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La junte nigérienne sur la corde raide
Elle subit des tiraillements depuis le putsch de février 2010
Publié dans El Watan le 25 - 11 - 2010

Malgré le calme apparent qui règne à Niamey et la popularité acquise par la junte militaire,
les principales figures de proue du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie se sont «bunkérisés».
Niamey (Niger).
De notre envoyé spécial

N'étaient les jeeps équipées de mitrailleuses lourdes postées devant le palais présidentiel et les bureaux du Premier ministre, il aurait sans doute été difficile pour un étranger de se rendre compte de prime abord que le Niger est un pays sous Etat d'exception. La junte militaire au pouvoir depuis le 18 février dernier, date du renversement du président Mamadou Tandja, s'efforce, il est vrai, de ne pas se mettre à dos une population désabusée et durement touchée par la paupérisation. Après tout, lance le sourire en coin un représentant du gouvernement : «Le coup d'Etat a été mené pour sauver la démocratie et non pour confisquer les libertés ou étouffer le peuple.» Dès l'installation du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), structure réunissant les principaux acteurs du putsch et chargée de gérer la période de transition, les membres de la junte militaire, commandée par le général Salou Djibo, ont en effet mis un point d'honneur à prouver qu'ils ne se sont pas emparés du pouvoir pour se servir et encore moins pour y rester.
Sur le site internet officiel de la présidence de la République nigérienne «squatté» provisoirement par le CSRD, les militaires veulent jouer à fond la carte de la transparence. Ils se sont d'ailleurs engagés dans une ordonnance signée par le général Salou Djibo à rendre le pouvoir aux civils au bout de 12 mois, soit aussitôt après que sera élu «démocratiquement» un nouveau président. L'élection présidentielle, prévue fin janvier 2011, sera précédée, selon leur feuille de route publiée également sur le Net, par des élections locales et législatives. Le 31 octobre dernier, les Nigériens s'étaient déjà vu invités à se prononcer sur une nouvelle Constitution. Adoptée à une écrasante majorité (90, 10% de oui), celle-ci limite à nouveau à deux le nombre de mandats présidentiels et réinstaure le régime semi-présidentiel qu'avait supprimé le président Tandja. En dépit de l'opposition de la Cour constitutionnelle, Mamadou Tandja avait, rappelle-t-on, organisé un référendum le 4 août 2009 visant à autoriser le remplacement de la Constitution nigérienne. Ce référendum, fortement décrié autant par la société civile que par la classe politique, avait débouché sur deux grands changements, à savoir la non-limitation du nombre de mandats présidentiels et le passage d'un régime semi-présidentiel à un régime présidentiel. Dans la foulée, Mamadou Tandja s'était aussi offert le luxe de faire en sorte à ce qu'il bénéficie d'une extension exceptionnelle de son mandat de 3 ans pour «achever les chantiers entrepris». Il n'en fallait pas plus pour qu'il se mette dans le collimateur des militaires.
Le Niger entre le défi démocratique et la lutte pour la survie
Encore que certains observateurs avisés de la scène politique nigérienne soutiennent toujours l'idée aujourd'hui que le président Tandja aurait pu avoir une plus grande longévité à la tête du pays s'il avait manifesté un minimum d'égard envers l'opposition. Comprendre par là s'il avait accepté de lâcher quelques bribes de pouvoir et distribué quelques avantages. Mais de l'avis de tous, Mamadou Tandja, actuellement en résidence surveillée à la Villa verte, mitoyenne avec le palais présidentiel, a réussi tout de même le pari pourtant difficile à fédérer, en un temps record, tout le monde contre lui. A l'inverse, le temps a montré que le départ de Tandja du pouvoir est également loin d'avoir constitué la panacée aux problèmes des Nigériens. Le score imposant enregistré par le référendum constitutionnel du 31 octobre dernier ne doit pas cacher le fait aussi que le taux de participation à ce scrutin (52, 65%) reste tout de même assez faible au regard de l'enjeu que l'événement a revêtu pour le pays. Pour révélateur qu'il soit, ce chiffre renseigne surtout sur une importante perte de confiance de la population en la chose politique.
Perte de confiance qui se vérifie d'ailleurs à travers le désintérêt affiché par la rue nigérienne à l'égard des prochains scrutins. Pour l'heure, seuls les partis politiques en font des événements de première importance.
Les grosses cylindrées, à l'image du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) a d'ailleurs déjà désigné l'opposant historique Mahamadou Issoufou comme candidat à la présidentielle de janvier 2011. Celui-ci est présenté par beaucoup comme le grand favori de ce scrutin devant mettre fin à la période de transition. Quoi qu'il en soit, l'impopularité de Mamadou Tandja - que la cour de justice de la Cedeao veut voir remis en liberté - aura permis en tout cas aux militaires de faire accepter leur coup d'Etat sans grande peine au sein de l'opinion et de donner d'eux l'image de modernistes et de démocrates convaincus. Pour renforcer cette image, le général Salou Djibou, qui commandait une unité opérationnelle avec le grade de commandant, s'est empressé, au lendemain du putsch, de signer un texte de loi - mis sous le coude durant plusieurs mois par le gouvernement renversé - dépénalisant le délit de presse. L'initiative vaudra d'ailleurs à la junte un soutien de la majorité des médias privés. Peu de temps après, le CSRD a mobilisé tous les moyens de l'Etat pour enrayer la crise alimentaire qui a touché plusieurs régions du pays. Ses actions sur le terrain lui ont permis de devenir populaire au sein des couches les plus défavorisées de la population.
Nombreux sont ceux qui reconnaissent d'ailleurs que «depuis le coup d'Etat, les services publics fonctionnent mieux et les ressources financières sont mieux gérées». «Vous pouvez demander à qui vous voulez, tout le monde pense que les militaires devraient rester plus longtemps au pouvoir. Ils gèrent mieux que les civils. Avec eux, il y a beaucoup moins de corruption. Les autres (la plupart des leaders de partis politiques, ndlr) ne pensent qu'à se remplir les poches», soutient Alhassane Amadou, un vieux chauffeur de taxi, qui a d'ailleurs décidé de ne faire partie d'aucun parti politique. Tout le travail abattu depuis le putsch a fini même par convaincre les démocraties occidentales de soutenir le processus de transition. Une source diplomatique se montre par ailleurs certaine que le général Djibo, en dépit de ce qui se dit ici et là, a les choses bien en main et qu'il parviendra à doter le pays d'institutions démocratiques dans les délais annoncés.
La nostalgie de l'époque de Seyni Kountché
Les petites gens ne sont pas les seules à vouloir que les militaires restent au pouvoir. Le point de vue défendu par Alhassane Amadou est aussi largement répandu au sein de certaines élites nigériennes. Militant des droits de l'homme et journaliste à temps plein, Boubacar D. en est même venu à penser, au regard du degré d'indigence et de corruption atteint par les partis politiques, que le salut du Niger réside dans l'arrivée au pouvoir d'un dictateur éclairé qui saura remobiliser le peuple autour d'un idéal et remettre le pays en marche. Boubacar regrette d'ailleurs l'ère du général Seyni Kountché, ce grand ami de Houari Boumediène qui a régné d'une main de maître sur le Niger entre 1974 et 1987 et qui, lui aussi, est arrivé au pouvoir grâce à un coup d'Etat militaire. Malgré son net penchant pour l'autoritarisme, notre interlocuteur reconnaît tout de même au général Kountché le mérite d'avoir légué aux Nigériens le gros des infrastructures dont dispose actuellement le pays et utilisé les devises engrangées grâce à l'exploitation de l'uranium pour développer le pays. «Tous les grands édifices construits à Niamey, à commencer par le Stade olympique, sont l'œuvre de Seyni Kountché. Il a aussi beaucoup fait pour les travailleurs. Depuis sa mort, presque rien n'a été réalisé. Il est normal que nous le regrettions et que nous rêvions d'être à nouveau gouvernés par quelqu'un comme lui», explique Boubacar qui ne comprend pas pourquoi le Niger n'arrive toujours pas à quitter son statut peu enviable de pays le plus pauvre de la planète tout en étant le second plus grand producteur d'uranium au monde derrière le Canada et en ayant un sous-sol qui regorge de pétrole.
La démocratie serait-elle une coquetterie pour le Niger ? Même s'ils ne le disent pas ouvertement, beaucoup de Nigériens en sont aujourd'hui convaincus.
Sont également nombreux ceux qui accusent ouvertement les pouvoirs qui se sont succédé ces 20 dernières années d'avoir bradé aux Français et aux Chinois les principales richesses dont dispose le pays. C'est, selon eux, la raison pour laquelle le Niger continue à dépendre des aides alimentaires internationales. Plus radical, A. T. Moussa Tchangari, membre du conseil de gouvernance de la fondation Alternatives International et responsable d'un journal et d'une radio qui portent le même nom, met, quant à lui, civils et militaires dans le même sac. Connu pour son franc-parler, il ne pense pas que le coup d'Etat réglera la question de la légitimité et de la représentativité.
La raison ? Les putschistes, plutôt que de favoriser la mise en place d'une constituante, ont préféré plier le débat sur l'avenir du Niger lors d'une conférence nationale qui n'a, selon lui, rien apporté de nouveau pour les Nigériens. Pour notre interlocuteur, c'est le même système qui a été reconduit et le même personnel politique qui sera encore appelé à gouverner. En outre, M. Tchangari estime que la décision du CSRD de maintenir en état d'alerte les forces armées constitue la preuve que le général Salou Djibo n'est pas en confiance et craint lui aussi de subir à tout moment le même sort que Mamadou Tandja.
Des proches du général Djibo arrêtés
Il est vrai que malgré le calme apparent qui règne à Niamey et la popularité acquise par la junte militaire, les principales figures de proue du CSRD se sont quand même «bunkérisées». La situation reste en réalité assez précaire même si Salou Djibo bénéficie du soutien franc de l'Occident. Des sources proches du gouvernement soutiennent même que pour éviter toute mauvaise surprise, le ministre de l'Intérieur a placé tout le monde sur écoute, y compris les militaires. Des rumeurs persistantes prêtant simplement l'intention à un groupe d'officiers supérieurs de l'armée d'écarter du pouvoir le général Salou Djibo ont d'ailleurs conduit à l'arrestation, manu militari, le 16 octobre dernier, du n°2 de la junte, le colonel Abdoulaye Badié, pourtant réputé pour être un proche du général Djibo, ainsi que les colonels Sidikou, Diallo, Sanda, Garba et le commissaire Chekaraou (ex-chef des services de renseignements).
Ces derniers se verront officiellement accusés, quelque temps après, d'avoir cherché à assassiner le général Djibo. Officieusement, des sources soutiennent cependant que l'arrestation du colonel Badié, responsable des intendances militaires du temps du président Tandja, est la résultante d'un différend qui l'aurait opposé au général Djibo concernant, entre autres, la durée de la période de transition et le détachement de militaires français stationné au Niger au lendemain de l'enlèvement le 16 septembre dernier de 7 employés d'Areva dans la ville d'Arlit. Le colonel Badié, rapportent ses proches, a estimé en effet que les Français devaient installer leur base opérationnelle au Mali où se trouve le sanctuaire d'AQMI et non au Niger. En revanche, d'autres sources attestent que le colonel Badié et ses camarades sont au-delà de tout soupçon et qu'ils ont tout simplement été victimes d'une intense campagne d'intox ayant eu pour seul but de les éloigner du pouvoir. Certains craignent en effet de les voir monopoliser le pouvoir. Mais au regard du climat de suspicion qui règne actuellement au sein du pouvoir à Niamey et des manipulations ambiantes, il est difficile de se faire une idée claire sur les véritables tenants et les aboutissants de l'arrestation du colonel Badié, surtout que la junte communique au
compte-gouttes et que le Niger est connu pour être un enjeu de premier ordre pour de nombreuses puissances. C'est la raison pour laquelle, explique un diplomate, les rebondissements sont légion dans ce pays.
La preuve, le principal dénonciateur et pourfendeur de Badié, le colonel Hassane Mossi, qui se trouve être le chef d'état-major de l'armée de l'air, a été arrêté à Niamey le 17 novembre au motif qu'il est suspecté d'être à l'origine de fausses dénonciations. Il s'agit bien entendu de celles ayant conduit à l'arrestation du groupe d'officiers dans l'affaire du complot présumé visant à éliminer le chef de la junte.
Quoi qu'il en soit, il pourrait s'agir là d'une bonne nouvelle pour le colonel Badié, un officier formé à l'Ecole militaire d'administration de Montpellier et que tout le monde présente comme «travailleur» et «intègre». Au-delà, les nombreux tiraillements observés au sein de la junte laissent penser que tout peut encore arriver d'ici le mois de janvier prochain. A tout le moins, il paraît évident que les militaires nigériens jouent leur crédibilité dans cette période cruciale que traverse le Niger. Il va sans dire qu'un dérapage au sein CSRD serait préjudiciable autant pour l'armée que pour les Nigériens.


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