C'est le 8 décembre 2010 que s'est clôturée la consultation du «Green Paper» sur le rôle de l'audit lancée par la Commission européenne. Intitulé «Politique d'audit : leçons de la crise», cette consultation questionne sur plusieurs sujets liés à l'audit, notamment le recours à une compétition plus large entre les cabinets intervenant. Le «Green Paper» ou «Livre vert» est un document de discussion destiné à stimuler les débats par une procédure de consultation au niveau européen sur un sujet particulier, en vue de dégager des propositions formalisées sur un «White Paper» pour les inclure dans les lois. L'initiative n'est pas anodine d'autant que la Commission européenne est l'institution qui représente et défend les intérêts de l'Union européenne. Elle élabore les propositions de nouvelles lois européennes, qu'elle soumet au Parlement européen et au Conseil. En tant que bras exécutif de l'Union chargée de l'exécution des décisions du Parlement et du Conseil elle est chargée de la gestion quotidienne de l'Union pour la mise en œuvre des politiques communes et des programmes communautaires. Genèse du sujet L'initiative a été lancée en octobre dernier par le commissaire(1) Michel Barnier, en charge du marché intérieur et des services. La motivation du sujet de l'audit est liée à la crise économique qui a remis en cause le rôle des banques, fonds spéculatifs, banques centrales et agences de notation, sans avoir évoqué la responsabilité des auditeurs. La Commission européenne a donc voulu renforcer les mesures destinées à stabiliser les marchés en lançant un véritable débat sur la politique européenne en matière d'audit. Michel Barnier déclare sur sa page du site de la Commission que sa conviction est renforcée par les questions soulevées dans le contexte de l'audit des comptes de la banque américaine Lehman Brothers. Pour rappel, cette banque est tombée en faillite après que le gouvernement américain ait décidé de ne pas la sauver. Ernst & Young, les auditeurs de Lehman Brothers, se défendent encore contre les accusations portées quant à une négligence professionnelle pour ne pas avoir détecté 50 milliards de dollars US d'endettement de la banque. Au centre des débats, se trouve également le sujet des grands réseaux de cabinets d'audit qui ont centralisé leurs structures de gestion et de décision au niveau européen, voire à un niveau plus global, alors que leur supervision continue d'être nationale. L'objectif est de renforcer la supervision des cabinets d'audit au niveau européen. D'un point de vue structurel de la profession, la Commission a relevé que durant les deux dernières décennies, le regroupement des grands cabinets d'audit a été facilité par des fusions-acquisitions passant des «Big Eight» aux «Big four»(2) avec au passage la disparition du premier des «Big Five» le cabinet «Arthur Andersen». Certains voient dans la concentration des mandats d'audit au sein des ‘Big' une position de Cartel avec une concentration horizontale de ces cabinets qui contrôlent le marché de l'audit et rendent ainsi l'entrée de nouveaux concurrents plus difficile. Les autres cabinets qui suivent dans le classement n'ont pas forcément la même taille que ce soit sur les critères de chiffre d'affaires, d'effectifs même si la notoriété de cabinets comme RSM, BDO, Grant Thornton, Baker Tilly ou Mazars s'affirme comme une alternative aux ‘Big'. La chute potentielle d'un des ‘Big Four' pourrait causer beaucoup de tort, non seulement dans la disponibilité de cabinets, mais également dans le système d'assurance au sens du confort et de la confiance dans les informations financières des entreprises et surtout du secteur financier. La Commission reconnaît que la certification des comptes des grandes entreprises est fondamentale dans la stabilité des marchés et que le redimensionnement des cabinets est nécessaire. En Europe où le marché des sociétés cotées en bourse est couvert à 90% par des cabinets internationaux, en référence au montant total des honoraires perçus, la Commission européenne a mis en évidence le risque systémique d'une chute d'un cabinet lui-même systémique ou d'un cabinet qui a atteint une proportion systémique.(3) La réalité est que la concentration du marché de l'audit est tel que les clients n'ont pas vraiment le choix pour désigner leurs auditeurs, surtout lorsque qu'ils sont parallèlement demandeurs de prestations d'accompagnement et de conseils, la combinaison des missions incompatibles réduisant d'autant la liste des auditeurs potentiels. Les points forts du Green Paper sur l'audit L'un des sujets centraux de cette consultation reste l'indépendance des auditeurs. Même si la directive européenne 2006/43/EC sur l'audit statutaire établit un grand nombre de principes d'indépendance, en appui du code d'éthique de l'IFAC(4), la Commission européenne souhaite la renforcer en abordant des sujets comme la rémunération de l'auditeur par l'entité auditée, la structure des honoraires, la rotation des auditeurs, les services hors audit fournis par les cabinets, la transparence sur les comptes des auditeurs eux-mêmes et l'organisation structurelle des cabinets. Sur le sujet de la rémunération des auditeurs, il a été suggéré qu'une organisation tierce, telle celle d'un régulateur ou d'un superviseur la gère, plutôt que de la laisser dans un lien de subordination de l'auditeur à l'audité. La suggestion sur la structure des honoraires consisterait à formuler un montant d'honoraire plafond d'un même client en rapport avec le total des honoraires du cabinet. Pour ce qui est de la rotation des auditeurs, la réflexion porte sur le changement des cabinets et non des associés en charge tout en gardant à l'esprit qu'un changement de cabinet est toujours une cause de perte de maîtrise sur les premières années de mandat. En ce qui concerne les services hors audit, beaucoup de pays européens n'ont pas la même restriction que celle appliquée en France, retranscrite dans la loi algérienne selon laquelle un commissaire aux comptes ne peut recevoir de rémunération autre que celle liée à sa mission. La Commission devrait être plus stricte sur ce sujet et exiger qu'il n'y ait aucune relation d'affaires entre l'audité et l'auditeur, autre que le mandat de certification. La proposition de publication des comptes des cabinets devrait apporter plus de transparence. Si aujourd'hui des cabinets internationaux publient leurs comptes à une échelle nationale ou régionale, un seul à ce jour publie des comptes consolidés et audités. Enfin, l'organisation structurelle devrait être révisée pour apporter plus de crédibilité à la place financière. La majorité des cabinets internationaux sont structurés sous forme de sociétés à responsabilité limitée, voire sous des groupements de type ‘Partnership', limitant ainsi leur solidarité de passif, notamment lors d'actions en responsabilité. En autres sujets, celui de la supervision de la profession au nouveau régional est d'actualité, car la Commission européenne réalise que si la supervision fonctionne au niveau de chaque pays membre, elle n'existe pas au niveau européen et qu'un alignement est nécessaire. Enfin pour favoriser la diversité et l'émergence de cabinets, il est envisagé d'emprunter au modèle français, le co-commissariat, qui rappelons-le s'applique en Algérie pour les banques et établissements financiers. Une excellente plateforme de réflexion pour l'Algérie S'il n'existe pas encore en Algérie de marché boursier actif, il n'en demeure pas moins que la qualité de l'information financière est une préoccupation permanente. Tout au moins, notre législation commerciale a repris l'obligation d'audit statutaire, désigné communément par commissariat aux comptes. La relance récente de la Bourse d'Alger avec l'introduction de la société Alliance Assurances Spa devrait être un vecteur de promotion de la profession d'auditeur, si d'autres sociétés franchissaient la porte du marché. De plus, la nouvelle loi sur la profession comptable qui la normalise sous tous les aspects de réglementation, d'organisation, avec un objectif de qualité et d'excellence, sera bientôt clarifiée au moyen de textes d'application à venir. Qu'il s'agisse de rémunération des commissaires aux comptes, de limitation de la durée des mandats, des missions hors audit en incompatibilité avec l'audit statutaire et de l'organisation structurelle des cabinets, la nouvelle loi est assez avant-gardiste puisque inspirée de lois de la région et adaptée au contexte algérien. Pour le positionnement, il reste que, pour l'instant, la profession s'exerce plus à l'état individuel et que les professionnels algériens ont des difficultés à se fédérer en entités professionnelles reconnues. Cette situation qui perdure laisse le terrain aux cabinets internationaux qui paradoxalement ne sont pas autorisés à exercer en Algérie des activités relevant de la profession d'expert comptable, de commissaire aux comptes et de comptables, mais qui néanmoins sont recrutés par des entreprises et organismes publics. D'un côté, les professionnels algériens crient à la confiscation de leur terrain quand de l'autre les cabinets internationaux attendent qu'un jour plus de libéralisation leur permette de fournir le spectre complet de leurs prestations, y compris les prestations d'audit statutaire. Pour l'instant, ceux présents en Algérie s'installent sous la forme de cabinets de conseils et s'appuient sur des cabinets locaux pour les activités réglementées. A ce rythme, le positionnement des cabinets internationaux en Algérie s'établira de la même manière que dans le reste du monde. Sur ce sujet, la stratégie des ‘Bigs' est d'ailleurs nettement affichée. L'écart en deviendra plus grand si ces cabinets n'intègrent pas des compétences algériennes avec un transfert de savoir-faire et une contribution à la structuration de la profession dans le respect de son éthique et de sa déontologie. Pour l'instant, les partenaires algériens de ces cabinets sont, tout au plus, associés d'une structure locale, sans intégration effective dans l'organisation globale. Rares sont les professionnels algériens qui se sont imposés en associés de cabinets internationaux pour peser dans les décisions de leur groupe, en ce qui concerne le développement de l'activité professionnelle en Algérie. Certains ne sont même pas affectés au ‘terrain algérien.' La seule démarche structurante est d'imposer que les professionnels algériens soient les partenaires incontournables, sinon la configuration de la profession sera encore plus critique qu'en Europe sur le sujet des parts de marché entre les cabinets internationaux et les cabinets locaux de moindre taille ou individuels. La nouvelle mission du Conseil national de la comptabilité couvrant la supervision de la profession contribuera certainement à l'émergence de talents locaux. Il appartient également aux professionnels algériens de s'affirmer en tant que tel et de bousculer leurs individualités. Samir Hadj Ali. Expert Comptable -(1)La Commission européenne est composée d'un commissaire par Etat membre, soit 27 commissaires. -(2)Désignation courante des 4 premiers cabinets internationaux ‘Deloitte – Kpmg – Ernst & Young – PWC' -(3)Ensemble organisé qui concerne des systèmes ou qui agit sur des systèmes. -(4)Organisation mondiale de la profession comptable.