En liant la question de l'immigration au problème de la délinquance, le président Sarkozy «veut donner des gages à la frange la plus radicale de ses électeurs», estime le député socialiste, maire d'Evry, Manuel Valls. La pauvreté reste «le terreau principal de la délinquance que l'on soit athée, chrétien, juif, musulman, français ou étranger», tranche-t-il dans cet entretien, où il s'exprime également sur le couple algéro-français. Valls, un socialiste qui ne parle pas «la langue officielle» de la rue Solférino (siège du PS), animera une conférence mardi au CCF d'Alger. - Vous présidiez une mission d'information parlementaire sur la nationalité, alors que le président Nicolas Sarkozy, lors de son discours de Grenoble, a proposé de «revoir l'automaticité de l'acquisition de la nationalité à 18 ans pour les mineurs étrangers nés en France». Y a-t-il une volonté du gouvernement de remettre en cause le droit du sol et pourquoi ? Les craintes sont légitimes et le risque est réel. Les députés socialistes ont donc décidé d'entrer dans cette mission pour garantir la transparence de ses travaux et le caractère contradictoire de ses débats. Nous pensons qu'il vaut mieux être à l'intérieur du dispositif pour le contrôler et influer sur son cours. Au besoin, nous serons là pour faire front aux velléités des membres les plus radicaux de la majorité. A cet égard, les premières auditions conduites par la mission ont donné des gages rassurants. Ancien député gaulliste et président du Conseil constitutionnel de 2004 à 2007, Pierre Mazeaud a ainsi rejeté toute atteinte au droit du sol. Interrogé par le rapporteur UMP sur cette opportunité, il a répondu qu'« il n'y a pas lieu de modifier» la législation régissant l'accès à la nationalité. Venue d'une figure éminente de la droite, cette parole devrait être entendue. Toutefois, nous resterons jusqu'au bout les défenseurs vigilants de nos principes fondamentaux. Si d'aventure, les travaux de la mission s'orientaient vers une remise en cause du droit du sol ou du droit à la double nationalité, nous livrerions – moi le premier –– une opposition sans concession. - La question de l'immigration se trouve, depuis quelques années, au centre du débat politique français. La droite la «stigmatise», la gauche la considère comme «une chance» pour la France. Quelle est votre appréciation, vous qui êtes maire d'Evry, une commune où vit une forte communauté issue de l'immigration ? Je pense qu'il faut sortir des postures simplistes et des approches binaires. Depuis des années, j'appelle de mes vœux l'émergence d'un consensus républicain sur ce sujet. Force est pourtant de reconnaître que ce consensus peine à naître ! Les positions prises au plan national sont trop souvent l'expression d'un simple souci d'affichage. Il est grand temps d'aborder la question de l'immigration sans se laisser déborder par les passions et les provocations de tout bord. A cet égard, la récente disparition du ministère liant les questions de l'identité nationale et de l'immigration est un signe encourageant. Oui, je suis convaincu que l'immigration peut être une chance pour la France. Située au carrefour de la Méditerranée et de l'Europe septentrionale, elle a toujours été une zone de mélange des populations. Personne d'ailleurs ne le conteste. Intellectuel monarchiste, Jacques Bainville écrivait lui-même en 1924 : «Le peuple français est un composé. C'est mieux qu'une race. C'est une nation.» Au cours des siècles, la France a profité de multiples apports étrangers. Les immigrés sont toujours conduits par la volonté et l'énergie de construire une vie meilleure. L'espoir qui les anime peut donc contribuer à la prospérité de ceux qui les accueillent. Mais je suis également persuadé que l'immigration doit être encadrée et accompagnée pour produire ses meilleurs effets. A défaut, les difficultés actuelles de notre modèle d'intégration deviendront insurmontables. Disons le clairement : trop d'immigrés sont aujourd'hui tenus en marge de la société française. Relégués dans des quartiers ghettos, ils sont confrontés à l'exclusion économique et sociale et sont soumis aux tentations du repli communautaire. Nous devons donc à la fois réguler les flux migratoires et multiplier les efforts en faveur de l'intégration. Depuis 8 ans qu'elle est au pouvoir, la droite n'a pas accordé la priorité qu'elle mérite à cette seconde exigence. Le sort réservé au plan de Fadéla Amara en faveur des banlieues illustre ce désengagement : il n'a jamais été mis en œuvre malgré le volontarisme de la secrétaire d'Etat (…). Si la gauche l'emporte en 2012, elle devra s'investir à fond dans la lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination. C'est l'un des combats que je mène au quotidien dans ma commune ; c'est surtout l'un des principaux défis de la France de demain. - Le gouvernement Sarkozy agite le chiffon rouge de l'immigration dès qu'il s'agit des questions de sécurité. L'immigration serait-elle ainsi intimement liée à l'insécurité ? Confronté à une baisse inquiétante de popularité, Nicolas Sarkozy cherche aujourd'hui, avant tout, à remobiliser sa base électorale. En liant la question de l'immigration au problème de la délinquance, il veut donner des gages à la frange la plus radicale de ses électeurs. Il souhaite aussi exacerber les tensions pour masquer son échec en matière de sécurité et enfermer la gauche dans un discours compassionnel. Je ne crois pas qu'il mette en cause, de la sorte, les principes de l'Etat de droit. Mais je suis convaincu qu'il dégrade les règles du débat démocratique. Au lieu de viser la mesure et l'efficacité, il privilégie la surenchère et l'affichage ; au lieu de s'appuyer sur la raison et la confiance, il prospère sur l'émotion et les peurs. Cette stratégie «d'hystérisation» rend très difficile une approche objective des liens entre immigration et insécurité. Nul ne peut sérieusement contester que les prisons françaises comptent de très nombreux détenus d'origine immigrée. A la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, le plus grand centre pénitentiaire d'Europe, leur pourcentage dépasse 50%. La situation est sans doute différente en dehors de l'Ile-de-France, mais cet exemple reste éloquent. Tout responsable politique soucieux des réalités doit en tenir compte. Diverses causes peuvent expliquer cette surreprésentation. Les travaux récents d'Hugues Lagrange, sociologue au CNRS, tendent à montrer l'importance des différences culturelles. Ils font actuellement l'objet d'un débat en France. Sans rien céder aux préjugés racistes, je pense qu'ils méritent notre attention. Il est probable, en effet, que les différences culturelles compliquent le processus de socialisation. Mais ces raisons sont marginales en comparaison des facteurs économiques et sociaux. La pauvreté est le terreau principal de la délinquance – que l'on soit athée, chrétien, juif, musulman, Français ou étranger.
- Vous êtes candidat aux primaires socialistes. Si vous étiez élu président de la République, quelle serait votre conception des relations entre Paris et Alger ? J'ai noué des liens affectifs avec l'Algérie à plusieurs titres. Engagé auprès de Michel Rocard, j'ai été très tôt sensible aux questions de la décolonisation et aux combats pour l'indépendance. Maire d'Evry aujourd'hui, je compte de nombreux amis et collaborateurs issus de l'immigration algérienne. Méditerranéen pour la vie, je partagerai toujours la fascination de Camus pour la terre et la culture de votre pays. Vingt ans après mes premiers voyages sur les contreforts de l'Atlas, je souhaite partir à la découverte de l'Algérie actuelle. C'est le sens de ma visite. Je suis en effet convaincu que le partenariat franco-algérien est incontournable: il suffit de regarder les liens historiques et humains, certes tourmentés, mais particulièrement forts, qui unissent nos deux pays. Ces liens n'ont pas d'équivalent et je crois qu'ils constituent un atout formidable. Nous devons les mettre au service de nos intérêts partagés, et ils sont nombreux ! Je pense bien sûr au partenariat économique car nos deux pays sont très complémentaires et ont chacun à faire face au défi de l'emploi des jeunes. Je pense aussi aux enjeux de l'après-pétrole que nous devons anticiper dès aujourd'hui : la France possède un important savoir-faire dans des technologies pouvant intéresser l'Algérie, qui elle-même dispose d'un fort potentiel en matière d'énergies renouvelables. Je pense enfin à la circulation des personnes qu'il faudrait fluidifier, dans les deux sens d'ailleurs ! Je souhaite également souligner combien la France et l'Algérie ont un rôle crucial dans le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée : elles doivent être un moteur dans la coopération entre le Maghreb et l'Europe du Sud. Sur des sujets comme l'environnement, l'éducation ou la défense, celle-ci prend notamment la forme du 5+5. C'est un cadre de travail qui fonctionne, tâchons donc de l'approfondir. Pour moi, le partenariat algéro-français se doit d'être ambitieux : près d'un demi-siècle après l'indépendance, je voudrais une relation qui soit résolument tournée vers l'avenir et vers les défis que nous avons en commun. C'est la responsabilité des nouvelles générations politiques.