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Jamel Mselem. Militant tunisien des droits de l'homme : L'appel des hôpitaux à cesser les tirs à balles réelles témoigne de la violence des manifestations Les Tunisiens veulent chasser Ben Ali
- Pouvez-vous faire le point sur le climat qui règne en cette soirée de jeudi ? Les manifestations continuent d'avoir lieu dans la majorité des villes tunisiennes. Beaucoup d'entre elles mènent à des affrontements avec la police et plusieurs morts et blessés sont à déplorer. Toutefois, des manifestations grandioses et pacifiques où toutes les composantes de la société civile sont représentées se déroulent également. Je citerai en exemple celle de Sfax, mercredi, encadrée par les syndicats et qui a compté 40 000 participants, ou celle d'hier à Sousse, qui a duré deux heures et s'est déroulée dans le calme. Les principaux affrontements ont lieu dans les banlieues de Tunis. L'appel des hôpitaux, débordés, à «cesser les tirs à balles réelles» témoigne de la violence de certaines manifestations. Cependant, le récent recours au pillage et à la destruction des biens publics reste incompréhensible. Certains attribuent ces actions à des cagoulés proches du pouvoir ou appartenant aux forces de l'ordre.
- Depuis le début du mouvement, on parle de peur qui a changé de camp ou de la menace qui pèse sur le pouvoir. Les mesures «timides» de ce dernier ne semblent pas témoigner de sa crainte… Le régime est bel est bien menacé. Pour la première fois, on assiste à une série de limogeages de ministres, la nomination d'un universitaire crédible comme ministre de l'Intérieur et une convocation des secrétaires généraux des différents partis, avec lesquels le gouvernement n'entretenait pas de relation, afin d'entrer en dialogue avec eux. Mais effectivement, toutes ces mesures n'ont pu atteindre la force de ces manifestations.
- Jusqu'où peut aller ce mouvement encore ? Difficile de le dire. Si les choses continuent dans le même sens, cela peut mener à un carnage qui chambardera toutes les structures de l'Etat. Ce que nous espérons, nous Tunisiens, c'est que les 70 (voire plus) victimes de ce mouvement puissent nous apporter un réel changement, le vrai, mais aussi le travail, la liberté et la dignité. Qu'on mette fin à la corruption qui ronge le pays. Nous voulons une vraie vie politique et démocratique où toutes les parties de la société tunisienne sont représentées. Quelle que soit l'issue de cette contestation, départ de Ben Ali ou pas, on veut le changement
- Croyez-vous que même si Ben Ali ne quitte pas le pouvoir, les choses ne seront plus pareilles ? Absolument ! Le changement a déjà eu lieu. Après un demi-siècle de peur intériorisée, le Tunisien aujourd'hui n'a plus peur, il ose sortir dans la rue et s'exprimer. J'espère que les violences, les tirs à balles réelles et les pillages vont cesser, afin de concrétiser ce changement. On attend les prochaines mesures du pouvoir qui pourraient, cette fois-ci, mettre fin aux violences. L'armée pourrait éventuellement maîtriser un peu plus la situation, mais pour l'instant elle observe seulement et n'agit pas, mis à part son déploiement pendant la nuit de mercredi à jeudi dans le Grand Tunis.
- Quel est le rôle de l'armée ? Sa présence semble plus tolérée par les Tunisiens que celle de la police, pourquoi ? Il paraît que pour beaucoup de Tunisiens, l'armée symboliserait le salut du chaos que vit le pays. Seule l'armée aurait ce pouvoir.
- En tant que militant des droits de l'homme, quelle est votre réaction par rapport à la position de la France, «pays des droits de l'homme» ? La réaction de la France a été tardive et les propos de la ministre des Affaires étrangères nous ont étonnés. Les liens qu'entretient la France avec le régime Ben Ali ne sont un secret pour personne, mais face au grand nombre de morts et de blessés, la situation relève de l'humanitaire, nous attendons des positions fermes et réelles, notamment celle de l'Algérie, le pays le plus proche.