Les soulèvements sociaux, avec leur cortège de violence, de morts, de blessés et d'interpellations parmi les jeunes révoltés, se multiplient. Partant, les émeutes qui ont éclaté hier à Laghouat ne sont pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Avant cette ville du Sud algérien, il y a eu d'autres troubles à Arzew suite à une intempestive décision de démolition de commerces informels. Peu auparavant, des manifestants d'El Attaf (Aïn Defla) ont porté sur la voie publique leur mécontentement face au retard constaté dans le versement de la prime de scolarité. Les habitants de Takhmaret, une bourgade située à 100 km de Tiaret, se sont également rebellés contre l'autorité locale. Il y a eu aussi des escarmouches à Sétif et à Blida. Durant l'été précédent, ce fut au tour des localités de Theniet El Had (Tissemsilt), Oued Chadi (Skikda), Béchar Djedid, Djelfa... de se transformer, le temps d'une colère, en viviers de la contestation populaire. A quelques exceptions près, la misère sociale qui colle aux guêtres des Algériens est à l'origine de ces soulèvements, presque cycliques, qui se sont fait jour dans plusieurs villes du pays. Pourtant, les dirigeants du pays, le président de la République en tête, clament à longueur de leurs discours, que les caisses de l'Etat regorgent d'argent. En proie à un sentiment de hogra, somme toute légitime, les citoyens n'ont d'autre recours que la rue, devenue le réceptacle par excellence de la colère. Face à ce cumul de frustrations, d'attentes non satisfaites et d'injustice sociale, l'Etat ne semble avoir d'autres réponses que la répression, brutale. A chaque soulèvement, les manifestants ne rencontrent devant eux que les casques et les matraques. La gestion policière des conflits sociaux et politiques qui a montré pourtant ses limites pendant ces 15 dernières années est reconduite et érigée en modèle incontestable de gouvernance. Le gourdin devient ainsi la réponse type d'un Etat en mal de perspectives et de réponses d'envergure à même de porter un semblant de paix sociale. L'usage excessif, souvent disproportionné, de la violence produit immanquablement un climat de tension permanent et fait le lit des violences sociales futures qui risquent de compromettre davantage les espoirs du développement et l'hypothétique relance économique. Les représentants du gouvernement se contentent, dans la plupart des cas, d'intervenir, de façon inconsistante et parfois provocante, à travers les médias nationaux au moment où les mesures d'apaisement devraient en théorie être prises et la médiation sociale réactivée. La provocation utilisée jusque-là est l'expression cynique d'un pouvoir qui croit sa victoire définitivement acquise, au risque de dynamiter encore plus le tissu social, déjà assez ébranlée par plus d'une décennie de politique accrue de paupérisation. « La société moderne est basée sur une idée simple : il faut reconnaître aux citoyens le droit de se défendre en instaurant une culture de dialogue », a résumé le sociologue et chercheur Nasser Djabi. Il s'agit de réhabiliter avant tout cette pratique, seule capable de sceller un nouveau consensus basé sur une idée de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Commentant justement la question lancinante de la perte de confiance du citoyen en ses « représentants » décriés, le sociologue a encore estimé que « les élites actuelles en Algérie épousent des idées opposées à celle des couches populaires. Ces élites, qui sont à l'intérieur du gouvernement, des partis politiques et du Parlement, ignorent complètement les réalités et les spécificités du monde du travail », ce qui s'explique, selon lui, par le fait qu'elles renferment en leur sein une dominante néolibérale qui n'a d'yeux que pour l'économie de marché. « On remarque parfois que nos élites sont identiques à celles du capitalisme sauvage du siècle dernier (...) A entendre parler Ouyahia ou Benbouzid, on se croirait en France ou en Grande-Bretagne de l'ère du capitalisme sauvage. D'un côté, nous avons une société qui bouge dans le sens du progrès, et de l'autre un pouvoir figé et complètement en déphasage par rapport à la société ».