Le président Bouteflika est dans la plus mauvaise passe politique depuis juin 2001 et le printemps noir en Kabylie. Il a choisi de répondre par le budget de l'Etat à la colère populaire qui monte. 300 millions de dollars de manque à gagner sous forme de suppression de taxe et impôts pour soutenir le prix de l'huile et du sucre. La mesure a été pensée dans la nuit du vendredi 7 au samedi 8 janvier. Elle s'ajoute à une série d'autres : lait, blé dur, mieux réfléchies, qui ne profitent pas de la même manière au consommateur final, mais qui, dans tous les cas, fait envoler les montants du soutien au prix en Algérie. Le ministre du Commerce, dans un élan de clairvoyance, en arrive à demander l'ouverture d'un débat national sur la subvention des prix. Ce n'est pas la première fois que le président de la République recourt lourdement au budget de l'Etat pour solder une situation. La charte de la réconciliation nationale était vendue à l'opinion avec un chèque de dédommagements aux parties victimes. Mais sans traitement politique de la chronique de la guerre civile. Le procédé, répétitif, est coûteux. Masqué par les hauts revenus de Sonatrach depuis 2005. L'achat au pied levé d'une parcelle de paix sociale ne peut pas remplacer une politique économique qui génère de l'intégration sociale. Dans la crise actuelle, le président de la République n'a plus le temps de la déployer. L'Histoire s'est emballée. Le temps économique est long. Il est celui de la planification. Pris dans la tempête montante de Sidi Bouzid, l'ex-président Ben Ali a promis 50 000 emplois dans la région. Puis 300 000 postes dans le pays. Pas le temps de mettre en œuvre. Les ripostes budgétaires à la crise sociale sont coûteuses, peu efficaces dans le court terme. Des Algériens se sont immolés par le feu après la baisse du prix de l'huile et du sucre financée par le contribuable. Ce n'est pas le cas des réponses politiques. Le rétablissement des libertés publiques, la levée du carcan sur l'activité politique, et sur l'audiovisuel n'impliquent pas de nouvelles dépenses. Elles sont d'effet immédiat. Permettent-elles de résoudre la crise ? Tout devient alors une question de timing. Si les réformes politiques arrivent suffisamment tôt dans la réponse à la crise, elles ont une chance de faire émerger d'autres réponses à la détresse sociale et à la désorientation des plus précaires. Elle remettent la créativité du politique aux manettes. Si elles sont annoncées un soir de couvre-feu, alors que la fumée monte déjà des immeubles officiels, comme c'était le cas pour le siège du PND vendredi soir, pendant le discours du président Hosni Moubarak, alors il est trop tard. Pour tout le monde. La leçon de la révolution victorieuse en Tunisie et en marche en Egypte est, du point de vue du pouvoir, qu'il ne sert à rien d'engager des réformes économiques ou d'acheter des trêves sociales, lorsque le verrouillage politique, la dictature dans le cas tunisien est devenu la cible implicite de la révolte. L'espace temps a changé. L'économique n'est plus la réponse. Les émeutes algériennes du 5-9 janvier posaient-elles implicitement la question du pouvoir ? Il faudrait sans doute attendre les suivantes pour savoir. Entre temps, le président de la République a répondu que non. Pas de problème politique, uniquement un petit désordre des circuits de distribution. En 2008, le bassin minier de Gafsa s'était soulevé pendant tout l'été pour des revendications sociales. Ben Ali a durement réprimé, a pris des mesures locales. Mais a jugé que la question politique n'était pas posée. Le président Bouteflika va sans doute se séparer de Ahmed Ouyahia. Ce ne sera pas la première fois. Il va promettre des emplois, des logements, de la couverture sociale. Ce ne sera pas non plus la première fois. La clé de la croissance forte, du développement social, est à portée de main de l'Algérie. Pas dans cette configuration politique. Pas sous les régimes autocratiques. C'est le message de ce janvier lumineux pour les peuples. Eux l'ont bien compris.