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Que fait-on de l'université algérienne ?
Publié dans El Watan le 03 - 12 - 2005

Suite aux déclarations du ministre de l'Enseignement supérieur faites la semaine dernière, la réflexion de Ali Bahmane, dans la rubrique « Commentaire » du quotidien El Watan du jeudi 17 novembre 2005, a très bien résumé l'état de l'université algérienne.
Passons encore sur certaines causes occultées, comme l'absence de politique de motivation des enseignants ou leur marginalisation par les autorités politiques de ce pays, mais l'auteur synthétise très bien la situation actuelle et les causes y afférentes et confirme bien l'impression générale, à savoir que « la descente aux enfers a commencé vers la fin de la décennie 1970, lorsque le pouvoir politique a intensifié la répression de la pensée moderne et tolérante et encouragé les visions islamo-baâssistes, sur fond d'afflux massif des étudiants ». Cette montée en masse des étudiants a profondément modifié le mode de gestion de l'université algérienne et sa façon de concevoir ses enseignements et ses modes d'évaluation et progression pédagogique. A une demande composée de jeunes gens et de jeunes filles mal préparés, ne maîtrisant pas le code de communication usité dans les amphithéâtres, les autorités ont répondu par une offre de moindre qualité, en aménageant les exigences à la baisse et en recrutant des enseignants souvent peu qualifiés, et parfois même médiocres. Et aujourd'hui, le ministre de l'Enseignement supérieur fait un constat comme un simple citoyen, alors qu'il ne l'est pas, à partir d'une idée reçue où il veut rejeter l'incapacité du marché du travail à absorber les diplômés sur la seule responsabilité de l'université. Il affirme ainsi que « nous n'arrivons plus à les placer (les diplômés) sur le marché du travail et que les secteurs d'activité nous reprochent de ne pas mettre à leur disposition des diplômés qualifiés ». Il aurait été souhaitable de parler d'inadéquation entre les deux entités, sachant que le marché du travail a aussi sa part de responsabilité, une grande part de responsabilité. D'abord, parce qu'il n'est pas conforme, n'ayons pas honte de le dire, aux règles et mécanismes classiques d'une économie de marché. Ensuite, parce que les besoins de nos entreprises ne sont jamais clairement définis et les aptitudes et compétences recherchées nullement identifiées. Il suffit pour cela de lire les annonces pour le recrutement dans nos sociétés pour comprendre que la gestion des ressources humaines est une fonction défaillante des organisations. Le marché est ainsi incapable de prévoir les emplois de demain. De plus, il ne faut pas se voiler la face, mais il est triste de rappeler que les principaux critères de recrutement qui ont sévi à ce jour sont le copinage, le « clanisme » et le tribalisme. Dans toutes les organisations, le facteur humain revêt une importance essentielle, et un recrutement par « piston » peut nuire à l'efficacité et l'efficience de l'entreprise. Mais là est déjà un autre problème... Ainsi, les diplômés universitaires chômeurs sont, malheureusement, le produit d'une situation globale, économique et sociale, dégradée, que les décideurs et hommes politique algériens refusent de voir, et où les secteurs de l'éducation et de l'enseignement supérieur, parents pauvres, ont sûrement leur part de responsabilité. Pourquoi alors ces discours et ces constats de nos hommes politiques et je pense aussi au ministre de l'Education nationale, qui parle de sanctions envers les responsables des institutions de l'éducation, mais oublie qu'il préside aux destinées de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur depuis plus d'une dizaine d'années, et donc sa responsabilité est totalement engagée dans la situation actuelle et les résultats catastrophiques des différents examens(1), alors que, d'une part, ces faits et analyses sont avérés depuis une vingtaine d'années, et de l'autre, on ne voit aucune décision franche, cohérente, aucune avancée notable poindre à l'horizon. Pour preuve, la réorganisation des enseignements, dupliquée sur le système anglo-saxon, et intitulée LMD, patauge, parce qu'elle est mise en place par mimétisme, sans conviction, et sans tenir compte des spécificités de l'environnement et de la culture nationale. Le ministre, premier responsable du secteur, a révélé que la Commission européenne a bloqué son aide à l'université algérienne pour l'année prochaine compte tenu de ses réserves sur l'application de la réforme. Le ministre parle « d'absence de lisibilité de notre système de formation ». L'Union européenne reproche également aux autorités algériennes leur retard dans la mise en place de l'enseignement LMD(2). Que fait-on alors pour remédier à ces défaillances chroniques ? Je suis certain que si une réflexion commune ne vient pas soutenir une action régulière qui fusionne le courage et la prudence, les années qui viennent verront régulièrement des convulsions à l'université. Comme d'autres acteurs et observateurs de la situation universitaire, je me demandais ces dernières années quand est-ce que, l'Etat, fort de ses prérogatives, prendrait les choses en main, pour mettre en place un système qui valorise le mérite et la compétence et permettre ainsi aux enseignants-chercheurs de s'épanouir dans leur milieu professionnel. Et pourquoi pas, sortir l'université du marasme dans lequel elle végète. Depuis, un des actes de replâtrage les plus sensibles décidés et mis en place ces dernières années a été l'augmentation substantielle du budget de la recherche, effort consenti pour se rapprocher un tant soit peu des standards internationaux, liant ce budget au PIB. Mais à côté de cela, il n'y a eu aucune définition claire des objectifs à atteindre et aucun suivi effectif des résultats. Les évaluations ne sont que quantitatives, et la qualité est absente de tout critère d'appréciation. La recherche, malheureusement, n'est que « diplômante », n'irrigue pas les enseignements et ne prend pas en charge les problèmes concrets qu'exige le développement de notre pays. Et comme d'autres acteurs universitaires, j'ai essayé de comprendre pourquoi une démotivation criarde emplit les effectifs enseignants. Comprendre pourquoi les premiers responsables n'ont jamais mis en place les conditions, qui amèneront les enseignants-chercheurs à travailler avec acharnement et à donner le meilleur d'eux-mêmes, et qui soient contiguës à des mécanismes de contrôle et de régulation. Pourquoi n'y a-t-il pas une politique de motivation clairement affichée et formalisée ? Ainsi, la motivation implique nécessairement que les besoins individuels se montrent compatibles et cohérents avec les objectifs organisationnels. Or dans la hiérarchie des besoins, telle que définie par A. Maslow, l'enseignant universitaire algérien, avec une rémunération dérisoire (rapportée au coût de la vie), n'arrive même pas à satisfaire ses besoins primaires et physiologiques convenablement et décemment. Et les décideurs doivent comprendre que les besoins insatisfaits ou bloqués exercent une influence négative sur les attitudes et les comportements au travail. Quand on sait que pour la même fonction, les autorités de notre pays s'apprêtent à payer les étrangers(3) qui seront (ou sont ?) recrutés, dix fois plus que les autochtones que nous sommes, oui dix fois plus, excusez du peu, alors on comprendra pourquoi même les motivations intrinsèques, existantes chez beaucoup d'enseignants algériens, s'altéreront et se désagrégeront aussi vite que se ramassent les feuilles mortes en cet automne. Et un sentiment d'iniquité et d'injustice planera dans les amphithéâtres... Ceci étant dit, je voudrais revenir sur cette notion d'adéquation formation-emploi, très à la mode par les temps qui courent où l'ombre de la mondialisation plane, pour préciser que la mission première de l'université est de donner du savoir et de la connaissance, et de décerner ainsi des diplômes. Et pour aboutir à cela dans les meilleures conditions possibles, il est nécessaire d'avoir un enseignement de qualité qui doit, en plus de l'instruction qu'il transmet, de la rigueur qu'il doit véhiculer, apporter un état d'esprit, de la méthode et un socle complet de concepts de base qui permettront aux diplômés de s'insérer le plus rapidement et le plus efficacement dans le monde professionnel, à savoir :
Apprendre à observer les objets et les ensembles immobiles et en mouvement dans un but de synthèse pour mettre en évidence le rôle et le pourquoi des liaisons. Cette aptitude à l'observation doit porter également sur le comportement des hommes en société et dans le milieu professionnel.
Apprendre à conduire un projet ou une recherche, même basique, avec une méthodologie appropriée.
Développer le sens de la réflexion et les aptitudes à traiter les grandes questions conceptuelles.
Rendre familier le raisonnement logique pour permettre le jugement et le choix.
Développer le bon sens pour pouvoir aborder des problèmes même en dehors de son domaine de compétence.
Développer la curiosité et le sens critique et les maintenir toujours en éveil pour tout ce qui enrichit l'esprit.
Susciter la prise de responsabilités.
Favoriser le développement de l'esprit d'initiative et de l'imagination créatrice et développer en toute circonstance la sensibilité.
Provoquer et organiser le travail en équipe et le faire aimer.
Améliorer la communication orale et écrite. De la sorte, les connaissances doivent être mises à la portée de tous et l'enseignant doit faire plus d'efforts pour ceux qui ont le plus besoin de lui, ceux qui ont le plus de difficultés à apprendre. Il faut aussi que chacun de nous fasse en sorte pour mettre les étudiants en confiance, puisque qu'il est avéré que la confiance est un facteur clé de la réussite. Et la confiance, moteur de la motivation et du succès se construit grâce à un certain nombre de pratiques : l'encouragement systématique à prendre la parole devant les autres étudiants, l'apprentissage de l'écoute et du respect mutuel. Et c'est à partir de là, en réinventant la pensée moderne et la tolérance en Algérie, en inculquant aux futurs diplômés la liberté de penser et l'esprit critique, qu'on aspirera au repos bien mérité, puisque la satisfaction du devoir accompli et la certitude d'avoir formé les scientifiques et citoyens de demain, qui s'inséreront sans difficulté dans le monde socioprofessionnel, nous conforterons dans les choix que nous aurons faits, les voix nouvelles que nous aurons ouvertes ainsi que les convictions et les principes que nous aurons défendus.
Notes de renvoi :
1) Il est aussi utile de rappeler, suite à un article de M. Aït Ouarabi paru dans le quotidien El Watan du jeudi 4 août 2005, qu'il a été constaté que même les résultats du bac, tels que annoncés par le ministère de l'Education nationale, sont frappés du sceau de l'inexactitude et de l'incohérence, sans que personne s'en émeuve !
2) Samia Lokmane « L'UE bloque son aide », Liberté du 16 novembre 2005, n°4001, Algérie.
3) Pour éviter toute mauvaise perception de mes écrits, je voudrais dire que je n'ai rien contre l'arrivée d'enseignants étrangers, surtout si on arrive à drainer des compétences avérées qui maîtrisent la langue d'enseignement, et qui se satisferont des mêmes rétributions...


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