un pic historique de recettes d'hydrocarbures (2008) et ; deux plans de grandes dépenses publiques, le troisième démarrant cette année. Le tout sans jamais rien perdre de son aplomb. Ni jamais quitter le gouvernement depuis janvier 1996. Du reste, le plus souvent à sa tête. Transposé en France, voir Ahmed Ouyahia discourir sur l'avenir économique de l'Algérie à l'Assemblée nationale correspond en gros à retrouver Edith Cresson encore et toujours Premier ministre, haranguant les parlementaires sur le bien-fondé d'une réforme «socialiste» de la retraite. Qui tend encore l'oreille ? Il faudra pourtant le faire - une dernière fois ? - puisque la gouvernance économique algérienne a choisi d'être amnésique, donc versatile. Ahmed Ouyahia a défendu un néo-patriotisme économique bon crin devant les députés. Il a pour cela, une fois de plus, torturé la vérité des chiffres, notamment en présentant les 1,6 milliard de dollars d'IDE captés par l'Algérie en 2009, en dépit de l'entrée en vigueur du 51%-49% imposé aux investisseurs étrangers, comme la preuve que la mesure ne baisse pas l'attractivité du pays. Tout le monde ne sait pas, en effet, que l'essentiel de ce chiffre est constitué par les importations de capitaux auxquelles les banques étrangères ont dû recourir pour satisfaire à l'obligation d'augmenter leur capital social de 30 millions d'euros à 100 millions d'euros. Quel est le montant des capitaux entrants aux neuf premiers mois de 2010 ? Silence. 2010 est l'année du blocage des rapatriements de dividendes. A verser au palmarès de l'attractivité. Pour le reste, il s'agit de refaire de l'expertise algérienne l'instrument de réalisation des plans publics. Excellent. Comment ? Le Premier ministre décline son mode opératoire sur le ton des «ponctions sur les salaires» par lesquels il avait fait son entrée en politique. C'est l'Etat qui signe les chèques des projets d'équipement, c'est donc lui qui décide comment et qui rentre sur le marché algérien, et qui profite de ses commandes. Ingénieux. Sauf que cela n'a jamais, nul part dans le monde, suffi à construire un tissu d'entreprises performantes. Sinon l'Arabie Saoudite, avec son budget hors normes, aurait dû avoir déjà 20 entreprises globales cotées sur les grandes places mondiales. L'ancien chef de gouvernement a déjà promis en 1998, entre autres promesses, que les exportations hors hydrocarbures de l'Algérie allaient dépasser les 2 milliards de dollars par an au tournant de la décennie. 12 années plus tard, ce n'est toujours pas le cas. Sur le même territoire de l'amnésie, le Premier ministre s'est fondu cette fois d'une autre promesse-objectif. Faire passer la part de l'industrie de 5,3% du PIB à 10% du PIB. En 2014. A cet horizon, très proche, le PIB de l'Algérie pourrait – avec un baril à plus de 100 dollars- dépasser les 150 milliards de dollars. Ahmed Ouyahia affirme, sans se démonter, qu'il va faire produire pour 15 milliards de dollars de valeur ajoutée au secteur industriel à la quatrième année à partir d'aujourd'hui. «En rétablissant des synergies rompues sur leur aval pour les entreprises publiques». Décodage pour les non initiés : l'Etat donneur d'ordre «par ses commandes» a oublié ses entreprises. Et il va leur donner à nouveau du plan de charge. Voilà comment l'industrie publique contribuera à une nouvelle «naissance» de l'industrie nationale. D'ailleurs, le projet est en route puisque la SNVI, Saidal et quelques autres EPE, qui «ont des marchés», ont bénéficié d'un soutien de l'actionnaire public pour la modernisation de leurs outils de production. Y a-t-il un économiste sérieux pour soutenir que ce «plan» nombriliste va faire renaître l'industrie nationale ? Bien sûr, il existe en parallèle, un programme de mise à niveau de 20 000 PME, pour faire du privé, «l'autre levier» de cette renaissance industrielle. Le privé ? Ahmed Ouyahia a fait, cette année, vider le FCE de ses membres chefs d'entreprise publiques, pour avoir émis un point de vue discordant sur sa politique économique. Personne ne le voit dépenser à torrent pour faire passer les entreprises privées aux dernières normes ISO. Mais s'il n'y avait que cela. La part de l'industrie est tombée dans le PIB de 18,5% à 5,3%. C'était entre 2003 et 2009. Un échantillon des années Ahmed Ouyahia. L'homme qui défie la mémoire économique.