Rixe sanglante par-ci, coup de boutoir par-là ! Le FLN est au bord de l'implosion. A la base comme au plus haut de sa hiérarchie, l'entente semble déjà impossible. La bonne parole laisse place à la calomnie. La menace chasse le dialogue. A un an et demi des législatives et à trois ans et demi de la présidentielle, le vieux parti plonge progressivement dans une ambiance délétère. Les réunions de renouvellement des kasmas et des mouhafadhas tournent souvent au pugilat, parfois même à la bataille rangée. A Annaba, le sénateur Mohamed Salah Zitouni a brandi son arme de gros calibre contre de jeunes militants lors d'une «attaque» contre le siège de la mouhafadha pour déloger les «indus occupants». A Hydra, une réunion pour l'élection des nouveaux membres de la kasma a vite tourné au vinaigre. Invectives, heurts et coups de poing. La bagarre, qui a débordé dans la rue, s'est soldée par une dizaine de blessés. Le bilan aurait pu être plus lourd, n'était l'intervention rapide des services de sécurité. Les divergences de vue s'expriment ainsi de la manière la plus forte. La colère fait perdre la raison aux uns et attise la violence des autres. Les affrontements sanglants se sont propagés telle une traînée de poudre à travers le territoire national. De Bouira à Tiaret en passant par M'sila, Souk Ahras et Oran, aucune structure de base du parti n'est épargnée par cette nouvelle vague d'agitation. La course aux postes devient une course à l'abîme. Le FLN attire les opportunistes de tout acabit qui savent pertinemment que se présenter à une élection sous le sigle du parti équivaut à une victoire. Les ambitions se déchaînent et ne connaissent plus de limites. Pour Abdelaziz Belkhadem, il n'y a pas feu en la demeure. Le secrétaire général du FLN ira jusqu'à qualifier ces sanglantes querelles de «signe de bonne santé» du parti. Et voilà que les tiraillements prennent vite une autre tournure. Cette fois, le coup est venu non pas de la base, mais d'en haut. Des hauts cadres, députés, sénateurs et ministres, dénoncent les errements du parti et lancent une action commune de «remise sur rails» appelée «le mouvement de redressement et de l'authenticité». Fin de la collégialité Parmi ces cadres, il y a des noms qui ne laissent pas indifférents : Mohammed Seghir Kara, El Hadi Khaldi, Abderrachid Boukerzaza, Abdelkrim Abada, Saïd Bouhedja ou encore Salah Goudjil, qui a été de toutes les batailles au sein du parti. Bien que loin du terrain, Abdelkader Hadjar semble apporter grandement son soutien à cette action qui cible principalement Belkhadem accusé de «déviationnisme». Ce qui file des boutons au secrétaire général du FLN. D'autres ténors du parti, tels que Abderzak Bouhara, ruent dans les brancards depuis de longs mois. Le trio El Hadi Khaldi (ministre de la Formation professionnelle), Mohammed Seghir Kara (député et ancien ministre) et Salah Goudjil (également député et ancien ministre) se montre très offensif. Depuis quelques jours, les trois hommes se succèdent dans la presse pour charger Belkhadem en lui faisant porter toute la responsabilité de la crise qui secoue terriblement le FLN. Le principal grief retenu contre le SG, c'est le fait de chercher à tout contrôler. «Au FLN, il n'y a pas et il n'y aura pas de zaïm. Celui qui cherche à le devenir finira inéluctablement dehors», a lancé Salah Goudjil, un des caciques du parti. Selon lui, d'autres ont déjà essayé, sans y parvenir. Pour étayer ses propos, il relève quelques irrégularités commises lors du 9e congrès ; parmi elles, le retour à l'ancienne organisation sans pour autant la respecter. Lors du congrès rassembleur de 2005, le FLN a été doté d'une nouvelle organisation pour éviter une autre crise, semblable à celle de 2004. L'organisation de 2005 réduisait les pouvoirs du SG, devenu responsable non pas sur le parti, mais sur la seule commission exécutive comptable devant le conseil national. 9e congrès : mainmise sur le FLN «Lors du 9e congrès, Belkhadem a imposé l'ancienne organisation, à savoir le comité central et le bureau politique», regrette Salah Goudjil, qui émet plusieurs réserves sur le déroulement du congrès. Pour lui, derrière cette réorganisation se cache une volonté de faire main basse sur le FLN : «Depuis le congrès, le SG a accaparé toutes les responsabilités. Il refuse le dialogue. Il ne consulte personne. C'est inacceptable. Le principe cardinal au FLN, c'est la collégialité.» «En 1964, lors du 3e congrès, Ben Bella avait tenté la même chose, ce qui avait conduit à l'opération du 19 juin 1965», prévient-il, accusant Belkhadem de vouloir utiliser le parti à des fins inavouées. «Le FLN est un parti au service du peuple et du pays. On ne peut accepter qu'il soit au service des personnes et des intérêts personnels», clame-t-il. Cet ancien ministre attaque également Belkhadem sur la question de la femme : «Il ne cesse de parler de la place de la femme au sein du parti. Mais on constate que le nombre de femmes au sein du comité central a reculé de plus de la moitié par rapport au 8e congrès. Même les 15 députés femmes ne figurent pas toutes dans le CC.» M. Goudjil va plus loin en accusant Belkhadem de «gérer le parti comme une zaouïa». De son côté, Mohamed Seghir Kara parle de «visées douteuses» du SG. Lesquelles ? La présidentielle ? S'il n'a pas exprimé sa volonté de briguer un mandat présidentiel, le SG du FLN ne l'a non plus pas exclue. Belkhadem a commencé à travailler pour lui bien avant le 9e congrès. D'abord, les structures de base n'ont pas été renouvelées. «Il a laissé les secrétaires de mouhafadha qu'il a lui-même désignés pour une période transitoire. Ce sont ces mouhafadhate qui lui ont préparé un congrès sur mesure», dénonce M. S. Kara, qui a été l'un des principaux acteurs du mouvement de redressement mené contre Ali Benflis en 2004.
Un slogan à la soudanaise ! M. Kara indique que le comité central compte plus de 150 membres qui ne répondent pas aux statuts du parti, à savoir 10 années de militantisme ininterrompu au sein du parti. Aussi, il relève que les congressistes ont été triés au niveau des mouhafadhate. Il accuse certaines personnes, sans les citer, de «trafiquer les cartes» de militant. D'après lui, ce trafic qui fait rage a permis à des opportunistes et des trabendistes d'occuper des postes de responsabilité. Pour les animateurs du mouvement de redressement, Belkhadem ne fait qu'encourager cette situation en laissant la porte ouverte à toute adhésion : «Il veut faire du FLN un parti des affairistes. Il a d'ailleurs créé le secrétariat des finances et des affaires. Ce qui n'a jamais été fait auparavant», précise-t-il, se demandant «pourquoi une telle structure dans un parti qui appartient à tout le peuple». Autre grief retenu contre le SG du parti : le slogan du FLN qui a été importé du Soudan. M. Kara raconte que cela s'est fait lorsque Belkhadem a rencontré le président soudanais Omar El Béchir. Il lui aurait dit «votre slogan m'a plu et je vais l'adopter comme slogan de notre congrès. C'est une grave dérive», estime Kara. Selon lui, elle n'est pas la seule. Notre interlocuteur reproche à Belkhadem, comme aux autres membres du mouvement, le fait de calquer l'organisation du bureau politique du parti sur celle du parti au pouvoir en Egypte avec 15 membres, dont 3 femmes. Kara estime également qu'«il est indigne d'un responsable politique d'appeler les militants à aiguiser les épées et à trancher les têtes» de ceux qui le critiquent. El Hadi Khaldi, autre animateur du mouvement de redressement qui multiplie des déclarations dans la presse, affirme que les initiateurs du mouvement ont agi sous la pression de la base. Belkhadem dos au feu ! Selon lui, les membres de bureau de plusieurs kasmas ont été choisis sur la base de critères qui n'ont rien à voir avec le règlement intérieur. Ce sont, d'après lui, «des gens qui ont fait preuve de loyalisme au chef ou simplement des trabendistes». Pour Khaldi, Belkhadem n'est pas le seul secrétaire général du parti. Il y en a plusieurs, mais il met en avant le nom de Amar Ferrikha, ancien wali de Sétif, qui est, d'après lui, révoqué de la Fonction publique. «C'est Amar Ferrikha qui décide. Belkhadem ne fait que signer. Je me demande ce qui lie à ce point ces deux hommes et d'où vient la force de Ferrikha qui a fait beaucoup de mal au parti durant les années 1990 ? Les militants de Sétif et de Tipasa n'en savent que trop», souligne le ministre. En réponse à ce mouvement, Belkhadem a brandi la menace de l'exclusion. Dans un communiqué du bureau politique, le secrétaire général du FLN promet de sévir contre les cadres dirigeants qui ont enfreint les «règles de discipline du parti». S'appuyant sur ses bons rapports avec le président Bouteflika, qui est également président d'honneur du FLN, Belkhadem pense ainsi avoir le dos au feu et le ventre à table. Questionné à maintes reprises, il se montre serein et rassuré. «Ne craignez rien pour le parti. Celui qui est piqué par un scorpion doit regarder en dessous de ses pieds», a déclaré Belkhadem, dans une conférence régionale à Ouargla. Pour lui, ce mouvement de redressement est une tempête dans un verre d'eau. Les «redresseurs», de leur côté, ne semblent pas inquiétés par les menaces de Belkhadem. Déjà, pour eux, le président de la commission de discipline, Amar Ouazani, n'a aucune légitimité. Selon Kara, il s'est retiré du FLN depuis 20 ans. Le clash s'annonce ainsi très fort. La bataille autour du contrôle du parti n'est qu'à son début. Belkhadem est-il suffisamment appuyé pour survivre à cette vague contestataire ? Le mouvement de redressement trouvera-t-il les ressources nécessaires comme en 2004 pour atteindre son objectif comme en 2004 ? Qui aura le dernier mot ? L'avenir nous le dira.