Au moment où une folle rumeur annonce un changement de gouvernement imminent, des pans entiers de l'opposition et de la société civile multiplient les initiatives en plaçant haut leur plafond de revendications. De fait, loin de se perdre en conjectures sur la véracité de cet hypothétique remaniement, d'aucuns n'y voient, comme de juste, qu'un effet d'annonce destiné, s'il venait à se vérifier, à absorber la colère de la rue et tempérer les ardeurs d'une population en effervescence. Et alors qu'une partie de l'opinion prend en grippe les partisans du changement radical en leur signifiant : «Mais de quoi vous plaignez-vous ? L'Algérie n'est pas la Tunisie !» il ne serait pas inintéressant de sérier les revendications-clés de l'opposition et d'esquisser une plate-forme des exigences politiques et sociales qui font consensus au sein de la société, et qui font office de «fondamentaux» pour un SMIG démocratique. La plus consensuelle de toutes est sans doute celle ayant trait à la levée de l'état d'urgence. Instauré le 9 février 1992 officiellement pour gérer la situation d'instabilité politique née au lendemain de l'arrêt du processus électoral en janvier 1992, l'état d'urgence a déjà dix-neuf ans. D'aucuns estiment qu'il ne sert pas tant à lutter contre le terrorisme qu'à instaurer un ordre sécuritaire permettant de museler la société. Il convient de rappeler qu'une action de protestation d'envergure est prévue le 9 février prochain afin de porter haut et fort les revendications. Une autre exigence de taille : l'ouverture du champ politique de manière à desserrer l'étau sur les formations partisanes existantes mais aussi pour agréer de nouveaux sigles, dont nombre de formations «en souffrance» qui ont essuyé un niet catégorique de la part du ministère de l'Intérieur. Il en est de même du verrouillage du champ associatif et syndical, les syndicats autonomes ayant eux aussi toute les peines du monde à assurer leurs activités. Notons que de nombreux syndicats indépendants sont toujours dans l'attente de leur agrément. Autre revendication majeure : le respect des libertés individuelles et collectives. En ce sens, les graves atteintes aux libertés de culte et de conscience, comme cela s'est vérifié à l'occasion des procès faits aux non-jeûneurs ou encore aux personnes converties au christianisme, montrent combien ces libertés sont fragiles et restent à conquérir. Sur le plan collectif, l'interdiction de toute forme de protestation au sein de l'espace public a force de loi, désormais, au nom de l'état d'urgence justement. Cela est d'autant plus vrai pour Alger où toute manifestation de rue est systématiquement réprimée, comme l'illustre l'accueil qui a été fait à la marche avortée du RCD. Même chape de plomb concernant le droit de grève qui est régulièrement remis en cause. Aussi, les différentes plates-formes mettent-elles assidûment l'accent sur l'urgence de l'instauration d'un Etat de droit à même d'assurer le respect des libertés et des droits humains qui sont encore bafoués. Il en va de même pour la sauvegarde des droits sociaux des Algériens. La vague des immolations par le feu, qui sont en train de défrayer la chronique, est le symptôme suprême, si besoin est, de l'insoutenable précarité sociale de millions de citoyens. Dans ce listing non exhaustif et tout à fait minimaliste, nous ne saurions faire l'impasse sur une dernière revendication qui fait l'unanimité de quasiment tous les Algériens : l'ENTV. Nacer Mehal, le ministre de la Communication himself, a plusieurs fois exprimé ouvertement son exaspération devant la médiocrité de «sa» télévision. Mais au-delà d'une réforme de la télévision publique, c'est l'urgence de l'ouverture du champ audiovisuel aux initiatives privées qui s'impose. Avec la Corée du Nord, la Libye et quelques dictatures du même acabit, l'Algérie est encore l'un des rares pays au monde à ne disposer que de chaînes publiques. Dire que même «Zinochet» avait autorisé Nessma TV… Il tombe sous le sens que ces menues attentes ne sont que le prélude à une refonte radicale du régime. Une demande clairement exprimée, du reste, par de larges segments de l'opposition en appelant au départ pur et simple de l'équipe au pouvoir pour laisser la place à une nouvelle génération de dirigeants et, surtout, à un nouveau système de gouvernance.