Où il est question de botanique des sentiments et d'horticulture des âmes. Le titre est exquis : «La joie des âmes dans la splendeur des paradis andalous». Le livre, de couleurs or et noir, est soigné. Il comprend des textes en arabe et en français, des poèmes, un CD et un DVD d'un concert-live de Beihdja Rahal, donné à l'Institut du Monde Arabe à Paris en février 2010. Le livre, qui vient de paraître aux éditions ANEP, est signé Saâdane Benbabâali, universitaire, essayiste et traducteur, et Beihdja Rahal, interprète et enseignante de musique. Ce duo a déjà cosigné La plume, la voix et le plectre, paru en 2008 à Alger aux éditions Barzakh. Le nouvel ouvrage se veut une suite du premier. «Nous restons dans le même domaine de la poésie et de la musique arabo-andalouse. Dans le premier ouvrage, nous avons axé le travail sur le système de la nawba. Dans ce second livre, nous nous intéressons au thème de l'amour, de la femme et du jardin. Le livre comporte la traduction de 62 poèmes, alors que le premier n'en contenait qu'une douzaine. Le texte est plus consistant et est accompagné d'un index comportant toute la terminologie arabe transcrite», nous a expliqué Saâdane Benbabâali. Selon Beihdja Rahal, le concert de l'IMA a été choisi selon le thème du livre. «Le premier livre était quelque peu destiné à un public non initié à la musique arabo-andalouse. Dans ce deuxième livre, nous avons essayé d'approfondir l'étude et de donner plus de poèmes et de traduction. Un choix plus grand», a-t-elle noté. «Nous poursuivons notre périple poético-musical avec ce deuxième ouvrage sur le thème des «fleurs et jardins dans la poésie andalouse chantée.» Dès l'entame du livre, les coauteurs précisent : «L'importance de ce sujet dans les azdjal appartenant à la nawba maghrébo-andalouse est telle que nous avons eu la curiosité d'aller visiter l'univers poétique floral présent dans ces poèmes.» Pour Benbabâali, les poèmes qui évoquent ou décrivent les jardins ne sont pas mono-thématiques : «C'est un prétexte pour parler des amants qui se retrouvent dans les jardins et de la femme d'une certaine manière. L'amour andalou était courtois. J'ai pris le temps de revoir tout ce qui a été écrit depuis la Jahilia et jusqu'à l'époque andalouse dans le genre de la poésie florale, les rawoudhiat.». Le lecteur y trouvera une partie très érudite sur les jardins et découvrira Abu Al Walid Al Himyari qui a écrit Kitabou Errabie (Le livre du printemps), des poètes persans et Ibnou Khafadja. Dans Nafh Ettaïbe, Al Maqqari ne tarit pas d'éloges sur Ibnou Khafadja, poète libre qui a, sans doute, écrit les plus beaux textes, y compris en prose, sur la belle nature entourant l'actuelle ville espagnole de Valence. Il adorait les fleuves et les jardins. «On a abouti à la poésie andalouse chantée ici en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, comme Koum tara, Dakhalet el boustan et Alouzou fah, précise encore Benbabaâli. Dans le livre, nous avons répertorié tous les poèmes qui évoquent les jardins». Beihdja Rahal observe qu'il y a trois ou quatre ans, le public assistait à des concerts de musique andalouse sans entrer dans leur poésie. «Grâce à ces ouvrages, il peut voyager et entrer dans cet univers», note-t-elle. Les auteurs ont rappelé que les poètes et musiciens, depuis le IXe siècle, en terre d'Al Andalous et au Maghreb, ont légué un trésor de muwashahat (poèmes strophiques avec alternance de rimes), d'azdjal (poèmes strophiques avec usage de l'arabe parlé) et de nawbat (suite de pièces vocales et instrumentales). «Malgré les vicissitudes du temps et les limites de la mémoire des transmetteurs, ce précieux répertoire est aujourd'hui en grande partie sauvé de l'oubli. Des artistes de plus en plus nombreux l'interprètent et l'enregistrent, des associations dans toutes les grandes villes du Maghreb et d'Europe l'enseignent et des musicologues et des poéticiens l'étudient», signalent-ils. Les héritiers de Ziryab contribuent donc à préserver un patrimoine culturel ancestral. Les auteurs ont observé que malgré le ton souvent grave et l'austérité qui caractérisent certaines interprétations de l'andalou, la joie de vivre domine les azdjal chantés. «On ne parle ni de la guerre ni de la mort. Ces sujets ont fini par être définitivement abandonnés à la poésie de facture classique», est-il relevé. Les auteurs prennent le soin de préciser que le livre n'est ni un essai de botanique ni un essai sur le métier de jardinier. «Nous cherchons à montrer comment des poètes andalous ou maghrébins ont su nous révéler avec simplicité et délicatesse la ''réalité esthétique'' que l'on peut percevoir derrière l'apparence d'une rose ou d'un jasmin», est-il écrit. «Du désert d'Arabie aux jardins d'Andalousie», «Paradis terrestres et Eden céleste» et «Ton corps est un jardin d'amour», sont les titres délicats des chapitres de cet ouvrage. Idem pour les poèmes, soyeux et raffinés. Un exemple ? «Tu troubles le cœur de ceux qui t'admirent ! Gloire à Celui qui t'a conçu tel un astre, c'est toi qui donnes au jardin sa beauté et à l'eau qui y coule sa couleur argentée ; c'est toi qui as appris aux narcisses à baisser les yeux et qui a donné leur sourire aux jasmins». Les textes sont accompagnés de photos de jardins andalous pris par Saâdane Benbabâali, au cours de ses nombreux voyages en Espagne et au Portugal. Kamel Bouchama a dressé un portait de Beihdja Rahal. «Beihdja a mûri et, de sa voix suave, limpide, elle joue avec sa gorge, en émettant des sons harmoniques, comme si elle jouait avec sa mandoline. Elle interprète de grandes poésies en mettant tout son cœur pour nous envoûter», a-t-il témoigné. La plume, la voix et le plectre a été entièrement vendu en six mois. Le prochain ouvrage de Saâdane Benbabâali et Beihdja Rahal portera sur l'ivresse. «La joie et la vie, c'est quoi ? C'est l'amour et l'ivresse évoqués par les azdjal et les muwashahat», a relevé Saâdane Benbabâali. Il n'est pas inutile enfin de noter que le prix de ce livre de 300 pages est de 1485 dinars.