Cinq Algériens ont tenté, dans différentes régions du pays, de s'immoler par le feu. Ces actes, aussi symboliques que violents, ne semblent toutefois pas émouvoir les officiels. Pas une réaction, pas une déclaration, pas un commentaire d'indignation ou de compassion. Le silence le plus obtus. Pourtant, ces «faits divers» ont de quoi interpeller. D'autant plus que depuis quelques années, ils tendent à se multiplier, sous diverses formes. Et si chacune de ces personnes a ses propres motivations, reste que ces actes cristallisent le désespoir le plus profond, la perte de confiance en une justice la plus absolue. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. De tels «faits divers» défraient même quotidiennement la chronique. Et si l'on s'horrifie, à raison, du modus operandi utilisé à Tébessa ou à Bordj Menaïel, il n'est toutefois pas nouveau. De nombreux citoyens sont déjà arrivés à de tels extrêmes. En mai 2004, un homme, honnête père de famille, venu de Djelfa, s'introduit dans la maison de la presse Tahar Djaout. Devant quelques journalistes, il met le feu à ses habits, imbibés d'essence. Il espérait, ainsi, dénoncer la « hogra, l'injustice, la corruption». Il succombe à ses blessures quelques jours après son acte insensé. En octobre 2009, c'est toute une famille qui frôle la mort, à Chlef, cette fois-ci. Un père de famille, âgé de 25 ans, entend protester contre la démolition de sa construction. Accompagné de sa femme et de sa fille, seulement âgée de 3 ans, c'est devant le siège de l'APC de la ville que l'homme s'asperge lui, puis sa famille, d'essence, avant d'en faire des torches humaines. Ils ne devront leur salut qu'à la prompte intervention des secouristes. L'on aurait tendance à penser que ces actes sont le fait de jeunes hommes, chômeurs ou autres. Mais il n'en est rien. En octobre 2010, une quinquagénaire, veuve et mère de trois enfants, est écartée de la liste des bénéficiaires de logements sociaux, à Tiaret. Pour contester cette «injustice», la veuve, femme de ménage dans une école, s'asperge de combustible dans les locaux de l'APC. Au moment de mettre le feu à son corps, elle est sauvée par des éléments de la Protection civile. «La mer ou la mort» Et la mal-vie pousse les Algériens à d'autres actes suicidaires, certes moins spectaculaires, mais plus récurrents. Ainsi, l'on recense, officiellement, une trentaine de suicides par mois en Algérie. Opprobre oblige, de nombreuses familles préfèrent toutefois taire ces drames. Mais une nouvelle forme de contestation a fait son apparition : les suicides collectifs. En juillet 2010, une dizaine de jeunes chômeurs de la localité de Ouargla menacent de se jeter du haut du siège de l'ANEM de la ville. Las d'attendre d'être affectés à n'importe quel poste par l'agence, les jeunes hommes ne voient plus aucun recours pour se faire entendre. Quelques jours avant, le même désarroi pousse une dizaine de jeunes hommes à prendre d'assaut le siège de l'APC. Après s'être tailladés le corps, ils s'aspergent d'essence. Leur leitmotiv : «C'est soit le suicide, soit la mer». Et ils sont nombreux à choisir la harga, qui est, le plus souvent, synonyme de suicide. Car ce sont, besoin est-il de le rappeler, des centaines de barques qui s'aventurent quotidiennement en mer, «pour le meilleur», mais surtout pour le pire. Comble du cynisme et du mépris, les autorités ont concocté une batterie de mesures afin de pénaliser ce comportement suicidaire qu'est la harga.