La révolte citoyenne des jeunes chômeurs de luxe en Tunisie a ce mérite de froisser une image. Une image clinquante d'un pays politiquement stable, économiquement prospère et socialement paisible, déclinée comme une belle carte de visite. C'est l'image d'Epinal que «vend» le régime de Ben Ali d'une Tunisie surfaite, à l'ombre de Sidi Bouzid, Gafsa et toutes ces localités de l'arrière-pays situées à mille lieues du faste de Hammamet, Sousse et Djerba. L'enfer d'un décor que des centaines de jeunes éructent depuis une semaine, pour signifier au gouvernement que «Tounes El Khadra» qu'il chante n'est pas visible dans la région ocreuse du Sud désertique. Qu'un jeune diplômé en arrive à s'immoler par le feu, désespéré de pouvoir trouver un boulot, est signe d'un profond malaise que les résidences cossues, les voitures rutilantes et le train de vie de la jet-set tunisoise ne peuvent cacher. Jadis insoupçonnable dans un pays pacifié par une main de fer dans un gant de velours, le recours à l'émeute confirme une tendance à la protestation de rue qui brave l'interdit officiel. Sidi Bouzid 2010 rappelle Gafsa en 2008. La peur semble avoir changé de camp. Et ce qui se passe en ce moment en Tunisie a été vérifié également à Sidi Ifni et dans d'autres localités isolées au Maroc. L'Algérie, elle, dispose d'une riche «expérience» à mettre à la disposition de nos voisins. Aux jeunes Maghrébins révoltés, leurs homologues algériens peuvent offrir tous les modes opératoires d'une émeute. Aux régimes marocain et tunisien, les services de sécurité algériens pourraient mettre à leur disposition un florilège de dispositifs répressifs. Pour cause, l'émeute sociale en Algérie est tellement chronique qu'elle fait partie de la vie nationale de tous les jours. Nos voisins tunisiens, eux, découvrent qu'ils ne peuvent indéfiniment tromper leur jeunesse par des slogans creux et des promesses sans lendemain. Un jeune désœuvré, qu'il soit algérien, marocain ou tunisien, est une bombe à retardement qui peut exploser à tout moment à la figure des gouvernants. Les événements de Sidi Bouzid en sont la meilleure preuve. Et c'est un terrible boomerang pour ces régimes chez qui la politique de la carotte et du bâton tient lieu de stratégie, voire de «bonne gouvernance». C'est manifestement dans le seul domaine du traitement des poussées d'adrénaline que les régimes des pays maghrébins sont d'accord. A défaut de concrétiser l'Arlésienne union maghrébine (UMA) en termes de prospérité et de développement, les autorités de ces pays sont en passe de donner naissance à une union maghrébine de l'émeute (UME). Loin du Sahara occidental et des révélations de WikiLeaks, la mal vie et le mal être des jeunes en Algérie, au Maroc et en Tunisie a un seul nom : incurie des régimes.