Elle ressemble à une ville miroir. Une cité écran aux reflets multicolores. Parfois vrais, parfois trompeurs. Une destination lointaine qui fait rêver les troubadours les plus aguerris. Exubérante, riche et fière, ouverte aux vents et tournée vers la mer, les autochtones la surnomment la « ville des Arabes ». Pour les étrangers, c'est le pays des mirages et de la démesure. Dubaï serait-elle enfin cette cité idéale dont rêveraient les hommes ? « Oui, répond Abdelatif », un chauffeur de taxi soudanais qui connaît bien la région. « Je vis ici depuis presque dix ans. j'ai vu la cité changer, s'agrandir et se transformer radicalement. La terre crache chaque jour de nouveaux buildings. Des ponts et des autoroutes sont aménagés du jour au lendemain. Les projets les plus fous sont lancés en un tour de main. Et au rythme où vont les choses, Dubaï ravirait la vedette aux grandes métropoles internationales comme Hong Kong, Sidney ou Pékin ». A contempler les gigantesques panneaux publicitaires implantés tout au long de cheikh Zayed Road en venant d'Abu Dhabi, on comprend vite l'ambition démesurée de cette ville qui cherche à tout prix à devenir le nouveau centre du monde. Nous dépassons la zone portuaire de Jabel Ali, située à équidistance entre la capitale politique Abu Dhabi et économique Dubaï. De loin, on voit les mâts de bateaux amarrant quotidiennement au port Al Rachid. Des milliers de conteneurs attendent preneurs. Jabel Ali est l'un des principaux poumons économiques des Emirats. Les navires de marchandises arrivent de partout. Des Indes, d'Afrique, des pays d'Asie, de Perse et même des Etats-Unis. Une plaque commerciale incroyable qui tourne à plein régime de jour comme de nuit. Sans arrêt. Monotone, l'autoroute à huit voies, qui déchire le désert, est des plus fréquentées aux Emirats. Aux abords, on aperçoit des bâtiments et des entreprises appartenant à de grands groupes mondiaux. Ici, la mondialisation prend tout son sens, et l'argent n'a vraiment pas de frontières. Il reste environ 30 km pour atteindre la ville de Dubaï. Pourtant, on voit déjà les reflets du soleil que renvoient de loin les façades en verre des gratte-ciel. Abdelatif est habitué à ces paysages. Il pense que dans moins de 10 ans, et avec le rythme actuel des constructions, les deux villes (Dubaï et Abu Dhabi) vont se coller. « Tant mieux, juge-t-il, les chances de travail vont se multiplier ». Les images publicitaires continuent d'orner tout le long de l'avenue Zayed. Toutes les marques mondiales et locales se disputent à grand prix l'espace qu'offre ce désert de rêve. De Nokia à Ericsson en passant par Sony, de Imaar, une société de construction locale très florissante à Mitsubishi Motor en passant par les géants informatiques Dell ou Hawlet Packard, les Billboards (panneaux publicitaires géants placés tout au long des autoroutes) se vendent comme des petits pains. Et à longueur d'année, Dubaï est une ville de consommation. Un grand centre commercial à ciel ouvert. Les guides de tourisme vantent ses Shopping Mall, ses palaces dorés et ses hôtels de luxe. Port artificiel Ainsi est Dubaï, une terre opportune, contrastée et mégalomane. Une ville cosmopolite où vivent dans une harmonie totale plus de 130 nationalités. Dubaï est aux Emirats ce que Las Vegas ou la Californie sont pour les Etats-Unis. Un rêve devenu possible grâce au pétrole qui coule à flots et aux choix économiques libéraux et courageux décidés par la dynastie Al Maktoum qui s'installa sur les lieux vers 1833. Et dire que l'histoire de Dubaï, un minuscule Etat qui ne dépasserait pas la superficie de la ville de Sétif ou de Tizi Ouzou, tient en quelques mots seulement : une terre au départ pauvre et aride et deux villages bâtis autour d'une crique enclavée que de rares bédouins allaient visiter parfois. Cependant, les choses ne resteront pas à ce stade. Bien au contraire, dans les années 1960, Rashid Al Maktoum, un homme riche de pétrole et de sable trouve vite une idée de génie. Il construit le plus grand port artificiel du monde et crée une zone franche. Située à la croisée des trois continents, elle deviendra rapidement un centre de rayonnement et d'ancrage du commerce international. La recette est simple : liberté aux hommes d'affaires d'entreprendre, peu de douanes, pas d'impôts, une main-d'œuvre compétitive composée essentiellement de travailleurs exploités et sous-payés venus du Pakistan, d'Inde, du Népal ou d'Asie mineure. Sans oublier les facilités portuaires et financières impossibles à trouver ailleurs. Aujourd'hui, la ville est le rendez-vous planétaire des hommes d'affaires. Ils viennent chercher fortune dans ce désert fertile, où l'argent semble pousser comme poussent les millions de palmiers plantés dans tous les Emirats. Nous dépassons Media City où sont concentrées les grandes chaînes internationales. Plus loin, dans le quartier chic de Jumeirah, se trouve l'hôtel Burj Al Arab. Il est sans conteste le plus luxueux et le plus spectaculaire des hôtels au monde. Conçu sous forme de voile pour bateau, possédant une partie subaquatique avec notamment un restaurant panoramique sous-marin, les dorures de son hall d'entrée et de ses salons sont ornées d'or 24 carats. C'est le seul hôtel sur terre qui est classé 7 étoiles. Une merveille architecturale qui accueille les milliardaires de la planète, ou du moins ceux qui sont capables de débourser plus de 3000 euros (environ 30 millions en dinars algériens) pour une nuit. On peut même y accéder par hélicoptère. Une plateforme d'atterrissage est construite à cet effet sur le toit de l'établissement. Une simple visite des lieux coûte 13 euros (environ 1200 DA). Juste le temps de se rincer les yeux, contempler de loin les riches émirs saoudiens, les touristes russes ou les rentiers texans prendre du bon temps sur cette « voile » qui, vue de loin, semble prête à prendre le large. Et pourtant, elle n'a jamais bougé. Elle demeure immobile, inamovible, bien ancrée dans le sol, au point de devenir l'emblème et la fierté de tout le pays. Le signe de l'hôtel est apposé sur toutes les plaques minéralogiques des Emirats. The Palm et des spéculations Au bout de l'avenue cheikh Zayed, à droite, se trouvent les gratte-ciel les plus populaires de Dubaï, qui s'appellent Emirats Towers. Construites, semble-t-il, par un architecte belge, elles symbolisent la réussite économique du pays et les choix judicieux de ses émirs. La tour de gauche mesurerait 309 m de haut et celle de droite, qui fait partie du cercle très fermé des 20 gratte-ciel les plus hauts de la planète en 2004, a atteint les 355 m de hauteur. Bien plus grand que la Tour Eiffel. Pas loin de là, se trouve le World trade Center, un clin d'œil à celui détruit en 2001 dans le quartier de Manhattan. Mais, la folie royale n'a vraiment pas de limite. Lorsqu'on regarde la mer par-delà les flots, depuis Jumeirah Beach (un autre hôtel de grand luxe), on voit au large de curieux dessins qui ressemblent à des palmiers. Il s'agit en fait, d'une île artificielle avec près de 2400 villas et 2500 appartements. Baptisée The Palm, elle mesure 5 km de diamètre. Des hôtels de luxe et des restaurants haut standing y sont aussi prévus. Le prix d'une maison varie entre 400 et 500 000 euros (faites le calcul en dinars). Normal, lorsqu'on veut avoir comme voisin Beckham, Tom Cruise ou Madonna. The Palm est l'objet de nombreuses spéculations immobilières. Les villas sont déjà revendues plusieurs fois, atteignant souvent la somme d'un million de dollars et même plus. Ainsi est Dubaï, une terre opportune, contrastée et mégalomane. Mais dans sa course pour la modernité, Dubaï semble oublier son passé et ignorer son histoire. Il faut vraiment bien fouiner pour trouver un vestige bédouin ou un symbole des temps anciens. « Dubaï brille et scintille au point de devenir une ville aseptisée », juge Abdellah Chahine, un journaliste palestinien qui vit dans le pays avec sa famille depuis cinq ans. « Je n'arrive pas à m'adapter. Ici l'ambiance est littéralement différente de celle de l'Orient. Là-bas, ce sont les rapports humains qui priment sur tout, ici c'est l'argent. » Abdellah habitait avant à Damas, une ville sociale, cordiale, humaine et chaleureuse. On peut écouter la musique de chez-nous, retrouver l'ambiance des cafés orientaux et visiter des endroits historiques. Hélas, rien de tout cela n'existe à Dubaï. C'est une ville qui vous rend solitaire, consommateur, matérialiste et vous déconnecte de la réalité. « Pourquoi ne pas repartir donc en Syrie ? J'y pense vraiment. J'attends juste de mettre un peu plus d'argent de côté pour pouvoir m'acheter un appartement et une voiture dans mon pays. » En réalité, Dubaï n'est pas aussi inhumaine que cela. Un petit tour dans le quartier populaire Al Khour, ou ce qu'on appelle ici la Dubaï Creek, vous changera les idées. Contempler les marchands indiens et pakistanais qui vendent épices, encens, tissus multicolores persans, costumes sarissindiens et tenues afghanes. Le souk est réalisé en longueur, le toit recouvert d'un bois précieux marron pour garder son aspect d'antan. La Dubaï Creek a beaucoup contribué au développement de la ville construite autour d'un bras de mer qui s'enfonce à l'intérieur des terres. Ses eaux calmes, mais polluées, offrent un port naturel pour des centaines de pirogues qui font la navette entre la Creek et le Golden souk. Prix de la traversée : 2 dirhams par personne (environ 10 DA). C'est un moyen de locomotion pratique et pas cher. On croise à bord des hommes d'affaires, valises diplomatiques à la main, cadres d'entreprises, marchands, ouvriers en bâtiments et touristes... Un transport authentique et pittoresque qui réunit toutes les classes sociales du pays et qui vous évite les affres des embouteillages quotidiens. Nous montons à bord de la pirogue, sorte de petit bateau pirate. Cinq minutes à peine, et nous voilà arrivés de l'autre côté de la rive, tout près du fameux Golden souk. Le marché d'or jouit surtout d'une bonne réputation chez les touristes, notamment les milliardaires russes. Ils viennent en famille « dévaliser » les coffres des centaines de bijouteries. Après une entrée commerçante, où l'on trouve toute sorte d'encens, de narguilé et de produits venus d'Inde ou de Perse, nous voilà au début de ce qu'on peut appeler « l'allée de l'or ». Des magasins en file indienne inondés de bijoux de toutes les couleurs et de toutes les formes. Bijoutiers, artisans, joailliers et redoutables négociants iraniens et indiens, toute cette belle faune guette avec un large sourire comme celui de la baleine, les touristes. Les vitrines, astiquées à longueur de journée et bien éclairées, laissent apparaître des kilos d'or dessinés et des étalages de bracelets finement ciselés dans la plus pure tradition arabe ou indienne. Il y a aussi les montres de marque, vraies ou fausses, qu'on essaye de vous fourguer à chaque coin du souk. Des Rolex, des Tissot ou des Breitling dernier cri, toutes les astuces sont bonnes pour des dizaines d'Indiens et de Pakistanais, pour qui la contrebande en douce est un bon moyen pour arrondir les fins de mois difficiles. Où va Dubaï ? Question que tout le monde se pose. La ville semble être engagée dans une course contre la montre. Les sources du pétrole commencent à se tarir. En attendant, Dubaï veut plus de gratte-ciel, d'hôtels de luxe, de shopping mall, de pistes de ski en plein désert et plus d'argent. Car pour les dignitaires de cet Emirat, l'avenir se conjugue avec tourisme, spéculation immobilière sans limites et investissements recyclage de l'argent.