Abou El Kacem Echabi (1906-1934) est, sans conteste, le poète tunisien le plus célèbre. Le talent chez lui tient à la vigueur de la conviction patriotique, enfermée dans un vers martelé qui, même lorsqu'il charrie la boue et l'ordure, conserve un contrôle parfait de ses moyens techniques.Contemporain d'Abdellaziz Ethaâlibi, (1870-1944), le premier leader tunisien indépendantiste Abou El Kacem Echabi affirme, dans ses Chants de la vie (1) la légitimité de l'insurrection : «Sur notre pays soufflaient des ouragans, Les agresseurs s'en allaient, puis revenaient, ils tuaient des hommes, égorgeaient des enfants, Mais toi, Tunisie, ils n'ont pu t'abattre. Tous ceux qui ont voulu t'abattre, à tes pieds se sont effondrés.» Chantre de la liberté, animé d'un patriotisme voué corps et âme à son pays, Abou El Kacem Echabi a commencé à déclamer des poèmes dès l'âge de quinze ans. La situation de la Tunisie, mise sous protectorat français dès 1912, la misère de son peuple déjà martyrisé par les Turcs, nouveaux alliés des envahisseurs européens, avaient étreint le cœur du jeune poète. La montée du nationalisme tunisien fera le reste. Son Chant de la vie (2) traversa les frontières et le temps et devint le chant de tous les opprimés en Afrique et en Asie. Les poèmes d'Echabi apportent, par leur contenu, leur innovation et leur force convaincante, un sang nouveau au patriotisme traditionnel tunisien, ouvrant ainsi aux militants de la liberté un horizon plus vaste. Pour Abou El Kacem Echabi : «Si le peuple voudrait, un jour, vivre, le destin devrait se plier à sa volonté». Le vers, plein de «vérités révolutionnaires», deviendra tout de suite «proverbe», puis «mot d'ordre » de tous les indépendantistes arabes et musulmans. Pour ses concitoyens, Echabi est incontestablement le poète du nationalisme tunisien ; il a conçu et publié ses poèmes dans le feu de la lutte, et leur propagation s'est faite dans les années orageuses de la libération. «La révolution du jasmin» a revivifié les poèmes d'Echabi. Manifestement dans la rue, femmes derrière leurs persiennes, écoliers ou vieillards chantaient :«Quand la vie-même était moribonde, tu as respiré son dernier souffle, et établi le nouvel ordre du monde, tu as ainsi fait tout ce que fait un homme montrer du doigt le mal puis élever sa voix, crier, insulter… Tous ceux qui ont voulu t'abattre, à tes pieds se sont effondrés.» Echabi, en rupture de ban avec les conventions ornementales du style pseudo-classique, a chanté la vie, la révolte, la liberté comme il a chanté aussi la faune et la flore autochtones Chant des bergers dans un style nouveau pour son époque (les années 1920-1930). Son apport pour l'innovation de la poésie arabe a été considérable.
Note : 1- Décédé à 26 ans dans la misère 2- Son recueil Chants de la vie a été publié en 1936.