Le Nil, décrit comme «le fleuve éternel» par le poète Ahmed Chawki, alimente les tensions entre le duo Soudan-Egypte et les pays de l'Afrique de l'Est. Dix pays se disputent ainsi les ressources du fleuve roi. Les Etats africains dans lesquels coule le Nil espèrent voir «un partage équitable» de ses ressources, faisant planer le spectre d'«une guerre de l'eau» dans la région. Car l'Egypte devient nerveuse dès qu'on cherche à convoiter les ressources du fleuve qui fait sa prospérité. Le pays de Hosni Moubarak prétend détenir des droits «historiques» sur le deuxième fleuve le plus long au monde qu'aucun autre pays ne peut contester. La fronde menée par l'Ethiopie, l'Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, le Kenya est perçue comme une tentative «d'assassiner» l'Egypte. Pour les 80 millions d'Egyptiens qui en reçoivent 90% de leurs ressources en eau, le fleuve est intimement lié à l'histoire de leur pays. Le fait que l'Egypte se situe en aval du fleuve rend son existence tributaire des pays situés en amont. Pour justifier sa position, le gouvernement égyptien s'appuie sur un texte de 1959 qui réserve à l'Egypte la part du lion avec 55 milliards de mètres cubes, et au Soudan — où se rejoignent le Nil Blanc et le Nil Bleu — avec 18,5 milliards de mètres cubes. Face à la fronde des autres pays du Nil, Le Caire a resserré ses liens avec Khartoum en vue de faire front aux tentatives d'exploiter ce qu'ils considèrent comme «leur» ressource. En mai dernier, cinq pays situés enamont ont signé unilatéralement un nouveau traité, sans l'Egypte ni le Soudan. La soif des pays traversés par le «fleuve roi» est exacerbée par une démographie galopante et une volonté de développer leur économie. Parmi les pays qui mènent la révolte, l'Ethiopie, avec ses 85 millions d'habitants, qui abrite la source du Nil Bleu (85% du débit) dans le lac Tana, ainsi que l'Ouganda (31 millions d'âmes) celle du Nil Blanc dans le lac Victoria. Le premier cité ambitionne de devenir le principal exportateur d'électricité en Afrique de l'Est. Les convoitises autour Nil deviendraient même, aux yeux des responsables égyptiens, une manœuvre visant à déstabiliser leur pays. Ils se méfient particulièrement d'Israël, qui participe à des projets d'ouvrages sur le Nil en Ouganda et en Ethiopie, dont certains canaux transportant les eaux du fleuve parviendraient déjà près de la frontière israélienne. Face aux Etats africains (Ethiopie, Tanzanie, Ouganda, Kenya, République démocratique du Congo, Rwanda et le Burundi) qui ont signé, en mai dernier, un traité plus en accord avec leurs intérêts, l'Egypte a émis des avertissements : «L'Egypte se réserve le droit de prendre toutes les mesures pour défendre ses droits historiques sur les eaux du Nil», a affirmé devant le Parlement, Mohamed Nasreddine Allam, le ministre de l'Eau et de l'Irrigation. Le fait est, par ailleurs, que le réchauffement climatique risque de compliquer encore plus la situation. Une baisse du débit du fleuve aurait un impact dramatique sur l'Afrique de l'Est. La guerre de l'eau aura-t-elle donc lieu ? Si les observateurs internationaux jugent peu probable la possibilité d'une expédition égyptienne contre les Etats africains, les litiges autour des eaux du Nil restent néanmoins récurrents. En 1978, la menace de construction d'un barrage sur le lac Tana, en Ethiopie, avait amené Sadate à agiter le spectre de la guerre. «L'eau est le seul mobile qui pourrait conduire l'Egypte à entrer de nouveau en guerre» disait, en 1979, le président assassiné. L'ancien secrétaire général de l'ONU, Boutros Ghali, soulignait, lui aussi, que la prochaine guerre que livrera son pays se déroulera dans les eaux du Nil.