Les différentes politiques suivies n'ont pas abouti à des résultats probants Tous les économistes le savent bien: le chômage en Algérie n'est pas dû à une insuffisante rentabilité des entreprises ou une demande solvable qui aurait besoin d'être ranimée par des mesures volontaristes. Il relève de facteurs économiques et sociaux très anciens, qui remontent à la période coloniale et qui sont de caractère structurel. Le chômage constitue une variable liée profondément à la nature des structures économiques et sociales de notre pays. Aussi bien, la question est posée de savoir si les dispositions de la LFC pour 2009 sont de nature à contribuer à la réduction du chômage dont le taux semble beaucoup plus important que celui donné par les autorités officielles (11,3% de la population active). Nature du chômage algérien Il faut savoir qu'en Algérie, le concept de chômage est plurivoque, ne serait-ce qu'en raison de l'existence d'un très important marché parallèle de l'emploi dans lequel sont impliqués directement quelque 2,5 millions d'Algériens. Il y a différentes catégories de chômeurs, le nombre de statuts des actifs est très divers, cependant que la frontière entre l'emploi et le sous-emploi reste poreuse. Le nombre d'actifs, qui possèdent un emploi stable et protégé (fonctionnaires compris), ne dépasse pas 2 millions de personnes. Des éclaircissements donnés par le ministre des Finances à l'APS, il ressort que pour lui le chômage est de type keynésien. Il suffit donc de mettre en place une croissance créatrice d'emplois qui se traduira, entre autres, par le développement des PME censées créer plus d'emplois que les grandes unités (ce qui n'a jamais été démontré), la réduction du coût du travail (essentiellement obtenue par la diminution de l'assiette des charges fiscales et sociales) et par la recherche de gains de productivité. Il est attendu de ces différences mesures que, simultanément, elles accroissent le revenu disponible des ménages et le niveau global de la dépense, alors que, paradoxalement, le ministre des Finances s'est ému du niveau atteint par l'endettement des ménages (qui représenterait quelque 100 milliards de DA), et qu'elles induisent logiquement des créations d'emplois. La logique keynésienne est effectivement à l'oeuvre puisqu'elle repose sur une politique budgétaire mettant en avant l'investissement public(infrastructures de base, équipements collectifs, etc.), la dépense publique (création d'un Fonds national d'investissement de 150 milliards de DA et fixation à 250 millions de DA du niveau de couverture des risques pour les PME) et d'une politique monétaire basée sur des taux d'intérêt en baisse et l'injection de liquidités importantes dans l'économie qui devront transiter par le circuit monétaire et seront gérées par les banques publiques (création de 48 fonds d'investissement). En réalité, le gouvernement part du postulat que l'ensemble de ces mécanismes vont favoriser la création d'emplois. Or, il est aujourd'hui avéré, grâce aux multiples expériences étrangères, et singulièrement celle de notre pays, que le remède keynésien ne peut produire de résultat positif que s'il est appliqué à des structures productives déjà créatrices de valeur ajoutée, de richesses et d'emplois durables et non à une économie rentière qui importe quasiment tout ce qu'elle consomme. Aussi bien, le défi qui est lancé aux décideurs est de favoriser l'émergence d'une économie productive et non pas seulement d'adopter des mécanismes venant corriger les dysfonctionnements supposés ou réels du marché de l'emploi. Ceci dit, il serait injuste de prétendre que les pouvoirs publics n'ont pas cherché à lutter contre le chômage, lié aux structures économiques. Mais les différentes politiques suivies n'ont pas abouti à des résultats probants, notamment les mesures prises en faveur de la défense de l'emploi: préservation des emplois menacés (notamment dans le secteur public économique et dans la Fonction publique), création d'emplois publics (notamment dans le domaine de la sécurité), développement de la formation professionnelle pour élever le niveau de qualification des salariés, lequel devrait être, aujourd'hui, le principal facteur d'intégration professionnelle, et donc, de réduction de la vulnérabilité au chômage. Deux autres pistes restent encore ouvertes qui n'ont pas été explorées suffisamment mais dont l'efficacité exigera du temps et surtout de la continuité dans l'action. Il s'agit, d'une part, des réformes de structure du marché du travail et d'autre part de la flexibilisation des structures économiques. Sur le premier point, force est de constater que le marché du travail n'est pas transparent, au sens où l'offre et la demande ne sont pas régulées par un service public de l'emploi efficace et suffisamment outillé. Il faudra sans doute renforcer les moyens de l'Anem et envisager une véritable déconcentration du service public de l'emploi. Ensuite, un marché du travail trop rigide, à cause d'une très faible mobilité géographique et professionnelle, restreint considérablement les disponibilités en main-d'oeuvre (de ce point de vue, la politique nationale d'aménagement du territoire lancée il y a trente ans est un échec intégral). Enfin, si l'offre de travail est liée au taux de salaire, force est de constater que le marché du travail ne propose guère de rémunérations incitatrices et que l'Algérie est bel et bien affectée par le phénomène de la pauvreté salariale(toutes catégories d'emplois réunies). Sur le deuxième point, qui est la flexibilité des structures économiques, elle constitue sans doute une réponse à l'augmentation du coût du capital et peut donner un coup de pouce aux entreprises ayant une vocation exportatrice. Ceci dit, la flexibilité revêt des formes différentes qui ont été expérimentées avec un succès inégal dans le secteur public économique: flexibilité interne, flexibilité fonctionnelle et surtout externalisation. Mais, d'une façon générale, la flexibilité n'a jamais eu des incidences macroéconomiques significatives sur les niveaux de l'emploi dans notre pays, même en application de la loi sur les relations de travail (avril 1990) qui assouplit pourtant les procédures de licenciement, institue le contrat à durée déterminée, l'intérim, le contrat à temps partiel et prévoit une période obligatoire d'essai, etc. Le marché informel du travail Nous avons dit plus haut que ce marché employait 2, 5 millions de personnes, mais il fait vivre quelque 15 millions d'Algériens. Il est certain qu'avec la réduction du volume des importations, ce marché sera considérablement affecté du point de vue des ressources qu'il génère. Une remarque préalable: le débat sur l'utilité économique du marché informel en Algérie n'a pas lieu d'être, puisqu'à la différence de pays comme la Chine, l'Inde, la Malaisie, le Vietnam ou encore le Brésil dans lesquels le marché informel a permis l'éclosion de PME innovantes et de start-up (entreprises en gestation notamment dans le secteur des technologies de pointe),le marché informel en Algérie prospère sur l'importation de biens de consommation dont la quasi-totalité, sinon tous, provient de la contrefaçon. Ceci dit, en diminuant le volume des importations, on diminue les niveaux de l'emploi dans le secteur informel et aussi la demande de biens qui se portait jusque-là sur les produits importés, jugés plus compétitifs que ceux fournis par les entreprises locales. Il n'est pas inutile ici de rappeler que le marché informel de l'emploi en Algérie est extrêmement composite. Il y a ceux qui s'y réfugient sitôt après avoir quitté les bancs de l'école, ceux qui ont quitté l'emploi formel essentiellement en raison de la faiblesse des salaires et de l'insécurité de l'emploi qui y prévalaient et enfin ceux qui disposent d'un pied dans le secteur officiel (généralement dans la fonction publique ou le secteur public économique) et un pied dans le secteur informel, grâce auquel ils arrivent à multiplier par 4 ou 5 leurs revenus, condition souvent nécessaire pour faire vivre toute une famille, construire une maison, envoyer ses enfants à l'école et constituer une épargne de précaution. Il n'est certainement pas question de minimiser le manque à gagner qui résulte de ce marché pour le Trésor public (fiscalité directe et cotisations sociales), pour les entreprises immatriculées au Registre du commerce (en termes de concurrence déloyale) et pour le consommateur (si tant est cependant que les biens vendus par les entreprises déclarées soient conformes aux standards minima imposés par la loi). On citera quelques chiffres illustrant l'importance de ce phénomène. Les revenus du secteur informel ont atteint une moyenne de 600 milliards de DA en 2008, mais en raison d'une baisse assez sensible de la consommation des ménages, ils seront sans doute de l'ordre de 450 milliards de DA en 2009. Les pertes cumulées par le Trésor public (TVA, IRG, IBS, cotisations sociales) s'élèvent à quelque 80 milliards de DA par an (chiffre obtenu en recoupant les données du FCE et celles d'autres associations patronales). Ceci dit, éradiquer le marché parallèle de l'emploi, ce dont aucune économie dans le monde n'a pu s'extirper (y compris les économies intégrées totalement au marché mondial: Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Pologne, etc.), pourrait constituer un danger majeur pour la paix sociale si une alternative sérieuse n'est pas proposée aux Algériens qui y travaillent et à ceux qui y vivent. Dès lors que le secteur public économique qu'on a laissé partir en charpie ne recrute plus, que les effectifs de la Fonction publique explosent et que les PME du secteur privé, en raison de leur taille, de leur type d'organisation et de la modicité des marchés qu'elles peuvent conquérir offrent peu d'emplois stables, il faudra aux pouvoirs publics faire preuve d'imagination pour que le chômage (qui existe à l'état endémique dans la tranche d'âge située entre 18 et 25 ans) ne prolifère pas davantage. Il existe quelques pistes de réflexion; on en citera deux. Il y a tout d'abord l'évaluation, aussi rigoureuse que possible, du manque à gagner que subissent le Trésor et les entreprises déclarées du fait de l'omniprésence du marché informel. Les montants récupérés au fur et à mesure de la disparition du marché informel (ce à quoi dit vouloir s'employer le gouvernement) doivent servir trois objectifs: recrutement des anciens travailleurs du secteur informel, priorité à une formation professionnelle adaptée aux besoins de l'économie (ce qui suppose au préalable que ceux-ci aient été fixés par l'Etat et les partenaires sociaux) et distribution de salaires décents (ce qui ne passe pas obligatoirement par l'augmentation du Smic). Autre piste: réfléchir à l'instauration progressive de l'épargne salariale, comme la prime d'intéressement ou la redistribution aux salariés d'une partie des bénéfices de l'entreprise. Pour lutter efficacement contre la pauvreté salariale (dénoncée, il y a encore peu, par le président du FCE), la seule solution, à terme, consisterait à faire obligation aux entrepreneurs d'accepter que les salariés détiennent un minimum du capital de l'entreprise. Evidemment, toutes ces questions doivent faire l'objet d'un examen attentif de la part des pouvoirs publics, de concertation étroite avec les partenaires sociaux, de sorte qu'aucune solution ne soit imposée unilatéralement. La viabilité de la croissance endogène Dès lors que le gouvernement a décidé de s'inspirer de la théorie de la croissance endogène (ce qui ressort en première lecture de la LFC), l'apport des finances publiques qui sera considérable en 2009 et 2010 ne consistera donc pas à répondre à la demande des ménages (comme le prouve la restriction du crédit à la consommation aux seuls biens produits localement) mais aux effets en retour des dépenses publiques sur les facteurs de production. En décidant de mobiliser ces dépenses (à travers également la création de nouvelles niches fiscales et de niches sociales), le gouvernement veut améliorer les facteurs de production. Rien ne dit que cette stratégie sera un succès, surtout si l'Etat ne parvient pas à dominer ses propres défaillances organisationnelles (y a-t-il oui ou non consensus au sommet de l'Etat sur l'utilité d'une stratégie industrielle?) ni à suppléer aux allocations sous-optimales des ressources du marché (les différentes régulations de marché sont quasiment inexistantes). Jusqu'ici et sans vouloir verser dans le pessimisme, toutes les dépenses publiques destinées à améliorer la productivité du travail et celles du capital sont allées alimenter un puits sans fond, qu'il s'agisse des dépenses d'éducation, des dépenses de recherche-développement et même des dépenses d'infrastructure. Il appartient au gouvernement de démentir cette sinistre loi d'airain. Mais d'ores et déjà, il se grandirait à procéder, d'ici juillet 2010, à une évaluation sans complaisance de l'impact de l'ensemble de toutes ces générosités financières sur le niveau de l'emploi, celui des salaires et celui de la qualification des travailleurs. A défaut de quoi, nous nous éloignerons encore un peu plus du pacte social interne promis par le président de la République pendant sa campagne électorale; ce qu'à l'évidence, la seule augmentation, fût-elle impressionnante, des dépenses de transfert, serait impuissante à faire éclore. (*) Professeur en droit des affaires à l'université d'Alger