Depuis longtemps, le pays s'inquiète du devenir de la formation universitaire. C'est vrai, le constat est un peu alarmant, car il ne faut pas oublier que l'Algérie était passée par une période très difficile. Je ne veux pas redire ce que tous les intervenants ont pu constater et, quelquefois, suggérer. Il me semble, à la lecture des interventions, que le problème universitaire se trouve du côté scientifique et technique, car les sciences sociales interviennent rarement dans le débat, comme si du côté arabophone tout est bien, tout est calme. Donc, d'après le nombre d'interventions, le problème se situe beaucoup plus chez les scientifiques francophones que chez les autres arabophones. Du côté scientifique et technique, le problème est grave, car la majorité des enseignants qui avaient un peu d'expérience sont allés s'installer ailleurs, en Europe ou en Amérique du Nord. A cause de la langue, les arabophones, eux, n'avaient pas cette possibilité. Si on revenait vers les universités, le cas n'est pas général, comme on voudrait bien le faire croire. Il y a des régions et des universités qui ont su garder leur équilibre grâce à l'homogénéité de leurs équipes, et d'autres universités n'avaient pas pu réussir cette transition à cause de l'hétérogénéité de leurs équipes. Comme tout le monde le sait, à la fin des années 1970, le Département des sciences naturelles d'Es- Senia à Oran, par exemple, est passé par une tumultueuse période, car le département de géologie était en voie d'extinction. C'est normal, les géologues avaient du mal à attirer des étudiants vers leur camp, car tout le monde préférait les spécialités à forte rétribution et à fort potentiel de recrutement, comme la biochimie, la médecine, la pharmacie et la chirurgie dentaire. Donc, en cette période, le département des sciences naturelles passait par une période douloureuse et de turbulences. On avait entendu dire que les géologues avaient fait scission pour rejoindre le département de géographie. L'information reste à confirmer. Donc, les troubles sont survenus à cause d'un malaise au sein même d'une équipe. La même chose se passait dans le camp des sciences exactes ou maths, physique, chimie et, plus tard, l'informatique. La majorité des étudiants préférerait étudier à Sidi Bel Abbès la chimie et l'informatique et ils boudaient les maths et la physique. L'agitation qu'avait subie le département avait pour origine le malaise ressenti par les matheux et les physiciens, car les autres spécialités accaparaient tous les avantages liés à leurs activités pédagogiques. En quelque sorte, certaines spécialités fortement demandées sont renforcées par le nombre important des étudiants. Donc, le malaise dans les sciences naturelles et sciences exactes était beaucoup plus organique que pédagogique. Il faut dire les choses telles qu'elles sont. Les enseignants ont du mal à accepter le jugement du marché du travail. Effectivement, c'est celui-ci qui impose le choix de la spécialité à l'étudiant et non pas l'université qui à volontairement exclu certaines spécialités et mettre sur la touche leurs enseignants. Ce constat avait pour conséquence la dérive dans la formulation même des programmes. En effet, et c'est un épisode très dramatique qu'avait connu l'université, certains enseignants imposaient carrément leurs spécialités dans le programme, quitte à imposer le doublement horaire pour l'étudiant. Les étudiants ne comprenaient pas le pourquoi de la présence de tel ou tel module, alors qu'il n'avait rien à voir avec la spécialité. Ce refus d'étudier un module les expose à de lourdes peines, heureusement que l'astuce de la moyenne générale était présente pour compenser un module totalement hors sujet. Après la fuite des cerveaux dans les années 1980, 1'université actuelle tourne en majorité avec des ex-étudiants formés en ces années-là. C'est normal, l'enseignant actuel ayant subi une charge et une tension ne pourra pas, selon ses capacités acquises en ces périodes, fournir plus qu'on lui demande. Il était formé dans une période trouble et douloureuse. L'ex-étudiant du milieu des années 1980 avait tout subi, il est actuellement enseignant. L'Etat doit donc prendre en considération ce phénomène de déséquilibre organique et de fuite des cerveaux pour essayer de trouver une bonne politique de formation. Il est aberrant de demander à un enseignant formé dans les années 1980 de faire de la recherche et de fournir des publications dans des revues internationales.A mon avis et après une expérience de 30 ans dans les universités d'Oran et de Sidi Bel Abbès, j'ai pu faire de nombreux constats qui me permettent de proposer une solution médiane qui va équilibrer la situation. Concernant le LMD, le problème n'est pas dans le titre, mais dans ce qu'il va représenter sur le marché du travail. Car, si l'Etat peut imposer aux dirigeants du secteur public d'accepter un licencié pour un poste de travail, il ne pourra pas convaincre le secteur privé d'utiliser ses normes pour le choix de ses futurs collaborateurs. En général, le privé juge le postulant après un entretien, en mettant de côté les diplômes et les titres. A mon avis, le titre LMD ne gênera pas s'il ne gêne pas le secteur public, car le problème est à ce niveau et non pas dans le privé. Concernant maintenant la formation, le constat est terrible lorsqu'on voit un enseignant imposer sa matière dans le programme d'une spécialité qui ne la concerne pas. Il faut que le ministère aille de réunion en réunion pour convaincre les facultés des sciences et techniques de séparer les désirs des enseignants et les exigences d'une formation. L'université d'Es Senia appliquait cette règle. Lorsque, par exemple, la spécialité nécessitait un intervenant de spécialité, elle faisait appel aux étrangers. En cette période, les critères de la formation étaient rigoureusement appliqués. Il était interdit à un enseignant de donner un cours magistral si cette matière est en dehors de sa spécialité. Mais, avec la situation sécuritaire, les enseignants avaient pris le pli et l'habitude de donner plusieurs cours à la fois. Ainsi, il est très facile à un physicien de donner un cours de maths, et à un écologiste de donner un cours de biochimie, et vice-versa. Cette pratique doit, en principe, s'arrêter, car maintenant la situation est devenue normale et la mobilité des enseignants nationaux est grande. Les enseignants de spécialités peuvent se déplacer facilement dans un rayon de l00 km. Il faut noter que cette distance est parcourue quotidiennement en Europe parce que les villes sont très vastes. En principe, un enseignant, au grade de professeur, devrait être mis sous un régime spécial d'utilité publique. Si l'université a besoin de lui et s'il se trouve à moins d'une heure et demie de route, ce professeur n'a pas le droit de décliner l'invitation de donner un cours de sa spécialité. Si on résume, l'Etat doit geler ou revoir tous les programmes LMD confectionnés dans chaque département. Il doit au moins faire subir tout le programme LMD à une expertise afin de juger : primo, l'utilité de la formation et son impact sur le milieu local de la wilaya, et secundo, dénicher les modules toxiques hors spécialités et inutiles dans l'axe de la formation. Sur le plan de la formation, le gouvernement doit séparer, au moins pour le moment, deux catégories d'enseignants : ceux qui font de l'enseignement et ceux qui font de la formation. Les enseignants qui n'ont pas eu la chance d'acquérir un savoir-faire, mais qui sur le plan théorique sont acceptables, ceux-là feront le premier palier de la formation, c'est-à-dire le tronc commun. Donc, pour ne pas mélanger tout le monde, il faut isoler les enseignants qui ont l'habitude de faire du génie de ceux qui faisaient ce qu'on appelait, jadis, le fondamental ou le théorique. Pour le moment, le gouvernement a besoin d'outils pour réussir son plan quinquennal. Justement, ces outils sont les étudiants du LMD. On les trouve dans les écoles du génie général. On pourra citer deux fondamentaux : le génie alimentaire pour faire nourrir tout le monde, et du génie civil pour construire des demeures. La fonction du plan quinquennal est claire : faire nourrir tout le monde. Je pense que pour ne pas trop compliquer le plan quinquennal, il faut rester simple. Faire isoler le génie civil et alimentaire ou agricole du théorique. A Sidi Bel Abbès, par exemple, il y a une faculté en cours de construction et elle doit être réservée au génie alimentaire. La wilaya de Sidi Bel Abbès aura, en fin de compte, trois écoles dans le génie : génie civil, génie agricole et génie médical. Le rôle de l'université, c'est de prendre en charge le côté théorique, c'est-à-dire préparer les étudiants en une année pour les faire admettre dans les écoles de génie afin de préparer le LMD. Le programme de la première année ou du tronc commun doit être du type fragmenté, c'est-à-dire que l'étudiant compose ses modules en fonction de la formation qu'il désirera faire par la suite. On revient, en fin de compte, vers le système des pré-requis qui était appliqué au début des années 1980. Concernant la recherche, elle doit être placée en priorité dans les écoles de génie. L'université, quant à elle, doit offrir une base théorique solide aux étudiants. Par exemple, les langues française, anglaise et arabe doivent occuper 2 heures de TD chaque jour et cela pour tous les étudiants. Ce sont des cours intensifs et à fort coefficient. Les étudiants qui sont forts dans l'une des langues ne peuvent assister qu'aux examens, mais pour le reste, la présence est obligatoire et trois absences successives entraîneront le renvoi définitif de l'étudiant. En fin de compte, l'étudiant doit faire quatre années d'études. Une année théorique et linguistique et trois années de spécialité, contre cinq années pour la faculté de médecine qui a son propre régime de fonctionnement. En fin de compte, l'étudiant doit passer par une commission nationale pour lui délivrer les équivalences. Ainsi, la licence algérienne de quatre années d'études sera l'équivalente du Bachelors of science (BS) nord américain et asiatique.