Ils étaient plus de 5000 chrétiens et musulmans, à assister, avant-hier, à l'enterrement du jeune chrétien copte Matrious Ged (19 ans) mort lors des affrontements entre coptes et forces de l'ordre survenus mercredi passé dans le district d'El Jiza, à l'est du Caire. Le Caire. De notre envoyé spécial
Ces évènements, provoqués par la destruction d'un projet de construction d'une église par les autorités car «contrevenant à la réglementation municipale», ont propulsé la question de la minorité chrétienne au devant de la scène politique égyptienne, elle aussi très agitée par un climat électoral des plus violents non pas en termes de mobilisation populaire, mais par les violences et attaques verbales entre les deux principales forces politiques du pays, le Parti national démocratique (PND) au pouvoir et les Frères musulmans. Les Cairotes ne semblent pas trop accorder d'intérêt à ces élections législatives très controversées. Le boulevard du 26 Juillet, au cœur du Caire, vit au rythme assourdissant d'interminables klaxons des deux millions de voitures qui traversent les rues du Caire chaque jour. Des banderoles sont accrochées partout, jusque dans les rues étroites ; sur les murs sont placardés les portraits des candidats des différents partis. Cependant, la campagne n'intéresse pas grand monde. «De ma vie je n'ai voté ; je ne possède même pas de carte d'électeur. De toute manière, voter ou non, notre vie ne va pas changer. Nous travaillons sans relâche, mais notre quotidien est un calvaire. Impossible de vivre avec un salaire alors que les prix des produits de première nécessité ne cessent d'augmenter», se lamente Issam, un vendeur de journaux originaire d'Assouan (Sud). «Les élections concernent ceux qui ont passé plus de vingt ans à voter des lois qui ne vont pas dans le sens d'améliorer les conditions de vie des gens», s'indigne-t-il. En Egypte, le salaire minimum légal étant de 400 livres (65 euros), conjugué à une forte augmentation des prix des produits de base, incite les Cairotes à s'éloigner des élections. Les discussions autour d'un thé-chicha dans les cafés portent essentiellement sur les performances des deux clubs mythiques du Caire, Al Ahly et le Zamalek. A écouter les échanges vifs entre Ahlaouis et Zamalkaouis, on croirait que ce sont les deux principales forces politiques du pays. Au célèbre café El Fichaoui, situé dans Le Caire fatimide, face à la grande mosquée d'El Azhar, où tous les établissements sont bondés, les Cairotes s'attablent en famille jusqu'à une heure tardive. Rares sont ceux qui parlent de la campagne électorale. Les discussions politiques ne sont guère évoquées. «Les gens sont fatigués des promesses non tenues des politiques. Ils viennent pendant la campagne électorale nous promettre le paradis ; à peine les bureaux de vote fermés, on ne trouve aucune trace des candidats dès qu'ils deviennent députés», s'exclame Abdelhalim, un sexagénaire. «Je préfère parler à mes enfants de Naguib Mahfouz et de Taoufik El Hakim, dans ce café qui a vu naître leurs plus célèbres romans. C'est à partir de cet endroit que la littérature égyptienne a conquis le monde. Alors que les politiques ne nous ont menés que vers la misère et la pauvreté. Je ne généralise pas, il y a des hommes politiques honnêtes et dignes, mais ils sont en dehors du pouvoir, on ne leur donne pas la chance d'exercer. Ce pouvoir est entre les mains d'une caste qui a accaparé toutes les richesses du pays. L'Egypte éternelle est trahie», lâche notre interlocuteur. Peu de Cairotes sont mobilisés à la faveur de cette campagne électorale déterminante pour l'avenir politique de l'Egypte. Les résultats, même s'ils ne traduisent pas réellement les grandes tendances politiques qui traversent la société égyptienne, pèseront lourdement dans le choix du candidat à l'élection présidentielle de 2011. L'appel au boycott des élections législatives lancé par l'ancien président de l'Agence internationale à l'énergie atomique, Mohamed El Baradai, qui dirige le Mouvement national pour le changement et d'autres formations politiques telles que le Front démocratique, les Socialistes révolutionnaires et le Parti communiste égyptien (ces deux dernières formations ne sont pas reconnues) rend l'élection moins crédible. M. El Baradai, en qui beaucoup d'Egyptiens voient le sauveur, est devenu le personnage le plus encombrant pour le régime Moubarak. Son action en faveur du changement «a brisé le mur de la peur. Il a percé la chape de plomb qui s'est abattue sur la société depuis l'arrivée du raïs au pouvoir», commente un journaliste du Doustour. Ce grand journal d'opposition a subi les foudres du pouvoir. «Le pouvoir a usé d'une opération machiavélique pour couper la tête du journaliste Ibrahim Issa», commente le collectif du Doustour. En sit-in de contestation au siège du Syndicat des journalistes depuis deux mois, date de l'éviction de Ibrahim Issa de la rédaction en chef du journal le plus critique du Caire les journalistes ne se font pas d'illusions quant à l'issue du scrutin de demain. «La machine à truquer les élections est en marche depuis longtemps. Le paysage politique ne changera pas. Le parti du raïs l'emportera avec ou sans les électeurs, d'autant qu'il s'est assuré un allié, le parti Wafd, avec qui des tractations sont en cours», analyse un journaliste spécialiste des partis au journal Doustour. Et d'ajouter que la majorité des Egyptiens ne croit plus aux élections. Si au Caire, l'ambiance n'est pas à l'heure électorale, dans les autres villes du pays, c'est l'affrontement physique entre Frères musulmans et forces de l'ordre. A chaque meeting, des heurts se produisent entre les deux parties. Les Frères musulmans dénoncent des élections truquées d'avance, alors que le parti de Moubarak a appelé à éliminer les candidats des Frères musulmans qui se sont présentés en indépendants. Il faut rappeler que l'organisation des Frères musulmans est interdite en Egypte ; ses candidats doivent se présenter aux élections en tant qu'indépendants. Les responsables de cette organisation estiment que «la vague de répression et d'arrestations des membres de leur parti, à quelques jours des législatives signifie qu'il n'y aura pas d'élection en Egypte. Ce qui se passe actuellement est un trucage du vote». A 24 heures du scrutin, un tribunal administratif égyptien a ordonné l'arrêt du processus électoral à Alexandrie, la deuxième plus grande ville du pays, citant la disqualification de plusieurs candidats, en majorité de l'opposition. Le juge Adel Azab a déclaré que les élections «devaient être interrompues dans 10 des 11 districts d'Alexandrie parce que plusieurs ordres de la cour renversant la disqualification de certains candidats n'ont pas été respectés». Le régime Moubarak présente les Frères musulmans comme une menace pour l'Egypte. Une tactique qui lui permet de se maintenir au pouvoir et de s'assurer le soutien de l'Occident. «Mais le clan Moubarak, dans son opposition aux Frères musulmans, n'est pas motivé par des convictions démocratiques et le maintien du caractère républicain de l'Etat. Bien au contraire, il utilise les Frères musulmans comme un chantage : si c'est pas nous, c'est les islamistes. Pendant ce temps, son régime étouffe les libertés démocratiques et élimine toute tentative de construire un courant démocratique fort dans la société», a analysé un compagnon de Ayman Nour de Hizb El Ghad (Parti de demain). Une situation qui fait que la majorité des Egyptiens ont érigé un Nil «intraversable» entre eux et une classe politique qui a mené le pays dans une impasse politique. Comme ce Nil qui divise la société égyptienne en deux. Une société où fleurissent les grands buildings des hommes d'affaires liés au pouvoir politique et une autre, celle rejetée par les vagues de ce fleuve éternel. Cette dernière n'est pas très enthousiaste à se rendre aux urnes demain.