La dixième édition du Forum social mondial (FSM) 2011 a commencé ses travaux dimanche après-midi à Dakar (Sénégal). Dakar ( Sénégal) De notre envoyé spécial Ils étaient près de 60 000 militants alter+mondialistes à battre le pavé dans les grandes artères de la capitale sénégalaise pour dire aux dirigeants de la planète qu'un autre monde, plus juste voire meilleur, est encore possible. Quoi de plus normal que d'entamer cette 10e édition par une marche de protestation qui s'est ébranlée du siège de la Radio Télévision du Sénégal (RTS) vers l'université Cheikh Anta Diop, qui accueille le forum, sur près d'une dizaine de kilomètre. Couleurs bigarrées, slogans hostiles au monde capitaliste et aux multinationales, ces milliers de participants ont bravé un soleil de plomb pour crier leur colère d'un monde injuste dans toutes les langues. L'ambiance festive et carnavalesque par endroits ajouter au rythme des chants et danses auront rythmé ce grand moment de communion mondiale de ceux qui se sentent à l'écart du développement. Et pour une telle démonstration de force, les altermondialistes ont accueilli en guest-star, le président colombien Evo-Morales, qui, chaussé de trainings marrons, a lui aussi sué comme toute la foule tout au long du parcours. Pas loin de lui, on pouvait apercevoir le porte- parole du Parti socialiste français, Benoît Hamon, marcher l'air plutôt joyeux. Sa patronne, Martine Aubry, elle, a abandonné l'épreuve juste après les premières centaines de mètres. La chaleur était en effet telle qu'il était difficile pour les habitués des salons parisiens et des plateaux télé de tenir. Mais le FSM est un rendez-vous social annuel vital à honorer pour les politiques qui veulent montrer leur ancrage à gauche pour subjuguer les «masses». Mais depuis la première édition à Porto Alegre, au Brésil en 2001, le FSM semble tomber dans le spectacle et le ronron. A Dakar en tout cas, on a pas l'impression que la ou les causes défendues sont partagées par tous les déçus de la planète. Pis encore, on assiste même à une répression de ceux qui ne partagent pas les combats douteux de certaines parties. En territoire conquis Tout le monde a vu, en effet, comment une grappe de militants sahraouis qui a pu passer entre les mailles de la police marocaine pour venir ici à Dakar, se faire encercler par les envoyés spéciaux de sa majesté, en pleine marche pour «éteindre» leurs voix et cacher leurs drapeaux. Ce fut un comportement odieux à voir dans une manifestation censée rassembler tout le monde quelle que soient leurs couleurs ou leurs origines. Mais «l'armée» de 600 personnes dépêchée par les autorités marocaines ici à Dakar a tout fait pour étouffer la voix des sans-voix sahraouis. A eux seuls, ils constituent un bon pourcentage de l'ensemble de participants au 10e forum alter mondialiste. Conscient de l'importance d'une telle tribune mondiale pour prêcher la «bonne parole» du Sahara «marocain», le Maroc a investi en force ce royaume de la protesta. Drapeaux diffus, pancartes, affiches et autres banderoles sont bruyamment agités par des centaines de Marocains, tout au long de la célèbre avenue Malick, au centre de Dakar. Et pour mettre un peu d'ambiance, et bien sûr narguer les Sahraouis, ces militants associatifs «makhzenisés» entonnent à tue-tête des chants à la gloire du roi. Il est du reste facile à deviner que les Marocains se sentent ici au Sénégal parfaitement chez eux, en ce sens que ce pays, pour des raisons économiques, épouse leur «cause». Et cet alignement trop marocain du forum se voit aussi au niveau des stands d'exposition où les drapeaux du royaume trônent quasiment partout dans les coins et recoins de l'université Cheikh Anta Diop. Cela frise carrément l'envahissement et la récupération d'un événement censé être une tribune internationale pour les causes consensuelles. Et pour cause, même dans les ateliers, il est difficile pour les 60 000 autres participants venus du Brésil, de Cuba, d'Europe, d'Asie et même d'Australie, de pouvoir placer un «mot» face à la déferlante thématique marocaine. Algérie, les seconds rôles... Tout se passe comme si les maux de l'humanité se résumaient aux Sahraouis, et qu'il suffirait aux altermondialistes de soutenir la colonisation marocaine pour que le monde soit meilleur. C'est pousser jusqu'à la caricature l'idée répandue ici à Dakar y compris dans les travaux des ateliers où l'on croirait que les thèmes ont été choisis à Rabat ou à Casablanca. Morceaux choisis : «Dynamisme de la femme sahraouie, leader dans le domaine associatif, économique et politique pour conforter l'attachement des femmes marocaines du Sud à la patrie, le Maroc». Ou encore, «La femme sahraouie depuis la marche verte» et le «Rôle des conseils municipaux dans le développement humain dans la région du Sahara et au Maroc». Un «rôle» qu'on a pu voir de près lors des événements de Gdeim Izik. Cela étant dit, et pour apporter la contradiction à cette propagande marocaine, un atelier devait se pencher hier après-midi sur le thème : «Le Sahara occidental : la dernière colonie africaine». La petite délégation sahraouie d'une trentaine de militants compte bien exploiter cette occasion pour se faire entendre en compagnie des acteurs associatifs algériens, présents ici à Dakar. Mais il y a visiblement un déséquilibre des forces en présence. Les quelque 30 participants algériens ramenés par le CNES ne pourront même pas croiser les mots avec cette mystérieuse association des Marocains victimes d'expulsion arbitraire en Algérie (AMVAA) qui répand sa littérature dans le journal officiel du forum. C'est dire qu'en matière de lobbying dans ce genre de forum, l'Algérie est très loin du compte. Si le Maroc a pratiquement conquis l'Afrique noire, l'Algérie paraît ici dans un continent étranger, loin des salons du NEPAD et de l'Union africaine que le Maroc ignore depuis longtemps. Cela veut tout dire.