Dar El Beïda (banlieue est d'Alger), 29 janvier. Effervescence militante à la Maison des syndicats où se tient en ce samedi après-midi une réunion de la commission technique issue de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie. A l'ordre du jour : la préparation de la grande marche du 12 février. Le conclave est présidé par Rachid Malaoui, SG du Snapap, tandis que le député RCD, Tahar Besbas, fait figure de modérateur. Les propositions fusent autour de la table. Logistique, itinéraire, mots d'ordre, slogans, plan média, rien n'est laissé au hasard par la commission. Sur la réunion plane l'ombre du «vendredi de la colère» et les manifestations insurrectionnelles qui manquent d'emporter l'Egypte de Moubarak. «Il faut garder à l'esprit qu'aussi bien en Tunisie qu'en Egypte, c'est le peuple et le peuple seul qui a pris les choses en main», martèle l'un des participants. Car une partie des débats a tourné, à un moment donné, autour de la «signalétique» de la marche et la charte des couleurs qui seront arborées. Et il était acquis que les couleurs et les fanions à caractère partisan devaient être occultés au profit de banderoles aux motifs rassembleurs. Il est également recommandé de décliner les slogans dans les trois langues (arabe, français, tamazight), et de lancer une large campagne de mobilisation sur facebook. «Maintenant que nous nous sommes entendus sur les contenus, les affiches et les banderoles seront confectionnées au niveau de chaque organisation», recommande Rachid Malaoui. Rabah Abdellah, du Comité national pour la liberté de la presse, lit le communiqué qui sanctionne la réunion. Celui-ci est vite érigé en «appel au peuple algérien». La marche du 12 février devra ainsi s'ébranler à 11h à partir de la place du 1er Mai en direction de la place des Martyrs. Elle s'articulera autour de mots d'ordre précis : démocratie, justice sociale, levée de l'état d'urgence, ouverture du champ politique et médiatique. L'assemblée retient, en sus, le principe d'introduire une demande d'autorisation, une manière de mettre le pouvoir devant ses responsabilités. La marche réprimée du RCD avait, objectivement, de quoi laisser perplexe. Pourtant, les animateurs de la CNCD ne semblaient à aucun moment intimidés par l'ostensible étalage de force du 22 janvier dernier. C'est ce qui ressort des propos de Tahar Besbas qui nous déclare : «L'initiative du RCD a permis au moins de mettre à nu encore une fois la nature du pouvoir comme il l'a démontré dans sa gestion de la marche du 22 janvier. Pour M. Besbas, les émeutes qui secouent l'Egypte «montrent que la machine de la répression n'a pas empêché les Egyptiens de continuer à manifester. De la même manière, la répression ne fait qu'accroître notre détermination à braver les interdits et à nous réapproprier les espaces d'expression et de liberté». De son côté, Abdelmoumen Khelil de la LADDH indique que la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme est engagée de plain-pied dans les préparatifs de la marche. «En ce moment même, il y a des jeunes qui tiennent une réunion dans les locaux de la Ligue pour préparer la marche du 12. Le représentant de la LADDH estime, par ailleurs, que «le soulèvement en Egypte et ailleurs marque l'affirmation des sociétés civiles arabes. C'est une dynamique historique des peuples». Pour sa part, Azouaou Hadj Hamou, ce manchot héroïque qui a perdu son bras gauche dans le feu de l'intifadha du 5 Octobre 88, et qui représentait l'association AVO88 au sein de la CNCD, est venu avec un message clair : retenir les leçons des événements d'Octobre. «Cela a été un immense gâchis : nous avons acquis 40% de liberté et le système est redevenu comme il était, voire pire. 480 morts pour une parodie de changement tandis qu'en Tunisie, 100 morts ont fait tomber le régime.»