Poursuivis pour atteinte à l'un des préceptes de l'Islam, les 8 jeunes prévenus, arrêtés le 31 août dernier dans la localité d'Ighzer Amokrane, 60 km à l'ouest de Béjaïa, ont bénéficié d'une relaxe pure et simple au terme d'un procès qui s'est tenu hier au tribunal correctionnel d'Akbou. C'est en vertu de l'article 144 bis 2 du code pénal qu'ils ont été poursuivis mais, selon leurs avocats, la cour, ayant constaté le défaut d'infraction et l'absence d'éléments légaux, a estimé qu'elle ne pouvait condamner des citoyens pour non-observation du jeûne, car cela relève de la conviction intime. C 'est vers 9h que s'est ouvert le procès avec une forte présence de militants de partis politiques, d'adhérents de la Ligue algérienne de la défense des droits de l'homme (Laddh) et de citoyens venus apporter leur soutien aux prévenus. La foule compacte était massée aussi bien dans la salle des audiences qu'en dehors des grilles du tribunal. Une fois les formalités de vérification d'identité des prévenus expédiées, le juge s'est attaché à reconstituer les circonstances exactes de leur arrestation par la police. Le magistrat s'est également évertué à savoir si des appels publics, par le biais d'affiches ou de panneaux, ont été lancés aux citoyens pour venir se restaurer. L'audition des prévenus a prouvé que non. Il s'agissait plutôt de cas personnels de citoyens qui utilisaient un bâtiment de locaux commerciaux neufs comme abri pour siroter un café ou griller une cigarette. Les policiers, ayant opéré une descente dans ces lieux, ont embarqué tous ceux qui s'y trouvaient avant de les auditionner au commissariat de la ville. Cela a fait dire à l'un des avocats que «cette dérive policière ne devait nullement entraîner une dérive judiciaire». Dans quel cas peut-on exactement parler de dénigrement ou d'atteinte à l'un des préceptes de l'Islam ? Telle est la question que se sont posée les nombreux avocats qui se sont relayés à la barre pour défendre des prévenus sagement alignés devant le juge. L'instruction menée par le président du tribunal a, d'ailleurs, démontré que la plupart de ces jeunes gens ont été arrêtés dans des circonstances qui ne prouvaient absolument pas la non-observation du jeûne dans un endroit public et encore moins l'atteinte à l'un des préceptes de l'Islam. Les plaidoiries des avocats se sont axées principalement sur l'interprétation controversée du fameux article 144 bis 2 et sur la défense des libertés individuelles, étant donné que l'observation ou la non-observation du jeûne relève plutôt de la sphère personnelle et de la conviction intime. «Le Ramadhan est une affaire entre Dieu et ses créatures. L'Etat n'a pas à s'immiscer là-dedans», dira l'un des avocats. D'autres ont plaidé que ce genre de procès, qui relève plutôt de l'inquisition, ne fait que ternir l'image de l'Algérie et de l'Islam, donnant ainsi du grain à moudre à tous ceux qui veulent coller au pays et à sa principale religion une réputation d'intolérance. Au terme de plaidoiries qui auront duré un peu plus de deux heures, la cour a annoncé son retrait pour délibérer. A son retour, le juge a prononcé la relaxe de tous les prévenus au milieu des applaudissements nourris de la salle. Une grande démonstration de joie a eu lieu à l'intérieur même du tribunal de la part des présents, notamment des militants du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK), présents en force. Pour Saïd Salhi, de la Laddh, l'un des artisans de la mobilisation autour des prévenus : «C'est un procès historique qui fera date. L'arbitraire a reculé devant la mobilisation populaire.» Ainsi, après le procès des non-jeûneurs de Aïn El Hammam, c'est la deuxième fois, en quelques semaines, que la justice refuse d'appliquer à la lettre le fameux article 144 bis 2 dont l'interprétation se caractérise par une grande opacité et une certaine élasticité. Fruit de la mobilisation populaire et médiatique ou clairvoyance des magistrats, le refus de suivre le parquet dans l'application d'un article controversé et liberticide ne peut que conforter les libertés individuelles et la liberté de culte.