En théorie, l'Algérie adhère à toutes les structures de défense de l'enfance, mais la réalité nous montre, quotidiennement, des cas de maltraitance insoutenables. Le petit corps sans vie d'une fillette de 10 ans gît sur la table d'autopsie. En plus d'un traumatisme crânien, provoqué par une chute mortelle, les lésions inscrites sur le cadavre sont anciennes ; elles témoignent du martyre enduré par la fillette, jusqu'à la mort, de la part de sa propre grand-mère. Entre autres brutalités, cette dernière lui tondra les cheveux, uniquement parce que l'enfant avait osé réclamer du shampoing. C'est un cas de maltraitance infantile insoutenable. Des 300 enfants qui sont passés par le service de médecine légale du CHU Benbadis, l'année écoulée, 40% étaient victimes de la violence du père, 30% de celle de l'enseignant et 30% de proches ou tierces personnes, dont la mère ; 175 parmi ces sévices sont d'ordre sexuel: attentat à la pudeur, actes pédophiles, viols, kidnapping suivi de viol collectif, attouchements (même sur des nourrissons) et incestes (une trentaine de cas sur les dix dernières années). Et c'est loin d'être exhaustif, car il reste le chiffre noir, celui des cas non dénoncés par peur de représailles, honte, calcul, chantage, etc. N'oublions pas non plus les infanticides: des nouveau-nés qu'on retrouve même dans les bennes à ordures et les fosses d'aisances; il y en aurait autour de 4 000 par an à l'échelle nationale. Dénoncer un parent ou un enseignant, c'est tabou «Autrefois, on pensait que l'enfant était la propriété des parents, et de fait ils pouvaient impunément le brutaliser; aujourd'hui, ça a changé en théorie, mais l'amère réalité est tout autre; c'est encore tabou de se plaindre d'un parent ou d'un enseignant», relève, à ce sujet, le médecin-chef du service de médecine légale au CHU Benbadis, Pr. Abdelaziz Benharkat. Ce dernier nous apprend que le mot maltraitance englobe aujourd'hui toutes les formes de sévices, aussi bien physiques que psychologiques; ils touchent, en moyenne, les enfants âgés entre 5 et 15 ans, dont beaucoup sont issus de couples divorcés. Abandonner son enfant, l'humilier, le négliger, le pousser à mendier, lui faire quitter l'école, l'exploiter, le laisser livré à lui-même… relèvent de la maltraitance. Selon notre interlocuteur, ce sont les traumatismes crâniens qui sont les plus fréquemment diagnostiqués par le médecin légiste, suivis des autres lésions, comme les brûlures. Les accidents domestiques sont également très répandus tels l'électrocution, l'intoxication médicamenteuse, l'étouffement par ingestion d'objets, les cas d'immersion accidentelle dans de l'eau brûlante, etc. Cependant, la plupart de ces accidents ne sont pas vraiment fortuits, car ils participent de la négligence grave, impliquant directement la responsabilité des parents. Les châtiments corporels à l'école, bien que formellement interdits par la loi, (v art.307 du code pénal) sont encore courants. «Le profil psychologique de l'enseignant violent détermine le fait qu'il s'attaque à tel élève, plutôt qu'à un autre ; tout est lié au vécu de la violence de l'adulte durant son enfance», affirme le Pr. A. Benharkat. Quelle est la position de la justice par rapport à cette violence ? Un magistrat nous fera savoir que toutes les lois sont faites pour protéger l'enfant, et l'Algérie les a toutes ratifiées. Mais leur application demeure tributaire de beaucoup de conditions, dont les structures d'accueil, qui sont quasi inexistantes dans notre pays. Alors, le plus souvent on ferme l'œil, allant jusqu'à replacer l'enfant sous la coupe même du parent incriminé pour maltraitance.