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Les immigrants clandestins demandent une enquête
ABANDONNéS PAR LE MAROC AU SAHARA-OCCIDENTAL
Publié dans El Watan le 08 - 11 - 2005

Allez camarade, suis-moi, nos frères nous attendent. » Luc Ebongue fait signe à son compatriote qu'il vient de trouver en train de discuter avec nous pour l'inviter à aller prendre le déjeuner que l'un de leurs amis a préparé avec les ingrédients nécessaires que leur procure chaque jour le Front Polisario.Mais Simon, un Camerounais de 30 ans, fait comme s'il n'avait rien entendu et continue de nous raconter son aventure.
Une aventure qui l'avait conduit à tenter, via Ceuta et Melilla, l'eldorado européen, comme le reste des 94 autres immigrants clandestins subafricains qui ont élu domicile, depuis le 13 octobre dernier, à Bir Lehlou, en territoire du Sahara-Occidental. Récupérés il y a près d'un mois par les unités du Front Polisario en plusieurs endroits du côté du mur de défense après avoir été jetés par les forces marocaines dans les confins du désert, ces candidats immigrants à l'exil souffrent de plusieurs symptômes. Traumatisés, certains traînent toujours des blessures causées par les forces marocaines. Tandis que d'autres souffrent de la malaria et de la gale. La fatigue perce dans sa voix, Simon raconte, gorge dénoyée, le traitement que lui ont fait subir les forces marocaines avant d'être abandonné dans le désert. « D'abord, dès notre arrivée au commissariat de police de Nador, ils nous ont accueillis par des gifles, des bastonnades et des coups de poing », raconte le jeune Simon. Après plusieurs vaines tentatives de grimper la clôture métallique séparant le nord du Maroc de l'enclave espagnole de Melilla, il sera arrêté dans la forêt près des frontières de Ceuta qui lui a servi de refuge avec ses « camarades » au Maroc et emmené au commissariat de Nador. Délesté de tous ses biens (portable, calepin, argent...), selon son témoignage, il sera par la suite embarqué dans un bus en compagnie d'autres immigrants, menottes aux mains, et envoyé vers une destination inconnue. « Toute personne qui n'a pas la nationalité sénégalaise ou malienne est envoyée dans les bus. Nous étions entre 200 et 300, et ils nous ont dit qu'ils vont nous emmener à Oujda », dit-il. Simon dit ne pas oublier le cauchemar qu'il a vécu pendant son parcours vers le désert. « Nous sommes restés menottés tout le parcours et même pour aller au petit coin, il fallait le faire tout en restant attaché à son ami », dit-il. « A la moindre réaction, enchaîne-t-il, les bastonnades reprennent. » C'est devant le mur de défense qu'ils ont été largués par les militaires marocains après quatre jours de marche vers le Sud. « Un officier nous dira : si vous les Africains nous vous avons ramené jusqu'à cet endroit, c'est parce que vos pays ont refusé de vous rapatrier, et qu'à 5 km d'ici il y a les autorités mauritaniennes qui nous attendent pour nous aider à atteindre nos pays », se rappelle le Camerounais.
Course à la survie
Les militaires marocains les ont sommés par la suite de passer par un couloir délimité de part et d'autre par de petits drapeaux rouge et blanc. Inquiets de se retrouver dans un endroit de nulle part, les rescapés du désert ont voulu se révolter. « Une fois passée la ligne, nous nous sommes retournés et avons vu les militaires marocains en train d'effacer nos pas avec un balai traditionnel, ce qui nous a inquiétés. Et quand on a voulu réclamer, ils ont tiré des coups de feu pour nous disperser », dira Simon. La course à la survie commence alors. Les immigrants ont erré dans le désert pendant quatre jours sans eau ni nourriture jusqu'à ce que les unités militaires du Front Polisario les ont retrouvés. Après ce calvaire, Simon ne pense qu'à une chose : que justice soit faite, que celui qui les a jetés en plein désert paye pour ce qu'il a fait. « Nous ne sommes pas ici par nous-mêmes. Le coupable doit imaginer notre lendemain », dit-il. A ses yeux, le Maroc doit reconnaître son tort. Nous avons des droits et nous devons bénéficier de ces droits auprès des Marocains. Simon se dit être certain qu'il y a plusieurs disparus dans le désert. « Dans le bus qui nous a emmenés vers le mur nous étions 36 personnes, et là nous nous retrouvons à 23 », dit-il inquiet. Son compagnon Narcisse Tcheuffa, du Cameroun également, demande carrément des poursuites judiciaires contre le Maroc. « Il faut que le Maroc nous dédommage pour que nous réalisions nos projets d'aller en Europe. » « Nous demandons au HCCR de nous recevoir pour déposer plainte contre le Maroc », poursuit-il. Narcisse Tcheuffa témoigne qu'au moment de son refoulement, devant le grillage, il a vu une dizaine de cadavres par terre. « Nous sommes sûrs que le Maroc les a tués, il a dépêché des renforts militaires armés de kalachnikov au moment de notre refoulement », a-t-il dit. Babiré Biriza Mature Burkinabé est parmi ceux ayant tenté à plusieurs reprises de franchir les deux enclaves espagnoles. Parti du Burkina Faso le 24 avril 2004, il a transité successivement par le Nigeria, la Libye avant d'atterrir en Algérie durant la même année. En Algérie, c'est à Hassi Messaoud puis à Alger et à Maghnia qu'il s'est retrouvé avant de s'infiltrer clandestinement avec des amis à Rabat puis Tanger. Maçon de son état, Babiré Biriza Mature dit avoir tenté sa chance vers l'Europe pour se faire de l'argent, ensuite une bonne situation au Burkina Faso. Mais son rêve s'est transformé en cauchemar, dit-il. Naïf qu'il était durant sa première tentative, il pensait que les gens passaient sans aucune contrainte par les enclaves espagnoles. « Je ne savais pas qu'il y a une barrière de policiers en arrivant là-bas. Quand je suis arrivé, ils m'ont demandé mon passeport, que je n'avais pas sur moi », dit-il.
La dernière tentative
C'est dans la forêt de Souidet près de la frontière avec Ceuta qu'il s'est réfugié et c'est après que les policiers marocains lui ont indiqué le chemin. « Ils m'ont montré la forêt et m'avaient dit qu'il y avait beaucoup de camarades », dit-il. Près de 1700 Sub-Africains vivaient, selon lui, dans cette forêt. Comment se débrouillent-ils pour se nourrir ? Si certains arrivent à se maintenir en vie avec leurs maigres économies, d'autres recourent carrément à la mendicité pour vivre. « Dans la forêt de Gourougou, dit-il, c'est d'une décharge que se nourrissaient mes frères quand les camions venaient déverser leurs poubelles. » Comme Narcisse Tcheuffa, le Camerounais, Babiré pense que le Maroc a usé de beaucoup d'atrocités à l'égard des immigrants africains. « Si l'on ne s'en sort pas les bras et les pieds fracturés au cours de l'assaut de la clôture métallique, les forces de GUS nous tabasseront à mort », dira-t-il. La dernière tentative , Barbiré l'a faite à la nage du côté de Melilla avant d'être surpris par la Guardia espagnole qui l'a à son tour cédé aux forces de police marocaine qui l'ont emmené à Oujda. Après ce calvaire passé entre les mains des Marocains, Babiré demande, lui aussi, à l'ONU d'intervenir pour déposer une plainte contre le Maroc. « Je demande à l'Onu de nous aider à déposer plainte contre le Maroc qui a violé les principes fondamentaux des droits de l'homme », a-t-il dit, non sans oublier de remercier le Front Polisario de les avoir sauvés d'une mort certaine. Ne souhaitant pas retourner au Maroc pour d'autres tentatives, Babiré ne veut également pas repartir dans son pays. Il demande seulement à être accepté dans un pays d'accueil qui lui permettra de trouver un emploi pour vivre dignement. Contrairement à ce Burkinabé, les 50 Gambiens et les 22 Nigérians qui se trouvent à Bir Lehlou ne souhaitent qu'une chose : retourner chez les leurs. « Nous demandons à la Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara-Occidental (Minurso) de nous conduire à la frontière mauritanienne pour ensuite entrer chez nous », dira Ismail Ndiyay. Ce Gambien parti, dit-il, « pour ramener de l'argent pour pouvoir vivre dignement dans son pays », a passé 7 ans en Mauritanie avant d'être arrêté dans la région de Tan Tan puis emmené à Oujda. Ismail Ndiyay parle avec rage de ce qu'il a enduré chez les Marocains. « On a été très mal traité par les Marocains. On nous a envoyé au désert, les Marocains voulaient notre mort », décolère-t-il. Ce n'est pas le cas des Ivoiriens qui ne souhaitent pas retourner dans leur pays. Parti de son pays, la Côte d'Ivoire, qui sombre dans une guerre civile, Diara Amado, 27 ans, a transité par le Mali et le Sénégal d'où il avait pris le vol pour Casablanca. Un endroit dans lequel il a séjourné, 5 mois jusqu'à son arrestation. « Quand on m'a attrapé, les Marocains m'ont frappé et m'ont volé mon portable Nokia et mes 1300 euros », témoigne-t-il. Diara se sent perdu quand on lui a demandé d'imaginer son avenir. « De toute façon, il n'est pas question d'être rapatrié dans mon pays », dit-il. Il dit avoir fui la guerre pour demander l'asile politique en laissant derrière lui ses parents morts. Comme ses amis camerounais, lui aussi témoigne qu'il y a des dizaines de disparus dans le désert. Ils étaient 36 personnes dans le bus qui les a emmenés jusqu'au désert et il n'en reste que 8 hébergés à Bir Lehlou. Son compagnon Koni Amadou a été refoulé à Ceuta le 16 septembre dernier après avoir décliné sa nationalité. Lui aussi a perdu les 2000 euros qu'il avait pris avec lui.


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