A l'instar des autres contrées du pays, les protestations de rue n'ont pas épargné, en ce début d'année, Béjaïa. Dans cette wilaya, où personne ne croit au taux de chômage de 10%, l'économie rentière peine à créer l'emploi stable et rentable. Selon un économiste de l'université de Béjaïa, le chômage est d'environ quatre fois plus élevé que le taux officiel. Et c'est peu dire. «Dans ma famille, personne ne travaille. Nous sommes quatre frères et sœurs au chômage», affirme un jeune, cuisinier nouvellement diplômé. Ce chômeur dit avoir déposé une demande d'emploi, le 19 octobre 2009, auprès de la Direction de l'action sociale (DAS). Dans cette wilaya qui compte près d'un million d'habitants, le chômage ronge la frange juvénile. Les jeunes ont le plus grand mal à trouver un emploi. Des pans entiers de la jeunesse sont livrés à l'incertitude face à l'avenir. Ils sont des milliers à n'être ni actifs ni étudiants. Ils sont tout simplement chômeurs sans aucun statut social. Ils ressentent un sentiment d'exclusion et de discrimination qui accentue leur fragilité psychologique. Sur un marché du travail mis à mal par une économie loin d'être productive, les jeunes ont du mal à s'insérer. Le chômage touche également les diplômés. L'université de Béjaïa compte 40 000 étudiants. Chaque année, des milliers de diplômés se bousculent aux portes des administrations en charge de l'emploi. Une licenciée en histoire dit cumuler depuis 2004 des emplois comme vacataire dans l'enseignement. «Etre vacataire, c'est la galère et l'instabilité», confie-t-elle. Dans l'enseignement, les demandes d'emploi se comptent par milliers, mais le nombre de postes budgétaires est dérisoire. Un nouveau diplômé en médecine vétérinaire relate avoir déposé une demande d'emploi dans le cadre du dispositif d'insertion des diplômés (PID), en octobre 2010. «J'ai eu le feu vert de l'APC pour travailler au sein du bureau d'hygiène. Mais je n'ai pas encore eu l'aval de la DAS», dit-il. La politique de lutte contre le chômage du gouvernement est basée sur plusieurs leviers. La fonction publique, le commerce et la micro-entreprise peinent à absorber les bataillons de sans emploi. Pour faire face à l'urgence, le gouvernement avait mis en place des dispositifs d'insertion dont la gestion a été confiée aux Directions d'actions sociale qui sont chapeautées par le ministère de la Solidarité. Mais ces dispositifs n'ont pour mission que d'offrir un primo-emploi aux chômeurs. Les emplois proposés sont dès lors loin d'être stables et correctement rémunérés. «10 505 jeunes ont été insérés, en 2010», affirme M. Fedala, Directeur de l'action sociale de Béjaïa. La DAS a eu un budget de près de 826 millions de dinars, en 2010, pour assurer le paiement des indemnités pour les jeunes insérés. Sur 17 000 demandes enregistrées dans le cadre du dispositif d'activité d'insertion sociale (DAIS), seuls 2046 jeunes ont été embauchés, soit un taux de 12%. Les jeunes insérés à la faveur de ce levier sont rémunérés à raison de 6000 dinars par mois. Qui peut vivre aujourd'hui avec 6000 dinars par mois ? Qu'à cela ne tienne, les collectivités locales et les administrations ont respectivement embauché 1 454 et 432 jeunes, 125 sans emplois ont été recrutés dans l'éducation, 27 dans la santé et 8 dans les entreprises. Une insertion précaire Les diplômés de l'université ne sont pas mieux logés. Alors que le nombre des demandes d'accès à la prime d'insertion des diplômés (PID) a atteint les 12 000, le quota alloué à la DAS de Béjaïa n'a pas dépassé les 1786 placements. Sur ce quota, seuls 128 postes ne sont pas encore affectés. Ainsi, seuls 14% des diplômés 2009 de l'université inscrits à la DAS ont été embauchés. Ce dispositif est dédié aux universitaires diplômés et techniciens supérieurs, âgés de 19 à 35 ans. Ce créneau a été créé en 2008 en remplacement de l'ancien contrat pré-emploi (CPE) visant l'insertion professionnelle. La durée d'insertion est une année renouvelable une seule fois. L'indemnité est fixée à 10 000 DA par mois pour les universitaires et à 8000 DA pour les techniciens supérieurs. Près de 8 postes sur dix ont été affectés aux femmes. «1017 universitaires ont été insérés dans les administrations, 7 dans les entreprises privées et aucun dans les entreprises publiques. 351 techniciens supérieurs ont été placés dans l'administration, 16 dans les entreprises publiques et privées», détaille la DAS. Le jeune diplômé peut bénéficier, dans le cadre de ce dispositif, d'une formation qualifiante dans les établissements de formation pendant une durée maximale de six mois, avec une indemnité de 2500 DA par mois. Mais la plupart des diplômés insérés dans le monde du travail disent vivre dans la précarité. Plusieurs années après leur entrée sur le marché du travail, la majorité des diplômés de l'université n'est pas employée à son niveau de compétence. Un autre levier d'insertion consiste en un lancement de travaux d'utilité publique à haute intensité de main-d'œuvre (TUP à HIMO). Dans ce cadre, 1492 jeunes ont été embauchés à la faveur de contrats de trois mois pour un salaire mensuel de 15000 DA. Dans ce créneau, 86 chantiers avaient été lancés en 2010 dans les secteurs de l'hydraulique, des forêts, des routes et dans l'entretien des écoles. Un autre dispositif dit «Blanche Algérie» a permis d'embaucher 231 sans emplois. Les jeunes sont insérés à la faveur de contrats fois 3 mois renouvelables. Enfin, le dernier dispositif dit d'Indemnité d'activité d'insertion dit (IAIG) a permis l'embauche de 4950 chômeurs. Ces derniers ont droit à un travail partiel d'une demi-journée par jour dans les collectivités territoriales et sont rémunérés à… 3000 DA par mois. Une rémunération d'une extrême précarité. Le ministère de la Solidarité dit avoir «interpellé son homologue des Finances pour valoriser ces indemnités». En attendant, la précarité gagne du terrain. Le système économique algérien est en deçà de la performance nécessaire pour permettre la création d'emplois suffisants pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail, et par ricochet induire une baisse d'un taux de chômage chroniquement élevé. Le chômage est régulièrement identifié comme l'une des principales faiblesses de l'économie algérienne. Régler cette question est un défi économique connu de longue date mais ceci est de plus en plus urgent.