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«La bourgeoisie maffieuse a fait avorter la révolte populaire» Mohand Sadek Akrour. Ancien porte-parole du Mouvement populaire (comité de la wilaya de Béjaïa)
- Le pouvoir politique met décidément les bouchées doubles. Il refuse de faire des concessions politiques malgré l'envergure et la profondeur du mouvement de contestation populaire. Est-ce une logique «jusqu'au-boutiste» ? Actuellement, il n'existe pas l'ombre d'une volonté politique de faire des concessions à ce mouvement de révolte populaire. La situation actuelle arrange et renforce le clan (du pouvoir) dont le rapport de force a tourné déjà en sa faveur. Les mesures prises en conseil interministériel nous renseignent sur les tenants et les aboutissants de ces derniers événements. La question de savoir à qui profite le crime ne se pose plus. Car le crime profite incontestablement aux barons de «l'import-import» devant lesquels le pouvoir algérien s'est agenouillé. Ce dernier les a exonérés de TVA, de droits de douane, d'IBS, etc. Il faut dire que le pouvoir algérien n'avait pas vraiment besoin de faire autant de morts parmi les émeutiers et causer autant de destructions pour satisfaire les besoins des néolibéraux et de la bourgeoisie maffieuse. Par ailleurs, les opprimés de ce pays, la jeunesse qui souffre du chômage, de la vie chère, du mal de vivre, n'ont besoin que d'une petite étincelle pour se révolter. Le potentiel de révolte de la jeunesse algérienne est énorme. Les mouvements de jeunes de Ouargla, El Oued, etc, l'ont très bien démontré. Malheureusement, cette fois-ci, comme ce fut le cas d'ailleurs du mouvement de 2001, la révolution des opprimés a été avortée.
- Le pouvoir dénie toute dimension politique à ce mouvement de contestation. Daho Ould Kablia, le ministre de l'Intérieur, parle d'agissements criminels Le gouvernement relie ces émeutes à l'augmentation des prix de certains produits de première nécessité. Emeutes du pain en Tunisie, émeutes de l'huile et du sucre en Algérie… Les régimes algérien et tunisien se sont-ils donné le mot ? Le faux consensus saura-t-il occulter la véritable lame de fond de ce mouvement ? Tous les problèmes du monde sont des problèmes politiques et les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde. Ce n'est pas moi qui le dis. Ce mouvement pose des problèmes foncièrement politiques, leur soubassement est politique, les intérêts sont d'ordre économiques. Le pouvoir algérien a pris des engagements vis-à-vis du capitalisme mondial – accord d'association avec l'UE, coopération avec les USA, etc. – desquels il ne peut aujourd'hui se soustraire. Le capitalisme mondial n'acceptera jamais qu'il y ait retour à l'étatisation, qu'il y ait plus d'Etat. Il ne voudra pas de décisions qui réhabilitent le secteur public… ni n'acceptera que l'Etat subventionne, par exemple, les produits de première nécessité. Et puis, la bourgeoisie locale a-t-elle vraiment intérêt à ce qu'on éradique le secteur informel ? - Ce sont donc ces mesures dites de «patriotisme économique» qui auraient mis le feu aux poudres. Vous soupçonnez les clans du pouvoir de travailler pour l'intérêt général… Le pouvoir, je n'apprends rien à personne, est traversé par des clans. Je n'exclus pas qu'en son sein, il puisse exister un clan animé plus ou moins de bonnes intentions qui œuvre dans le sens de l'étatisation. Mais le pouvoir, dans sa composante majoritaire, est ultralibéral, résolument opposé aux mesures dites de patriotisme économique. Actuellement, les rapports de force au sein du pouvoir sont en faveur de la bourgeoisie maffieuse. C'est ce clan qui symbolise l'ultralibéralisme qui a gagné en usant du chantage à l'émeute. S'il y avait vraiment une volonté politique d'aller vers l'étatisation, on s'y serait pris autrement. On aurait sollicité l'adhésion populaire. Mais le DRS est passé par là, a fait son travail, comme en 2001. On a poussé les jeunes à casser du bien public pour discréditer la révolte populaire. Malgré les tentatives de construction du mouvement populaire, il y avait déjà un projet d'avortement d'une réelle révolte populaire. En 2011, on a un autre avortement, mais à une échelle plus importante. - La convergence démocratique peut-elle encore se réaliser ? La convergence démocratique s'impose. Relève-t-elle pour autant du domaine du possible ? Je ne le pense pas. L'échec du mouvement de 2001 y est certainement pour quelque chose. Par ailleurs, il ne peut y avoir de passerelles entre les émeutiers et les mouvements syndicaux, politiques, tant cette révolte étonne de par sa spontanéité, de par l'absence de slogans. Pour nous, il s'agit d'un combat de classes. La seule démocratie véritable, c'est la démocratie socialiste. En 2001, on a tenté ce type de regroupement, les partis de droite nous ont poignardés. A cette époque déjà, ils ne voulaient même pas reconnaître le caractère social du mouvement et l'ont réduit à un mouvement pour «tamazight, langue nationale et officielle».
- La révolte de la jeunesse ne pose-t-elle pas la question essentielle de la répartition équitable de la richesse nationale, la problématique de la justice sociale ? Bien sûr que la jeunesse en a été complètement exclue. C'est une génération victime du pouvoir, qui n'a rien à perdre. Elle est de fait potentiellement explosive. Nous avons, certes, un ministre de la Jeunesse et des Sports, mais en réalité il n'est que ministre du foot, «wazir el kora al arabia», ministre du foot arabe. Mais aucunement ministre de la jeunesse, des préoccupations de la jeunesse. Elle a raison, cette jeunesse. Ses revendications sont légitimes. C'est une jeunesse frustrée, rongée par l'oisiveté, le chômage, la cherté de la vie, formatée par l'islamisme, l'interdit, le hram. Avec le réveil du mouvement social – je pense, entre autres, aux mouvements de la jeunesse de Ouargla, des villes du Sud, etc.–, on s'achemine inexorablement vers une véritable révolution. C'est d'ailleurs pour cela que le pouvoir a fait avorter cette révolte. - Qu'est-ce qui empêche justement les partis politiques de franchir le pas, d'appeler à des actions pacifiques et concrètes, au lieu de se contenter de pondre des déclarations et des communiqués qui restent souvent sans suite ? Que signifie le fait qu'aucun parti ni organisation n'ait demandé une autorisation pour organiser une marche pacifique ? Je ne sais pas. C'est une question qu'il faut poser à ces partis. Mais tous vous le diront : les partis de l'opposition sont atomisés. Ici à Béjaïa, on a tenté, avec ce qui reste de la «gauche» à la fois de conscientiser, de politiser les gens mais aussi de les amener à ne pas détruire les biens publics. Nous n'avons pas à remplir le rôle de pompier. Dans la commune que je préside, Barbacha en l'occurrence, nous avons élaboré, avec le mouvement associatif, une plateforme de revendications. Cette plateforme dit «Non à la cherté de la vie», «Non à la dictature des barons de l'import-import», «Non au chômage», «Non à la corruption», «Pour la sécurité des citoyens et des biens des peuples» parce que, hélas, les services de sécurité ne veulent pas les protéger, «Pour une politique au service du peuple». Pour les exprimer, nous avons opté pour une marche pacifique ici, au chef-lieu de la commune. Et pour ce qui est d'appeler à de grandes marches pacifiques, le souci prégnant est là, c'est celui de ne pas, justement, être accusé de vouloir faire dans la récupération politique. Mais nous considérons toutefois qu'il y a un mouvement de masse qu'il faudrait prendre en charge. Sinon, il y a des initiatives pour regrouper les syndicats. Nous prévoyons une réunion extraordinaire de la direction du parti, dans les prochains jours, pour voir ce qu'il y a lieu de faire. - Maintenant que le mouvement de contestation semble s'être essoufflé, faut-il tourner la page, passer à autre chose comme le suggère le pouvoir ? On ne passe pas à autre chose, on doit passer à la chose la plus sérieuse. Ceux qui ont allumé la mèche, ce sont ceux-là mêmes qui l'ont éteinte. Les décisions du conseil interministériel ont mis fin aux émeutes. Maintenant, c'est aux opprimés d'agir.