Ils sont jeunes et viennent de toutes les catégories sociales. Etudiants, lycéens, fonctionnaires, chômeurs, enseignants, médecins, délégués médicaux et autres ont uni leurs efforts pour une seule cause : libérez Mohamed Gharbi (LMG), une phrase devenue d'ailleurs leur slogan. Depuis plusieurs semaines, ils sillonnent les grandes artères de la capitale, vêtus d'un tee-shirt marqué «Libérez Mohamed Gharbi», pour taguer les murs et façades et occuper les grandes places publiques, pour mener des freez, c'est-à-dire des actions éclair, au cours desquelles ils hissent des pancartes appelant à la libération de Gharbi. Plein de motivation, Khaled fait partie de ce groupe très dynamique qui a su donner au militantisme une forme plus moderne et plus porteuse. «Rapportée par certains journaux, l'histoire de Mohamed Gharbi nous a beaucoup touchés. Nous étions quelques copains et nous voulions apporter notre soutien et notre solidarité, mais tout en étant sûrs que la famille exprime ce besoin», dit-il. Le groupe contacte le fils de Gharbi qui leur fait part de «la situation de détresse» dans laquelle vit la famille. Les jeunes tissent une véritable toile de solidarité à travers facebook, mais également dans les cafés, restaurants et réfectoires des universités. L'intérêt s'élargit et les questions sur Gharbi inondent les forums et retiennent l'attention du petit noyau fondateur. «Nous avons décidé de faire un déplacement à Annaba et à Souk Ahras pour faire un reportage. Nous avons découvert que Mohamed Gharbi n'était pas un simple moudjahid ou un simple patriote. Tous les témoignages recueillis dans sa ville natale le présentent comme un homme de terrain qui porte le drapeau dans son cœur. Il a perdu ses parents, morts dans un bombardement, à l'âge de 12 ans et rejoint le maquis alors qu'il n'avait que 17 ans. Sa vie a été un enfer. Nous lui avons consacré un reportage émouvant de 15 minutes durant lequel nous avons lu la lettre qu'il a écrite dans sa cellule et adressée à son ami. C'était un véritable SOS. Il avait appelé ses proches à venir assister à son dernier jugement de 2008, à l'issue duquel il a été condamné à la peine capitale et les a sommés de prendre soin de la patrie, avant de clore avec des ‘‘Vive l'Algérie et vive les martyrs'' ». Mis en ligne, le reportage suscite la compassion et le soutien de nombreux jeunes qui ont rejoint LMG, chacun avec ses moyens propres. Ils sont touchés par l'histoire de Gharbi, un homme qui s'est consacré à son pays et qui était à l'origine de la création des premiers Groupes de légitime défense, durant la décennie noire. «C'est un homme d'Etat qui malgré tout a accepté le principe de la réconciliation nationale, mais a eu peur pour sa vie à la suite des menaces de mort dont il a fait l'objet et qui n'ont pas été prises au sérieux par l'Etat. C'était de la légitime défense. Nous ne sommes pas contre la réconciliation, mais nous estimons que Gharbi a déjà payé son acte à la société. Il a passé 10 ans en prison. Vu son âge, il mérite une grâce. C'est sur le volet humain que nous agissons et non juridique, étant donné que la peine est définitive. Nous ne sommes ni des partis politiques ni des associations, mais juste un groupe de jeunes très émus par l'histoire d'un héros», révèle Khaled. A partir de là, de nombreux petits groupes LMG se sont constitués à travers le pays, et tout récemment en France (LMG Paris). L'idée d'organiser une caravane de solidarité à travers les villes où il y a une forte communauté algérienne est sur le point d'être concrétisée vu l'engouement des nos compatriotes. «Ce sont tous des Algériens et rien que des Algériens, parce que nous considérons qu'il s'agit d'une affaire algéro-algérienne», tient-il à préciser. Une pétition pour la libération de Gharbi est alors lancée à travers le net et a été signée par plus de 75 personnalités politiques, artistiques et journalistiques, mais également des milliers d'anonymes. «Le nombre de signataires importe peu. L'essentiel, c'est que les gens soient réceptifs. Certains nous ont taxés de communistes, d'autres d'agents du DRS (Département de renseignement et de sécurité), etc., mais nous disons à tous que nous ne représentons que nos personnes : de jeunes cadres, des étudiants et des lycéens qui ne connaissent rien à la politique. Ils sont motivés et engagés pour aider à libérer Gharbi.» Les nombreuses actions de freez, notamment celles des places de la Grande-Poste, de l'Emir Abdelkader, ainsi que celles menées lors des manifestations internationales, comme le Salon international du livre et le méga-concert à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida. «Nous continuerons à sensibiliser pacifiquement tous les jeunes pour demander la libération de Gharbi. Nous y croyons fortement. Les réactions extraordinaires des jeunes démontrent que les Algériens n'ont jamais été désintéressés des problèmes de leur pays», déclare Khaled. Il lance un appel à tous les autres jeunes pour qu'ils s'impliquent, d'une manière pacifique et intelligente, dans cette campagne. «Vêtus de tee-shirt avec le slogan ‘‘Libérez Mohamed Gharbi'', nous prendrons part à tous les événements publics pour raconter l'histoire de Mohamed Gharbi et faire signer la pétition.» Toutes ces actions sont menées grâce à un autofinancement. Lorsque Gharbi a été transféré de Guelma à Khenchela, son fils a eu du mal à trouver l'argent – pas moins de 8000 DA – qu'il faut pour aller lui rendre visite. Il devait aller à Guelma, pour le permis de visite, puis à Khenchela, pour voir son père, bien sûr sans oublier le couffin. Khaled n'oublie pas de remercier la coordination pour la libération de Mohamed Gharbi, composée par des associations et des partis politiques qui, selon lui, mène le même combat que LMG. «Nous avons tous dans le cœur Mohamed Gharbi et espérons que le président sera sensible, comme nous l'avons été en tant que jeunes, à son histoire tragique », conclut Khaled qui, avec Hassan, Samir, Karim, Yamara, et tant d'autres de ses copains et copines, incarnent désormais l'Algérie moderne. Celle qui avance doucement, mais sûrement grâce à ces jeunes qui viennent de donner une leçon de militantisme aux politiciens de salon.