Renforcer le mouvement de traduction est «la clef» du dialogue que les Arabes veulent renforcer avec le monde asiatique où vivent les deux tiers de l'humanité. Koweit De notre envoyé spécial Nous avons perdu beaucoup de temps, nous les Arabes, à regarder d'un seul œil le modèle occidental de développement», a déclaré le journaliste koweitien Brahim El Milifi, au deuxième jour de la conférence internationale sous le thème «Les Arabes se tournent vers l'Est», organisée à Koweit City, par la revue El Arabi. Pour lui, trop d'occasions ont été ratées. «A l'Est, en Asie, nous trouvons tout ce dont nous avons besoin. Il y a une table garnie où l'on peut se servir. A nous de savoir ce que nous voulons», a-t-il dit. Selon lui, l'expérience des tigres asiatiques (Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Philippines et Vietnam) est un exemple à suivre. «Surtout que ces pays ont su allier modernité et tradition. Leurs identités culturelles ne se sont pas occidentalisées. Les pays les plus ouverts demeurent toujours attachés à leurs patrimoine», a-t-il relevé. Même observation de l'historien libanais, Messaoud Dhaher, qui s'intéresse au Japon depuis plusieurs années. Il a regretté que la traduction des ouvrages soit presque à sens unique. «Autant les Japonais font beaucoup d'efforts pour traduire à l'arabe leurs travaux et en japonais ce que nous publions, autant on ne fait presque rien pour transmettre à l'arabe ce qui s'écrit au Japon», a-t-il noté. Il a cité les travaux de Saneki Nakaoka, Nabueki Nutahara et Takeshi Hayashi sur les évolutions culturelles, économiques et politiques du monde arabe. L'action intellectuelle des «arabistes» japonais est, selon lui, différente de celle des «orientalistes» occidentaux. «Les Japonais ont toujours cherché à comprendre le patrimoine culturel arabe et respecté nos valeurs», a-t-il noté. La crise pétrolière de 1973, qui a touché le Pays du Soleil Levant de plein fouet, a amené le Japon à s'intéresser davantage aux pays arabes, principaux exportateurs du brut. Saluant l'initiative des pays islamiques de bâtir «un pont du savoir» (djissrou el hikma) avec les Nippons, après un congrès tenu en 2009 à Koweit City, Messaoud Dhaher a observé que le dialogue entre le Japon et le monde arabe n'est pas équilibré. Cela est dû, selon lui, au fait que la renaissance japonaise est construite sur la recherche et la technologie, alors que dans le monde arabe les régimes autoritaires ne fournissent aucun effort pour consacrer l'usage des sciences. «Ils n'ont même pas su tirer profit du patrimoine arabe humanitaire ou travailler pour le consolider pour s'adapter à la mondialisation», a-t-il relevé. Le chercheur iranien, Samir Archadi, a estimé que la traduction demeure la clef pour comprendre l'autre. Il a remarqué que le nombre des centres qui s'intéressent au persan ou au japonais dans les pays arabes est encore faible. Seuls la Syrie, le Koweït et le Liban sont dotés de centres qui travaillent sur ces langues asiatiques. «C'est encore peu. En Iran, il y a beaucoup d'intérêt pour l'apprentissage de l'arabe. Cet entrain n'est pas le même dans le monde arabe», a-t-il noté. Samir Archadi a présenté la revue culturelle Shiraz, qui porte le même nom que la ville des arts et des lettres iranienne, publiée en arabe. Dirigée par le poète Moussa Beidedj, Shiraz publie des traductions des textes littéraires persans, afghans et tadjiks. «Il est évident que ces littératures voisines ont beaucoup de choses à partager. Depuis longtemps, les penseurs et savants iraniens viennent écrire leurs livres en arabe à Baghdad, Damas ou Le Caire. On s'est éloigné l'un de l'autre depuis que nos peuples se sont attachés à la civilisation occidentale», a souligné Samir Archadi. Il a regretté que le mouvement de traduction soit axé sur la littérature occidentale au détriment de la littérature de l'Orient. L'universitaire égyptien, Hassan Ismaïl, a plaidé pour le doublage des séries et des feuilletons arabes pour qu'ils soient diffusés dans les pays asiatiques, à l'image des «drama» turcs ou mexicains, traduits par les Syriens, et présentés par les télévisions arabes. Il a rappelé que par le passé des films égyptiens tels que Ouridou halan (Je veux une solution) a été traduit en mandarin. Le sinologue soudanais, Djafar Kerar Ahmed, a critiqué le manque de vision de la part des pays arabes dans leurs rapports avec la Chine. Ce grand spécialiste de l'Empire du Milieu est remonté dans le temps pour découvrir que les anciens Chinois avaient des relations commerciales soutenues avec la Cité de Méroé, capitale du célèbre royaume de Nubie (Nord du Soudan actuel). La présence de la céramique chinoise sur ces terres est, selon lui, le signe très fort de ces échanges. «Même la dynastie des Han était en contact avec le royaume de Kush au Soudan. L'arrivée des premiers colonisateurs occidentaux en Afrique et en Asie avait cassé ce mouvement», a-t-il relevé. Alors comment fructifier plus de 2500 ans de rapports entre les mondes asiatique et arabe ? Le débat est lancé...