Un parfum d'union pour un Maghreb des peuples et de liberté a jeté ses effluves sur une salle Atlas renouant après de longues années de tintamarre, avec l'activité politique. Le meeting populaire auquel le Front des forces socialistes (FFS) a appelé hier a résonné comme la renaissance d'une lutte politique longtemps étouffée, confinée, réduite à sa plus simple expression du fait de lois liberticides. Une lutte qui reprend son terrain de prédilection qu'est le contact avec le peuple. Le meeting était prévu à 14h30, mais la salle Atlas accueillait déjà ses invités militants bien plus tôt. A 13h, la salle est pratiquement pleine.Des militants attendent dehors dans l'espoir de pouvoir rentrer. A l'intérieur, il est difficile de se frayer un chemin. La salle Atlas, avec ses 3000 places, semble bien exiguë pour pouvoir contenir toute l'assistance. Le service d'ordre a bien du mal à ouvrir un chemin pour céder le passage aux invités du FFS. Avant même leur arrivée, la salle est chauffée par des slogans scandés et criés en chœur par une foule avide d'espace d'expression. Comme sortant d'un étouffoir, ces milliers de voix, refusant de se suffire de petits décibels, se lancent dans la quête d'une force militante capable de briser le mur du silence et casser la barrière dressée par le pouvoir pour empêcher d'entendre la voix du peuple. Le public montre sa soif de crier sa colère, lui qui a longtemps été privé de parole et de rassemblements. «On en a marre de ce pouvoir», «Le peuple veut la chute du système», «Pouvoir assassin», «Le FFS yella, yella» ou «Le FFS est là et restera», «Si L'hocine mazelna Mou3aridhine… Si L'Hocine on est toujours des opposants», «Commission d'enquête internationale», «Bouteflika, Ouyahia houkouma irhabia», «Pouvoir régional, FFS national», sont les slogans d'hier, mais qui résonnent toujours avec autant d'énergie. Accusée d'être un symbole à la solde du pouvoir, l'équipe de la Télévision nationale est chassée par l'assistance. Les familles de disparus s'installent au-devant de la salle en brandissant des photos de fils et de filles dont le sort reste toujours un mystère. 14h30, le meeting débute. Le ton maghrébin est donné par le FFS à ce premier rassemblement populaire à Alger depuis 2002. Les trois drapeaux, d'Algérie, du Maroc et de la Tunisie, ornent la scène et, pour cause, des représentants de partis politiques maghrébins sont les invités d'honneur du plus vieux parti de l'opposition. On peut d'ailleurs lire sur les banderoles affichées ce cachet maghrébin que revêt ce meeting. Après avoir écouté avec le respect religieux qui leur ait dû, les hymnes des trois pays et observé une minute de silence à la mémoire de toutes les victimes pour la démocratie, algérienne, tunisienne, marocaine et libyenne, les invités du FFS ont tour à tour pris la parole pour dire l'urgence de la lutte pour un changement pacifique et solidaire. Khalil Ezzaoui, représentant du parti tunisien Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDLT), Hamid Djemahiri de l'Union socialiste des forces populaires (USFP) du Maroc, Mustapha Labraïmi du Parti du progrès et du socialisme du Maroc, et Ahmed Bouazzi du Parti démocrate progressiste (PDP) tunisien, ont plaidé pour une Union d'un Maghreb des peuples démocratique et libre. Le printemps démocratique, qui souffle sur les pays arabes et ceux du Maghreb, a semé les graines d'une union des peuples maghrébins épris de justice et de liberté. «Aujourd'hui, c'est l'ensemble des pays de la rive sud de la Méditerranée qui se mettent en mouvement pour changer leur présent et pour assurer leur avenir. Les événements qui se déroulent en Tunisie, en Libye, en Egypte, au Bahreïn, au Yémen et ailleurs montrent que les peuples veulent et peuvent vaincre», tonne de prime abord Karim Tabbou, premier secrétaire du FFS. Il affirme que «les choses bougent autour de nous, malgré les apparences les choses bougent même chez nous». Le même responsable de ce parti estime que face aux bonnes volontés et à l'incertitude de certains, le FFS considère qu'il faut que les Algériens réapprennent à se parler. «On balance entre l'idée que nous allons bouger simplement parce que le monde bouge et l'impression que le changement ne nécessite pas forcément notre implication à tous. Il y a ceux qui croient qu'il suffit d'une chiquenaude pour faire tomber les murs de la citadelle et cueillir le pouvoir, ses milliards, ses milices, son armée et ses services de sécurité. D'autres encore sont convaincus qu'à elles seules, les nouvelles technologies tracent la voie royale vers le changement. Et enfin ceux qui pensent qu'il est impossible aux Algériens de se remettre des traumatismes.» M. Tabbou souligne en guise de voie choisie par son parti : «Pour nous, nous considérons comme prioritaire la reconstruction du lien entre les Algériens. Ce qui a été détruit pendant les deux dernières décennies en Algérie c'est ce lien dans la vraie vie de tous les jours. Même les liens virtuels qui existent dans d'autres sociétés se tissent dans des sociétés elles-mêmes vivantes, structurées et bien réelles.» Le PS du FFS estime par ailleurs que les Algériens ne doivent pas rester en dehors des bouleversements en cours dans le monde : «Nous devons peser de toutes nos forces, en tant que société, pour que le processus historique en cours soit une occasion pour le peuple algérien de renaître à la liberté, à la démocratie et au progrès.» Et de tonner : «Chers amis, il ne suffit pas de capter le changement sur les chaînes satellitaires, il faut le construire.» A la question comment construire le changement, M. Tabbou répond : «D'abord sortir de l'exclusion et de l'émeute. Pour que le pays sorte des impasses de l'exclusion avec son lot de violences, d'incompétence, de prédation et de décomposition sociale et politique, il faut la levée de tous les obstacles à la libre organisation et la libre expression, la levée du dispositif répressif des libertés publiques, associatives, syndicales.» L'orateur indique que l'insurrection que veut le FFS est «celle de l'intelligence, celle des consciences et des volontés. Le FFS sait que les forces du changement existent, elles sont là où sont les Algériens. Elles ont besoin de liberté pour s'exprimer, se rencontrer et s'organiser. Et c'est dans l'exercice citoyen effectif que s'opèreront les décantations». Avant l'intervention du premier secrétaire du parti, la parole a été donnée à d'autres invités du FFS. Ainsi le président de la Laddh, Mostefa Bouchachi, Hamache Samia, responsable d'une association pour la protection des enfants, Meziane Karim et Karim Aymoul, étudiants, Fatma Boucharef, mère de disparu, et un ancien du FFS de 1963, ont tous pris la parole, exprimant chacun dans son domaine son combat quotidien pour une Algérie libre et démocratique. Tous ont eu droit à un tonnerre d'applaudissements.