Akbou. Jeudi après-midi. Plusieurs centaines de jeunes gens assiègent le tribunal flambant neuf de la ville. Pour tous ces insurgés, c'est ce palais de justice qui symbolise le mieux l'injustice qui les frappe. Armés de pierres et de cocktails Molotov, ils partent à l'assaut de la citadelle de verre défendue par quelques unités antiémeute réfugiés sur le toit du bâtiment. De temps à autre, les policiers se montrent timidement et tirent une bombe lacrymogène sur les émeutiers avant de regagner leur cachette. Il ne reste plus grand-chose des fenêtres des étages du bas et toute la façade porte les stigmates des coups reçus. Un cocktail Molotov atterrit au dernier étage. Les flammes commencent à dévorer le mobilier. L'échange de projectiles et d'insultes entre les policiers et les émeutiers se poursuit à une cadence de métronome. Des bouteilles de vinaigre circulent parmi les jeunes émeutiers. Chacun reçoit quelques gouttes pour s'asperger les mains, le visage et les vêtements. De l'avis de tous, les gaz lacrymogènes sont, cette année, particulièrement irritants. «Il est vraiment dosé ce gaz ! Il n'a rien à avoir avec celui de 2001, a dine el lefth !», plaisante un émeutier aux yeux larmoyants et qui arrive à peine à articuler ses mots entre les râles. Effectivement, le gaz vous sort les yeux de leurs orbites, vous brûle les poumons et vous fait suffoquer en quelques secondes. Il faut replier rapidement à la recherche d'un air plus respirable. Quand un émeutier se replie, il y a toujours un autre pour monter au front et prendre sa place au pied levé. Derrière les premières lignes où se passe l'essentiel du combat, les troupes se reposent ou s'occupent de la logistique. Il y a ceux qui sont chargés de ravitailler en projectiles et les spécialistes en confection de cocktails Molotov. Manifestement, il y a de l'expérience chez tous ces jeunes qui ont déjà fait les longues campagnes de la guerre des «arch». Pour beaucoup, la situation n'a guère changé, une dizaine d'années plus tard. Ils pointent au chômage, traînent leurs guêtres dans la cité ou vendent des petits riens pour survivre. Le plus casé d'entre eux est gardien de parking. Parmi les émeutiers, il n'y a pas que les gens de la ville d'Akbou. Les renforts sont arrivés des villages voisins. Les montagnards sont venus en découdre avec cet ennemi intime qui s'appelle «le pouvoir». Entre temps, un autre front s'est ouvert. Un groupe de jeunes s'est attaqué au commissariat. Les «combats» durent des heures. Vers la fin de l'après-midi, une nouvelle fait rapidement le tour des émeutiers : les renforts antiémeute arrivent ! Une bonne heure plus tard, lorsque la caravane de fourgons blindés fait son apparition, précédée du célèbre «Moustache», de longues clameurs s'élèvent dans les airs. Une pluie de projectiles s'abat de toutes parts sur les nouveaux venus. Les heurts entre les deux belligérants ont gagné en intensité. La nuit tombe, mais elle n'entame en rien la volonté des insurgés d'en découdre avec les policiers. En haute ville, le siège de Sonelgaz a été ravagé par les flammes. Celui de la régie communale des eaux également. Vers 22h, l'essentiel des combats tourne autour du commissariat où se sont positionnés les renforts de police qui tirent à la fronde et au fusil à grenades lacrymogènes. Vers 23h, des groupes de jeunes se ont introduits dans l'enceinte d'un collège qui est aussitôt mis à sac. Les jeunes ressortent avec des fauteuils, des ballons, des ustensiles de cuisine et tout ce qu'ils peuvent chaparder. L'obscurité est propice à tous les guets-apens. C'est un véritable combat de rue qui se déroule à présent avec des attaques et des replis stratégiques. Un policier est touché par un cocktail Molotov. Les émeutiers ne baissent pas les bras. Ceux qui sont partis ont promis de revenir demain. La nuit est encore longue.