Face à la révolution démocratique, les régimes arabes autocratiques ont-ils le temps de se sauver par des mesures économiques vigoureuses ? La réponse n'est pas univoque. En Libye, Kadhafi, qui n'est pas le plus menacé aux dires des spécialistes, a débloqué 28 milliards de dollars d'un coup uniquement pour un programme de logements. C'était entre la fuite de Ben Ali et la chute de Moubarak. A chaque pays son tiroir caisse. En Algérie, des APC recrutent vite à 12 000 DA mois. Des réserves budgétaires. Air Algérie a fait plus fort, et dans le préventif. Son PDG a annoncé, sans sourciller, qu'il a recruté plus de 1000 agents parmi les enfants des employés de la compagnie. Le recrutement factice, l'extension du champ de la subvention des prix, replonge l'Algérie par touches successives dans le modèle économique gaspilleur des années Chadli. D'avant la chute du prix du brut de 1985. Efficace dans le court terme pour apaiser les tensions ? Il y a fort à douter que non. Les frustrations sont trop grandes. Les colères trop nombreuses. Et surtout, le climat est en train de virer à la défiance. Première conséquence perceptible dès le mois de février, l'Algérie ne réalisera pas un grand cru de croissance en 2011. Pas de ceux qui permettent de résorber en partie le chômage des jeunes, d'élever le niveau des revenus hors salaires des fonctionnaires et de réduire les poches géantes de pauvreté dans le pays. La faute à quoi ? Dans le doute tout le monde s'abstient. Les investisseurs souvent les premiers. En Algérie, cela correspond à une tendance ascendante. «Le Maghreb, plus l'Egypte, est la région qui comptabilise le taux le plus élevé de sortie illicite de capitaux», révèle Global Financial Integrity (GFI), un organisme américain. L'enquête porte sur la période 1970 à 2008. L'Algérie, la Libye, le Maroc, la Tunisie et l'Egypte ont collectivement perdu plus de capital par habitant que tout autre groupe de pays africains. «Entre 2000 et 2008, l'Algérie, à elle seule, a exporté illicitement 13,6 milliards de dollars, soit 1,7 milliard de dollars par an», estime le GFI. L'argent du privé, des particuliers ne misent que partiellement sur le potentiel du pays. Les revenus des «affaires», de la corruption, et surtout de l'évasion fiscale, sont exportés. Les bourgeoisies arabes jouent contre leurs Etats. Elles affaiblissent leur propre camp. En ne mettant pas toutes leurs forces au service de la croissance. Dans le cas algérien, les parties les plus représentatives du patronat ont soutenu le troisième mandat de Bouteflika. Tout comme elles avaient soutenu le second. Aujourd'hui, elles s'expriment par divers canaux pour dire combien il devient difficile de faire épanouir son business, de participer à la croissance du pays, dans le carcan administratif actuel. Omar Ramdane, président d'honneur du FCE et partisan connu en son sein du «profil bas politique», vient encore de l'admettre lors d'une conférence à Oran. La création rapide et massive de nouvelles richesses par le secteur privé ne viendra pas à la rescousse du pouvoir politique en 2011. C'est un contrecoup implacable de la politique engagée en 2008 de confinement de l'expansion du privé national et étranger. La crise politique va aggraver le trait. L'évasion de capitaux observée par le GFI va s'accélérer dans le monde arabe. Exploser en Algérie. En attendant, des Etats de droit qui garantissent l'autonomie des acteurs de marché et de leurs engagements. L'Etat est incapable de déployer au pas de charge une politique économique de sauvetage. Le privé n'en a pas envie. Que va-t-il arriver alors ? Un entre-deux délétère ou un pouvoir politique affaibli de semaine en semaine, va aligner les mesures budgétaires de paix sociale pour ne pas avoir à laisser monter la population un jour sur des chars à la place du 1er Mai. A bien regarder, le coup d'envoi d'un développement économique fort, qui apporte la dignité aux désespérés des années Bouteflika, est suspendu au début d'une transition politique sérieuse. Face aux deux décisions d'ouverture politique, les mesures d'urgence sociales occupaient 90% des décisions du Conseil des ministres du 3 février. Mauvaise proportion. Mauvais diagnostic.