Hier en fin d'après-midi, quand la très officielle télévision tunisienne indiquait qu'une «annonce très importante» allait être faite, personne, à vrai dire, ne pouvait croire qu'il s'agissait de la fin du régime de Zine El Abidine Ben Ali. Il est vrai que dans le même temps, les principaux partis d'opposition tunisiens demandaient son départ et «l'instauration d'un gouvernement provisoire chargé dans les six mois d'organiser des élections libres». La rue les avait précédés. C'est bien de cela qu'il s'agissait. Le chef de l'Etat tunisien ne venait pas seulement de quitter le pouvoir qu'il détient depuis le mois de novembre 1987, mais aussi le pays. C'est le dernier acte d'un bras de fer qui a débuté il y a près d'un mois lors d'une simple altercation dans la petite ville de province de Sidi Bouzid. Loin de la capitale, disait-on alors dans les cercles officiels, persuadés que le dispositif policier traditionnel serait toujours aussi dissuasif. Plus que cela, les habituels relais extérieurs allaient servir de filtre, comme toujours pour étouffer la colère des Tunisiens. Ou encore, pour éviter que l'expérience iranienne avec ses manifestations ne se reproduise pas, la censure était imposée sur le réseau internet. Le blocus a été contourné. C'est certainement le calcul fait par Ben Ali, et c'est l'erreur qu'il ne fallait absolument pas commettre. Surtout quand on est coupé des réalités nationales, ces dernières étant faussées par les scores fleuves, faux évidemment, des dernières élections. Tout alors était faux comme cette impression de calme et même de résignation, les Tunisiens n'ayant eu que deux présidents depuis l'indépendance de leur pays en 1956, le premier ayant décidé d'être président à vie avant d'être chassé du pouvoir par Ben Ali, à son tour chassé cette fois par la rue. Là est l'autre erreur du déjà ex-président pour avoir bouché tous les espaces d'expression. Ni de réelle opposition ni de liberté d'expression. Et la liste est longue, comme le révèlent les revendications de l'opposition. Les signataires de la plate-forme d'hier demandent la promulgation «d'une amnistie générale pour tous les détenus d'opinion», «le retour des exilés» ou «l'instauration d'une commission indépendante chargée d'enquêter sur les assassinats». «Nous dénonçons la corruption généralisée qui a gangréné notre pays et nous demandons le jugement des responsables», ont-ils encore dit. Ce qui n'est pas peu pour un pays souvent cité en exemple. Mais un bien mauvais exemple. Un modèle, disait-on, alors que les libertés étaient bâillonnées et le pays était économiquement en crise, victime lui aussi des aléas de l'Accord d'association conclu avec l'Union européenne, et ensuite de la levée des quotas dans le domaine des textiles, la Tunisie étant incapable de faire face à la concurrence avec la Chine. Des pays occidentaux s'en sont fait les complices, et d'ailleurs leurs opinions respectives ont dénoncé ce traitement qui va à l'encontre des idées qu'elles entendent très souvent. Des leaders d'opinion se sont fait fort d'aller contre cet ordre et alerter les sociétés européennes. Ils ont dénoncé le travail d'obstruction de certains pays européens, prompts à délivrer des certificats de bonne conduite au gré de leurs intérêts. Un sommet par-ci, ou encore une institution est déplacée vers la Tunisie pour attester de la crédibilité et de la solidité de ce pays, comme si cela était suffisant pour convaincre les Tunisiens et rassurer l'opinion internationale. La preuve est donnée par les milliers de sans-voix, également sourds aux promesses de Zine El Abidine Ben Ali. Personne ne voulait croire aux engagements annoncés jeudi. Les manifestants voulaient du concret, sans attendre 2014. Ils l'ont eu hier. Et déjà, relevait-on, certains parmi ceux qui louaient il y a peu la solidité du régime tunisien, en étaient à prendre acte de sa chute, et du droit du peuple tunisien de choisir ses dirigeants et de vivre en démocratie, confirmant de ce fait que celle-ci n'a jamais existé. Une page est tournée.