-Malgré les différentes formules mises en place par le gouvernement (Ansej, CNAC, DAIP), le problème de l'emploi se pose toujours avec acuité. Où se situent les lacunes ? Les causes du déséquilibre entre l'offre et la demande d'emploi sont multiples. Cette posture économique ne résiste pas toujours à l'analyse. Les autorités ont misé plus sur la lutte contre le chômage – un indicateur encore mal cerné en Algérie. On a voulu faire baisser le taux de chômage qui traduirait ainsi la réduction de l'écart entre l'offre et la demande. Cette prouesse «statistique» a produit les résultats qu'on connaît, à savoir améliorer l'image de l'économie algérienne. Force est d'admettre aujourd'hui que le marché de travail fonctionne dans l'opacité totale. Du point de vue de la demande, d'abord, il y a la pression démographique sur le marché du travail est intense, non seulement avec beaucoup de primo-demandeurs (des nouveaux arrivés sur le marché) mais aussi on peut observer un changement des comportements d'activité féminine (de plus en plus de femmes se présentent sur le marché). Puis il y a une forte déperdition scolaire. Cette dernière contribue aussi à «orienter vers la vie active» (selon la formule classique) une masse importante de jeunes, garçons et filles, sans aucun diplôme sur le marché du travail… Ensuite, il y a les exigences de cette demande aussi qui ne sont pas aisées à satisfaire, bien que beaucoup de demandeurs affirment être disponibles et révisent leurs exigences à la baisse. La demande présente aussi des qualités diverses avec ou sans niveau. Enfin, il existe une très forte disparité spatiale de l'emploi, ne serait-ce qu'entre les villes et le monde rural. Du côté de l'offre, elle est caractérisée par de faibles capacités de création d'emplois durables. Entre 2007 et 2010, 50% des emplois nouveaux sont temporaires et seulement 26% des salariés permanents, selon les résultats de l'enquête emploi de l'ONS, le reste étant constitué des employeurs et des indépendants. Il y a manifestement un déficit d'emplois décents. Les différents dispositifs ne peuvent résoudre à eux seuls l'équilibre entre l'offre et la demande sur le marché du travail. Outre ces dispositifs, les autorités ont aussi adopté certaines mesures financières pour encourager la création d'activités et d'emplois. Force est de reconnaître que l'effort de l'Etat n'a pas donné les résultats escomptés quant à une bonne évolution des opportunités d'emploi. Les emplois générés par les dispositifs actuels ne sont pas aussi tous des emplois permanents – une part infime est stabilisée dans des emplois durables avec un salaire décent. Les mesures actives (créations d'activités) peuvent apporter des emplois durables, toutefois il est à craindre aussi que les micro-entreprises génèrent aussi des emplois temporaires. Ces dispositifs ne peuvent pas être supprimés parce qu'il y a beaucoup de personnes qui s'y sont déjà engagés. Cependant, ils doivent être maintenus jusqu'à extinction. On ne peut pas les reconduire d'année en année. Il faut progressivement les amener à disparaître et à faire émerger une politique nationale de l'emploi dans laquelle il n'y aurait qu'une seule agence. Actuellement, il y a plusieurs intervenants et même le ministère des Affaires religieuses s'implique dans la création de micro-entreprises à travers l'argent de la zakat. Pourquoi ne pas réunir tout ce beau monde et faire une politique nationale. -Si nous admettons que le gouvernement doit réviser ou modifier sa politique de l'emploi, quels seront les nouveaux fondements et les nouvelles exigences ? Mais il n'y a jamais eu une véritable politique de l'emploi. Depuis toujours, l'optique stratégique a été celle de la lutte contre le chômage. La préservation et la promotion de l'emploi sont deux concepts peu développés. Les données actuelles n'indiquent aucune amélioration de la qualité de l'emploi existante. Au contraire, il y a une très forte poussée de l'emploi précaire, sous-qualifié et mal rémunéré. On a développé le sous-emploi en fragilisant les populations les plus vulnérables. La trève observée par les partenaires sociaux, autour du pacte national, n'a pas produit les résultats attendus. Une révision de la stratégie actuelle (plutôt sectorielle) vers l'élaboration d'une politique nationale de l'emploi est indispensable. Tous les secteurs doivent contribuer à la création de la richesse et à la création d'emplois de qualité. Certes, les dispositifs servent encore à réduire les tensions, mais ne peuvent contribuer à établir durablement l'équilibre sur le marché du travail. Certes, dans les économies développées, les dispositifs d'insertion sont de rigueur. La crise de l'emploi étant un phénomène universel. On ne peut faire l'économie d'une véritable politique nationale de l'emploi. L'optique idéale serait de fixer des objectifs de création de travail décent et de pouvoir le mesurer en fin de programme avec l'implication de l'ensemble des acteurs économiques et les partenaires sociaux. Dans une récente étude sur l'emploi des jeunes (2009), nous avons observé aussi une absence de politique en direction des jeunes, au sens onusien du terme. Les 16-24 ans restent la catégorie qui émarge le moins aux dispositifs actuels, outre celui de la formation professionnelle. Les sortants de la formation, avec ou sans diplômes, sont confrontés à maintes difficultés pour une insertion durable sur le marché du travail.25% des jeunes qui ne sont ni à l'école, ni en formation et qui ne cherchent même pas à travailler. Ce sont pour moi des cas désespérés parce qu'ils ne savent pas quoi faire. -Le gouvernement est-il aujourd'hui contraint de laisser proliférer l'informel pour combler les lacunes de sa politique ? L'informel n'est pas un phénomène nouveau en Algérie. L'Algérie coloniale, tout comme celle des années dites «socialistes», fonctionnait avec un segment d'activités informelles. Sa croissance a été accélérée ces dernières années avec un volume de plus en plus important d'indépendants et de salariés qui échappent à l'impôt, qui ne contribuent pas au système de protection sociale et qui exercent des activités dans des conditions de travail anormales… Ce segment mobilise actuellement toutes les catégories sociales – enfants, jeunes, femmes, personnes âgées et adultes. S'il a été toujours en Algérie une bouée pour les catégories sociales défavorisées, l'économie informelle est à présent investit aussi par un large pan des couches moyennes tout comme des couches aisées de la société. Même les professions dites nobles sont actuellement informalisées, tels les médecins, les architectes, les avocats, les enseignants… Le niveau des salaires n'explique que partiellement le recours à des activités informelles mais il n'explique pas tous. Ce phénomène dépasse l'économie nationale. Au niveau des frontières, les narcotrafiquants sont régulièrement interceptés à l'Ouest, le trafic des carburants à l'Est est aussi une réalité observable, dans le sud du pays, le Marlboro Connections est devenu légende. Dans les ports maritimes, des containers de produits contrefaits, prohibés ou illicites trouvent encore des complices malgré l'effort des douanes pour endiguer ce phénomène. Les porteurs de cabas trouvent aussi régulièrement des sorties dans les aéroports. Il existe ainsi un réseau international qui anime les activités informelles. L'informel est là et l'Etat ne peut rien faire contre. Il a tenté par tous les moyens d'agir selon les modes répressifs. Il y a une incapacité de l'Etat à répondre à cette catégorie sociale. Je pense que l'Eta va laisser faire parce qu'il ne peut pas leur donner du travail. Mais, il va quand même tenter d'organiser ce secteur comme ça se fait partout dans le monde.