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Le déchirant cri de de détresse des journalistes
La presse indépendante face à un pouvoir aux abois au Yemen
Publié dans El Watan le 31 - 01 - 2011

Les journalistes de la presse indépendante ont grandement contribué à la prise de conscience de l'opinion publique et de la société civile au Yémen sur le caractère dictatorial de la politique imposée par le président Ali Abdallah Salah. Il projetait d'amender la Constitution pour s'assurer une présidence à vie et introniser son fils comme seul successeur. Face à la colère de la rue, le président Salah a annoncé qu'il ne briguera pas la présidence à vie et n'imposera pas au Yémen un système dynastique. Avant ces événements, une délégation conduite par l'association mondiale des journaux (WAN-IFRA) a séjourné au Yémen du 7 au 11 novembre 2010 afin de constater de visu les multiples contraintes dans lesquelles vivent les journalistes et les médias indépendants.
Sanaâ (Yémen)
De notre envoyé spécial
L a presse indépendante au Yémen n'obéit ni aux critères ni aux standards internationaux. Elle ne doit son existence qu'au volontarisme ou à l'entêtement de ses fondateurs, des hommes issus pour la plupart de la presse gouvernementale, qui se sont inscrits dans l'opposition au régime en place, avec l'avènement de la démocratie et du pluralisme politique au début des années 1990. L'euphorie du début de l'ouverture démocratique, avec un foisonnement de titres et une liberté de ton, impensable il y a quelque temps, a laissé place à l'incertitude et à la précarité. Les changements politiques intervenus dans le pays, avec la mainmise totale du parti au pouvoir sur les institutions élues, notamment le Parlement, conjugués à la crise économique, ont amené le régime de Ali Abdallah Salah à durcir le ton vis-à-vis de la presse indépendante et partisane. Une presse trop encline à dévoiler des affaires de corruption qui éclaboussent plusieurs dignitaires du régime, dont des proches du président de la République, Abdallah Salah.
Un arsenal juridique des plus répressifs sera bientôt mis en place. Une délégation conduite par l'Association mondiale des journaux et éditeurs de presse (WAN-IFRA ) et composée de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), de l'Internationale Media support (IMS) et de l'ONG de défense des droits de l'homme a séjourné du 7 au 12 novembre 2010 au Yémen afin de toucher du doigt la réalité de la presse indépendante et partisane. Nous ferons notre enquête en tant que délégués de WAN-IFRA, aux côtés de Rodrigo Bonilla, Andew Heslop (Wan-IFRA), Mounir Zaarour (FIJ), Cynthia Cardenas (article 19) et Anti Kuusi (IMS). Première étape de notre démarche, le syndicat des journalistes, contrôlé en principe par des journalistes de la presse gouvernementale, mais qui demeure actif grâce à un noyau d'«activistes» de la presse privée et partisane. Nous sommes reçus au siège du syndicat, au centre de la ville de Sanaâ.
Les trois plaies du yemen
En l'absence du président, notre homonyme, Yacine El Messaoudi, c'est le vice-président, Saed Thabet, journaliste à El Djazeera, qui a dirigé les débats. D'emblée, nous apprenons que la presse yéménite, qui compte quelque mille cinq cents journalistes, connaît une situation dramatique, du fait d'un pouvoir aux abois face à la montée de l'islamisme armé, incarné par Al Qaîda, à l'apparition récente d'un mouvement séparatiste au Sud et à la rébellion menée par des tribus zaydites (chiites) au Nord. Huit publications ont été suspendues jusqu'à présent pour avoir traité de manière imprudente l'un de ces trois sujets, parmi lesquels le grand quotidien d'Aden, El Ayyam.
Plusieurs journalistes ont été interpellés, torturés et jetés en prison pour avoir écrit des articles jugés favorables à la nébuleuse islamiste d'Oussama Ben Laden, parmi lesquels Abdul Illah Haïder Shaâ, qui a été condamné à cinq ans de prison ferme après une parodie de procès. La communauté internationale assiste, les bras croisés, à ce déni de droit, apparemment tétanisée par les accusations de complicité avec Al Qaîda, un mouvement islamiste armé contre lequel les pays occidentaux et la majorité des Etats arabes sont en guerre. Seules quelques ONG internationales des droits de l'homme et de la liberté de la presse s'activent pour attirer l'attention sur les multiples entorses aux droits des journalistes yéménites. Sans grands résultats. Hamdi El Boukari, Djamel Anaâm, Mohamed Chebita, Saed Thabet et Merouane Damadj, journalistes de la presse gouvernementale privée et partisane sont pourtant unanimes pour dire qu'il y a une grande menace sur la liberté d'expression au Yémen.
De nombreux faits sont relatés pour étayer leurs propos. Même le tribalisme est évoqué comme une sérieuse entrave à la liberté de la presse, à l'exemple de ce chef de tribu qui a opéré une descente dans les locaux d'un journal avec plusieurs hommes armés en guise de représailles, ou de cet autre potentat local qui a saisi tous les exemplaires du journal à la sortie de l'imprimerie, avec l'aide de ses barbouzes. Il s'est aperçu plus tard que l'article qu'il appréhendait ne le concernait pas. La délégation de WAN-IFRA a noté lors des débats un véritable cri de détresse des journalistes qui travaillent dans des conditions épouvantables pour un salaire de misère et sans couverture sociale. Certains touchent à peine plus que le smig. La presse privée ou partisane ne paie pas, à l'opposé de la presse gouvernementale ou des chaînes de télévision du Golfe, telles que El Djazeera. Même certains éditeurs n'arrivent pas à boucler leurs fins de mois et sont au niveau de leur publication au bord de la faillite. Plusieurs éditeurs de titres ont d'ailleurs mis la clé sous le paillasson .
L'échec du syndicat
Le lendemain, la délégation reçoit un certain nombre d'éditeurs et de correspondants de presse, toujours au siège du syndicat à Sanaâ. Radjeh Hussein Badie, Sadek Nader, Samir Gaber, Mahassine Al hathri et Nashwan Al Sumeiri, ont affirmé, certains avec quelques nuances, que le pouvoir incarné par le président Ali Abdallah Salah veut absolument régenter la presse et la mettre au pas, sous couvert d'une nouvelle loi sur l'information qui sera bientôt débattue au Parlement. Le syndicat des journalistes a tenté de faire endosser par le Parlement une mouture proposée par un mouvement associatif (ce qui est permis par la loi), apparemment sans succès. La tentative a été pratiquement enrayée par un autre mouvement associatif proche du pouvoir qui a élaboré un avant-projet de loi qui a toutes les chances d'être adopté par le gouvernement et le Parlement. L'un des initiateurs de cet avant-projet n'est autre que le directeur général de l'agence officielle Saba, Nasser Taha Mustapha. Il nous a reçus chez lui avec la délégation de Wan-Ifra, dans l'un des quartiers les plus sécurisés de Sanaâ, là où sont situées la plupart des ambassades occidentales.
Nasser Taha était en compagnie des directeurs généraux de la Télévision et du journal gouvernemental El Thawra pour une «quat party». Rodrigo et Mounir tentent l'expérience, mais n'arrivent pas à avoir les joues aussi grosses que nos confrères yéménites. La consommation de cette drogue, devenue un fléau au Yémen, ne les empêchera pas de suivre les débats pour tenter de comprendre la situation kafkaienne dans laquelle se trouve la presse. Selon Nasser Taha, cette nouvelle loi va mettre fin à l'anarchie et au désordre provoqués par une disposition constitutionnelle qui permettait à tout Yéménite, quels que soient son sexe, son rang ou son niveau d'instruction, de créer sa propre publication afin d'exprimer son opinion en toute liberté. Aucun texte n'est venu mettre en pratique cette disposition de la Constitution, laissée à l'appréciation de l'administration.
Selon nos interlocuteurs, des aventuriers de toutes sortes, et même des analphabètes se sont engouffrés dans cette faille pour créer des publications qui ne font pas honneur à la corporation. Nos interlocuteurs évitent de dire qu'à côté de ces «flibustiers de la presse», il y a des professionnels qui triment et souffrent pour faire paraître leur «feuille de chou». Ils sont de toute évidence mis dans le même sac et risquent de faire les frais de la nouvelle loi en préparation. Cependant, ces hauts cadres de la communication perdent leur assurance lorsqu'il leur a été évoqué le cas de Abdel Illah Haïder Shaâ. Aucun d'eux n'arrive à expliquer comment le droit a été bafoué, car Haïder Shaâ n'a fait que son travail de journaliste. Pas même son employeur, Taha Mustafa, qui connaît bien Haïder et qui ne croit pas du tout qu'il puisse appartenir à l'organisation terroriste Al Qaîda. «Quelque chose nous échappe», nous lancera l'un d'eux, visiblement embarrassé par le sujet.
Embarras
L'embarras était tout aussi visible sur le visage du ministre de l'Information, Hassan Ahmed El Louzi, qui a reçu la délégation de Wan-Ifra. En homme de loi (le ministre est détenteur d'une licence en droit), il n'a pas de réponse au fait que Haïder ait été séquestré en secret pendant trente-cinq jours avant d'être présenté au parquet. Il ne sait quoi répondre au fait que le micro portable de Haïder ait été produit comme pièce à conviction, alors que celui-ci lui a été dérobé au mois de juillet, lorsqu'il a été kidnappé par des inconnus puis relâché trois jours après. Le ministre affirme ne rien connaître sur ce cas précis et s'engage à demander plus de précisions à son homologue de la justice. Ahmed El Louzi sera également mis dos au mur à propos du projet de loi sur la réorganisation du secteur de l'Information.
Le ministre assure que le syndicat des journalistes a été consulté et les propositions qu'il a suggérées ont été prises en compte. Une affirmation qui fera sursauter la journaliste yéménite et collaboratrice de Anti Kussi, Dhikra. Etant membre du syndicat, elle n'a jamais entendu parler d'un quelconque débat autour du fameux projet de loi. Et de demander au ministre l'identité des journalistes qui ont été consultés. Ahmed El Louzi citera avec aplomb les noms des journalistes pro-gouvernementaux, tels que Yacine El Messaoudi et Nasser Taha Mustafa. Dhikra retenait difficilement sa colère, car aucun journaliste de la presse privée ou partisane n'a été associé par le gouvernement. Pour nous, c'est du déjà-vu. Le Yémen s'inspire de l'expérience algérienne dans les coups tordus contre la presse.
Vers la fin de notre séjour, nous ne pouvions pas quitter le Yémen sans visiter la grande ville d'Aden, l'ancienne capitale du Yémen du Sud avant la réunification. Dès notre arrivée, nous nous sommes vite rendu compte qu'il fait nettement plus chaud qu'à Sanaâ, au point où Rodrigo et Andrew n'ont pas hésité en soirée à piquer une tête dans une mer plate. Un instant de bonheur que ne sont pas près d'oublier ces deux jeunes journalistes engagés dans la défense de la liberté d'expression et de la liberté de la presse.
Le lendemain matin, un policier en civil zélé nous a empêchés de sortir de l'hôtel sans autorisation de l'administration. Un coup de téléphone de Dhikra et tout rentra dans l'ordre. On savait auparavant qu'une chape de plomb s'est abattue sur Aden et tout le territoire de l'ancien Yémen du Sud, depuis qu'un mouvement sécessionniste est né et s'active sur le terrain. Les services de sécurité filtrent tout, y compris les déplacements des étrangers. Le climat politique et social est lourd. On le perçoit notamment au siège local du syndicat des journalistes qui menace ruine, où nous avons rencontré des journalistes et des éditeurs indépendants. Les conditions de travail et les salaires sont nettement moins favorables qu'à Sanaâ. Les journalistes ont l'impression d'appartenir à un second collège, quand ils ne se sentent pas des sous-citoyens. Ce sentiment de frustration a pratiquement pris naissance avec la fermeture, il y a deux ans, du grand quotidien El Ayyam qui employait plus d'un tiers des journalistes et affichait plus de cinquante mille exemplaires par jour. La couverture quasi quotidienne par le journal des activités du mouvement pacifique sécessionniste du Sud n'a pas été du goût des autorités à Sanaâ, engagées sur deux fronts : Al Qaîda et la rébellion des Zaïdites (chiites). Sept autres publications ont été suspendues également pour «atteinte à l'unité nationale».
Les traces de l'assaut donné il y a deux ans contre le siège d'El Ayyam au centre de la ville d'Aden sont encore visibles. Les impacts de balles de kalachnikov sont encore là pour rappeler qu'il y a eu une forte résistance des vigiles contre les forces de l'ordre. La mort d'un policier va encore aggraver la situation du propriétaire du journal, Hicham Bechraheel, auprès de la justice. Il sera libéré quelques mois après pour des raisons de santé. Hicham nous reçoit dans un petit bureau au rez-de-chaussée. Dans un anglais parfait, il nous a exposé la situation d'une entreprise de presse considérée comme l'un des fleurons de la presse yéménite, que le pouvoir en place a décidé de détruire de manière arbitraire. Après deux années de suspension, la rédaction d'El Ayyam s'est inexorablement vidée de ses meilleurs journalistes. Selon Hicham, aucun autre titre n'a réussi à prendre la place d'El Ayyam, surtout pas ceux créés par l'administration ou par des aventuriers qui discréditent la profession, à l'exemple de ce négociant en vins et liqueurs à qui l'on a donné l'autorisation de créer un journal au mépris de tout bon sens. La délégation a terminé sa mission d'information sur la situation de la presse au Yémen.
Une situation des plus déplorables, plusieurs fois dénoncée par des ONG internationales, mais qui subsiste grâce à la complicité de certains Etats occidentaux, notamment les USA, principal soutien économique et militaire du régime de Ali Abdallah Salah. Le huis clos imposé à la société yéménite vise à cacher les multiples entorses aux droits de l'homme et les atrocités commises contre les populations civiles au nom de l'unité nationale et de la lutte antiterroriste. C'est l'intime conviction de la plupart des citoyens de cette partie du Moyen-Orient que nous avons rencontrés. Le vent de la révolte commence à souffler sur le Yémen.


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