La Tunisie s'enlise. La violence qui s'est emparée du pays, depuis le 17 décembre 2010, a franchi un cap très dangereux. Pour la première fois, l'armée est intervenue pour mater la révolte sociale et politique. La police a tiré sur les populations civiles à balles réelles. Au moins 23 personnes ont été tuée par les forces de sécurité» dans les villes de Regab, El Kasrine et Thala, dans la région du Sid, ouest du pays, qui ont connu des affrontements, hier et avant-hier, a déclaré, à El Watan, la secrétaire générale du Parti démocrate progressiste (opposition), Maya Jribi. Pour sa part, le gouvernement a parlé de la mort de huit personnes, dans un communiqué officiel. «C'est un massacre collectif qu'a commis le pouvoir de Ben Ali contre le peuple, toutes les forces de sécurité sont mobilisées pour commettre des crimes contre des civils», a indiqué Mme Jribi. Elle a décrit une situation explosive qui prévaut dans le pays. «Pour la première fois, on voit l'intervention de l'armée pour réprimer les manifestants et imposer un couvre-feu dans les villes qui connaissent encore des manifestations. Les affrontements sont d'une violence rare. La situation est extrêmement difficile, le gouvernorat de Sidi Bouzid est sous le contrôle de l'armée, on a l'impression que nous sommes dans en état de guerre. La terreur règne dans le pays.» Et d'ajouter : «On tire à bout portant sur des civils, pire, les forces spéciales ont tiré sur les cortèges funèbres et ont empêché les cérémonies d'enterrement.» La dirigeante de l'opposition, Maya Jribi, a lancé un appel urgent au président Ben Ali «afin d'arrêter rapidement ce bain de sang et de retirer toutes les forces de sécurité des villes». Pour elle, l'escalade de la violence «était prévisible, parce que les populations ne sont pas rentré chez elles et ont continué à réclamer plus de liberté et de justice. Des revendications auxquelles le pouvoir de Ben Ali refuse de répondre».
Le bilan risque de s'alourdir Selon la journaliste et militante au sein du Conseil national tunisien pour les libertés (CNLT), Sihem Bensedrine, dans une déclaration faite à El Watan, un bilan très lourd est à déplorer. «Nous avons recensé 50 morts tombés sous les balles assassines du pouvoir dans différentes villes du pays : 16 à Thala, 22 à Kasserine, 2 à Meknassi, 1 Feriana et 8 à Reguab.» «C'est un climat de terreur dans le pays, pour la première fois, on voit des escadrons de la mort à la poursuite des civils dans des 4X4 et qui tirent à bout portant. On a retrouvé des cadavres dans des oueds.» Mme Bensedrine a parlé «d'un massacre caractérisé, orchestré par le président Ben Ali et son ministre de l'Intérieur et exécuté par les forces de régulières et les forces parallèles». Elle tient pour responsable de ce «grave dérapage, le président Ben Ali et son ministre de l'Intérieur». Sihem Bensedrine a appelé la communauté internationale et les Nations unies «à agir rapidement pour sauver le peuple tunisien de la cruauté du pouvoir». Le Conseil national tunisien pour les libertés a exigé la traduction du ministre de l'Intérieur devant un tribunal international pour «crime contre des civils». S. Bensedrine a dénoncé le soutien de la France au régime de Carthage. «Le régime de Ben Ali aurait eu l'aval de la France pour commettre ce massacre.» Jusqu'à hier soir, la situation demeurait explosive dans tout l'ouest du pays et la gravité des événements risque fort bien d'installer la Tunisie dans une spirale de violence qui dépasserait tout entendement. Par ailleurs, «l'aveuglement du pouvoir et son incapacité à opérer des réformes politiques pousseraient le pays vers une situation explosive aux conséquences incontrôlables», a estimé Ahmed Nejib Chebbi, responsable des relations extérieures au sein du Parti démocrate progressiste. La Tunisie est régentée d'une main de fer depuis 23 ans par Zine El Abiddine Ben Ali (74 ans). L'opposition, les syndicats et les organisations des droits de l'homme dénoncent un pouvoir gangrené par la corruption, où les quelques familles s'emparent de l'essentiel des richesses du pays. Pour de nombreux observateurs, la Tunisie est installée dans une situation politique nouvelle. Le bras de fer engagé depuis presque un mois, entre pouvoir et peuple, risque de coûter cher, mais c'est le moment où jamais pour imposer un changement démocratique dans ce pays longtemps présenté comme un modèle de réussite économique dans la région. «Une réussite dont profite seulement la caste au pouvoir, le peuple, lui, fait partie des oubliés de la République. Aujourd'hui, il en a marre et il le fait savoir», conclut Ahmed Nejib Chebbi, figure historique de l'opposition tunisienne.