On en connaît tous un. Un parent, un cousin, un voisin, une vague connaissance qui, pour gagner sa vie, «est allé au Sud». Ils sont des dizaines de milliers à avoir quitté famille et confort clément du Nord afin de travailler au sein de nombreuses sociétés, publiques ou privées, activant dans l'une des «bases» du Sud algérien. L'on a même tendance à les envier tant est répandue l'idée que cette catégorie de travailleurs touche, en compensation de cette «délocalisation», des salaires conséquents et des indemnités mirobolantes. Mais est-ce effectivement le cas ? Est-ce que l'ensemble de ces personnes touche systématiquement une prime d'isolement ? «Si j'ai un conseil à donner aux plus jeunes en quête d'un travail, c'est d'y réfléchir à deux fois avant de rallier Hassi Messaoud, Ouargla ou autre», avise Aïssa, trentenaire, gestionnaire des stocks depuis 12 ans dans une grande entreprise publique. Basé à quelque 120 km d'In Amenas, dans la bourgade d'Ohanet, il confie regretter, aujourd'hui, d'avoir accepté de telles conditions de vie : «Il faut se rendre compte du sacrifice que représente ce mode de vie. Vous vivez loin de tout, vous trimez comme un dératé, vous perdez votre jeunesse et les vôtres, mais la contrepartie est dérisoire.» Et si voir grandir ses enfants a un prix, il est donné peu cher d'une vie de famille «là-bas». «Je touche, salaire et indemnités de zone comprises, 51 000 DA. Comparativement à mes collègues activant à Alger, la différence n'est que de 10 000 DA !», s'exclame Aïssa. En opposant contraintes et avantages, en pesant le pour et le contre, ils sont unanimes à juger que les primes de zone ne sont plus aussi incitatives et attractives qu'elles l'étaient : «Ce sacrifice, on le faisait pour les indemnités de conditions de vie qui pouvaient faire doubler, voire tripler votre revenu mensuel. Mais de cette période, l'entreprise qui m'emploie n'a gardé qu'un prestige de façade.» Ladite entreprise est tenue par une convention collective à rémunérer ses employés en fonction de leur localisation géographique. Seulement, elle varie, selon les catégories, de quelque 450 DA à 1300 DA par jour de travail. Calculée, au départ, comme étant 6% du salaire de base, elle n'a toujours pas été revue à la hausse. Et ce, malgré les augmentations salariales et la majoration du salaire national minimum garanti (SNMG). «Elle a été calculée avec un référent du SNMG de 6000 DA ! Celui-ci a plus que doublé depuis, mais l'on refuse, jusqu'à l'heure actuelle, de l'indexer sur les nouveaux salaires de base», déplore-t-il. Non imposables dans le meilleur des cas ! Mais là où le bât blesse, c'est que ces sommes ne sont pas imposables. «L'on nous a refusé que ces intérêts soient cotisés. En échange, lors de discussions houleuses avec les responsables, les représentants syndicaux ont obtenu que ces intérêts soient versés en prime de départ, lors de la retraite. Mais jusqu'à présent, rien n'a encore été fait sur le terrain», s'emporte Aïssa. Pour Lyes, employé dans une entreprise publique, ces indemnités ne sont rien moins qu'«une fraude fiscale». «Cela permet au patronat de gonfler les salaires afin de les rendre attractifs, et ce, sans payer d'impôts et sans cotisations. Ce qui, à court terme, arrange tout le monde», concède-t-il. «Mais, une fois l'heure de la retraite arrivée, le travailleur ne touche qu'une pension dérisoire», tempère-t-il toutefois. Il semblerait que même Sonatrach, mastodonte de l'économie et de l'emploi en Algérie, essuie des contestations ayant trait à son mode de rémunération. Plusieurs collectifs de travailleurs s'étaient indignés, par le biais de nombreux communiqués de presse et autres, des décisions managerielles en matière de versement de primes et d'indemnités ou encore du calcul des pensions de retraite. «C'est le miroir aux alouettes et avec le temps, l'on se rend malheureusement compte que ce ne sont que contraintes et déceptions», explique Amer, un ingénieur. «A Sonatrach seulement, ce sont près de 40 000 employés qui sont concernés par cet épineux sujet», pense-t-il savoir. Les damnés du Sud
Las des rudes conditions de vie ainsi que des disparités salariales entre «locaux» et «expats», celui-ci confie songer à «virer de bord». «Les multinationales sont plus ‘réglo' quant aux rétributions et aux relations de travail. Assurément, l'une des raisons pour lesquelles le staff de Sonatrach est prêt à tout, même à sacrifier la stabilité, afin de s'y dégoter un poste. Et ce, quitte à n'être que contractuel !», argue-t-il. Si les employés de Sonatrach n'ont de cesse de dénoncer l'iniquité de cette situation, qu'en est-il des autres ? Si la première entreprise du pays peine à satisfaire pleinement ses employés et à les empêcher de fuir pour rejoindre d'autres multinationales, il semblerait que les petites entreprises privées ne s'inquiètent pas outre mesure de ces dispositions. «Lorsque j'ai parlé d'indemnités à mon patron, il m'a ri au nez en me rétorquant que sur son bureau il y avait plus de 300 CV en attente», raconte, résigné, Lounès, cadre dans une société privée à Hassi Messaoud. Sous-traitance industrielle ou de maintenance, catering, entretien de surfaces, elles sont des centaines d'entreprises plus ou moins modestes à graviter autour des grands groupes, pétroliers entre autres. Et là, «c'est la traite, l'apartheid», assène Larbi, 56 ans, employé dans le catering à Hassi Messaoud. Ouvriers, manœuvres, restaurateurs, femmes de ménage, agents de sécurité sont aujourd'hui les serfs des temps modernes, taillables et corvéables à merci. De la main-d'œuvre à moindre coût, qui affilent les heures de travail, et ce, sans pouvoir jouir d'heures supplémentaires, d'indemnités de zone ou de risque, ou encore de congés annuels ou de festivités. Que peuvent-ils y faire ? Refuser ? «S'ils ont fait autant de kilomètres pour un travail, c'est qu'ils en ont vraiment besoin. Et ils le font pour n'importe quel salaire, dans n'importe quelles conditions», estime Lounès. S'en référer aux pouvoirs publics ou autres ? Rien n'oblige une entreprise à verser de tels avantages à ses employés. Et la peur des représailles, synonymes de chômage, les en dissuade. Unique solution : serrer les dents et louer la providence d'avoir un gagne-pain. Même de misère. Ils sont d'ailleurs moins rares que l'on pourrait le penser. Selon les recensements de l'Office national des statistiques (ONS) en 2008, 74% des chômeurs algériens ont déclaré avoir accepté des postes d'emploi sous la condition d'être «mutés» dans une autre wilaya. De même, ils sont près de 67% à s'être résignés à effectuer un emploi «pénible ou insalubre».