Fellag, plus qu'un nom, un antidépressif que la Sécurité sociale doit rembourser. Son dernier livre, Le mécano du vendredi, se lit avec les oreilles. Et tentez une mission impossible : ne pas rire. Cela commence par un sourire timide, complice, qui s'élargit au fil des phrases, avant de devenir un rire sonore, bruyant à déranger les locataires permanents du Palais du gouvernement. Et n'allez surtout pas croire que c'est un écrivain du dimanche, heu… du vendredi. Quand on aime, on écrit juste. Fellag est un éternel amoureux. L'Algérie, il l'a chevillée au cœur. Pas n'importe quelle Algérie, celle des petites gens. Celle qu'on ne voit pas d'El Mouradia, même avec des jumelles. Le télescope Hubble n'y peut rien. Alors, le talent et la tendresse pallient cette cécité. Et parce qu'il faut sortir la littérature de son vase, Fellag a pris sa Renault 4, en «guewriya» 4L, cette petite voiture sabot que tout chauffeur algérien répare lui-même, «hchouma» (la honte) d'aller chez le garagiste, pour nous raconter une histoire, multitudes d'histoires, qui désacralisent et l'Algérie officielle et l'écriture prétentieuse, car creuse. Non, Fellag n'est pas un artiste, un écrivain subventionné. Le mécano du vendredi est une formidable description de l'Algérie, des Algéries. Avec des mots simples, mais tournés d'une façon magistrale, il nous narre avec un humour salvateur une société éclatée, schizophrénique, où les marionnettistes ne sont pas toujours ceux que l'on croit. S'il convoque le passé, c'est pour mieux dire le présent. Réconciliation, Fellag nous réconcilie avec nous-mêmes, allant jusqu'à piocher un peu d'amour en nous. Bon, c'est l'histoire d'un mec… Non, d'un amour impossible entre le personnage et Zoubida, sa voiture. Un amour impossible, capricieux. Tout dépend de la batterie, Sonelec, mon amour. «Nbghik même b'shour», pourvu que tu fonctionnes. «Walou», rien de rien. Tous les amours ne finissent pas mal en général, sauf si le delco te lâche ou que tu embrasses un camion. L'absurde rattrape le quotidien, ou le contraire, et l'auteur s'amuse à se perdre dans les dédales de l'Algérie des années 1980. La débrouille élevée en art de vivre. Euphorisant. Donc, c'est l'histoire d'un mec, Youcef, remercié par la Télévision nationale (pas publique, hein) à cause de son talent et de ses idées louches, même pas capable de suivre les orientations officielles, qui passe sa vie à lui courir derrière. Et ce n'est pas sa 4L qui lui permettra de la rattraper. Plus il pousse, plus il fait du surplace. Avec un rare talent de narration, Fellag déconstruit le récit et crée son propre style. Derrière l'ironie, l'humour se cache un cœur tendre. Une ode à Alger. Et pour mieux savourer ce récit à la Buster Keaton, Jacques Ferrandez, l'auteur notamment des Carnets d'Orient, apporte son crayon tout au long du livre. A abuser sans modération. Ce n'est pas du cinéma, enfin si, courez à la première librairie. Laissez votre 4L, prenez les transports. C'est plus sûr.