Combien de fois sourions-nous par jour ? Impossible de le dire, tant cela dépend des personnalités et des instants choisis. Mais sourions-nous toujours pour exprimer le plaisir ? «Le sourire provient d'une vibration qui associe la joie et la terreur, l'émerveillement et l'effroi», écrit Patrick Drevet dans son essai Le Sourire (Gallimard, 1999). Complexe, il révèle ce que nous sommes. Pourtant, à l'inverse du rire, qui préoccupe les chercheurs depuis une vingtaine d'années, peu d'études ont été consacrées à la plus subtile des expressions humaines. A quand remonte le premier ? A la naissance, il n'existe pas. Il apparaît chez le bébé entre son 30e et son 45e jour, au plus tard à 3 mois, pour exprimer un contentement à la vue d'une personne familière, à l'écoute d'un son mélodieux ou après un repas. Sourire est d'abord un mécanisme cérébral. Selon les scientifiques, tout commence par une excitation de la partie antérieure de notre hypothalamus, glande située à la base du cerveau. Telle une onde, elle transmet un influx nerveux au système limbique, siège des émotions. Le tonus musculaire se relâche, les réactions faciales de contentement apparaissent (une excitation de la partie postérieure de l'hypothalamus entraîne des réactions de mécontentement). Si quinze muscles sont nécessaires pour rire, il en faut autant pour amorcer ce que le dictionnaire définit trop simplement par «un léger mouvement des yeux et des lèvres». Mais à chaque type de sourire, ses muscles spécifiques ! Ainsi, le sourire de politesse, simple plissement des lèvres, met en jeu la contraction du grand zygomatique, alors que le sourire de joie, large et éclatant, fait intervenir l'orbiculaire palpébral, le muscle des paupières. Celui-ci ne s'active qu'involontairement lors de sensations agréables : impossible de confondre un rictus contraint et un sourire de bonheur. Le sourire est un autre langage, un moyen de traduire ce qui, en nous, reste muet. Loin d'être un «sous-rire», il ouvre sur de multiples univers : il y a le sourire épanoui de l'amoureux, le gêné du timide, le conquérant du séducteur, le serein de Bouddha. Nous en avons retenu six. Tour d'horizon. Le sourire de bienvenue, celui qui nous accueille Le sourire de bienvenue ou de politesse, à la fois proche et distancié, met spontanément à l'aise, même si l'on n'a aucun lien avec celui qui nous l'adresse. Il n'entre pas directement dans notre sphère intime, ne s'adresse pas à qui nous sommes, mais à ce qu'il y a d'universel en nous. «Un sourire sincère touche en nous quelque chose d'essentiel : notre sensibilité innée à la bonté», souligne le dalaï-lama dans Sagesse ancienne et monde moderne. Le sourire complice, celui qui nous rassemble Le sourire complice exprime l'appartenance à une même histoire. Il révèle une entente étroite, une connivence avec certains êtres choisis. «J'aime capter la complicité des regards et des sourires quand je prends des photos d'inconnus dans la rue», explique Steven, 25 ans, photographe taïwanais qui parcourt le monde. Les sourires qu'il capte sont les meilleurs souvenirs de ses voyages. Le sourire séducteur, celui qui désarme Un éthologiste allemand a montré que le sourire est partagé dans la plupart des rites de séduction à travers le monde. Le sourire est toujours ce que les femmes apprécient le plus chez un homme, avant le regard. Le sourire assure et rassure à la fois. Le sourire défensif, celui qui nous préserve Face à l'inconnu, le sourire est notre première arme, une forme de lâcher prise destiné à paralyser nos pulsions agressives et à neutraliser celles que l'autre peut ressentir à notre égard. C'est un signe d'apaisement que nous partageons avec toutes les civilisations du monde. Le sourire audacieux, celui qui nous donne de l'assurance S'obliger à sourire nous entraîne à retenir les aspects positifs, à mettre en avant nos succès plutôt que nos échecs. Le sourire nous aide à mieux gérer notre stress, à faire face aux changements avec davantage de sérénité Le sourire gêné, celui qui nous excuse Loin de toujours exprimer le plaisir, le sourire peut aussi marquer notre volonté de prendre de la distance : un sourire gêné peut nous monter aux lèvres lorsque nous venons de commettre un impair et que la honte nous submerge. C'est le sourire commentaire, celui qui marque le désarroi.