Les caméras de la Télévision nationale sont devenues, aujourd'hui plus qu'hier, indésirables auprès des forces d'opposition ou de contestation. Au moment où le pouvoir tente de faire accréditer, aux yeux de l'opinion internationale, la thèse selon laquelle l'ouverture du champ médiatique – on parle bien sûr des médias lourds – est une réalité bien ancrée chez nous, le refus catégorique de se faire filmer ou de discuter avec les journalistes de l'Unique prend de plus en plus la forme d'une action militante de parasitage, porteuse d'un message politique, pour contrer les faux alibis du système. Ainsi, après les représentants du RCD, qui avaient interdit aux caméras de l'ENTV d'approcher leur député blessé lors de l'une des marches organisées à Alger par la CNCD, après ceux du FFS qui avaient également opposé leur veto lors de leur meeting à la salle Atlas d'Alger, ce sont les étudiants qui, à leur tour, n'ont pas accepté que la télévision algérienne vienne fourrer son nez dans leur sit-in tenu devant le siège de l'enseignement supérieur et sont allés même jusqu'à chasser des lieux son équipe. Il ne s'agit pas là d'une mesure arbitraire qui peut paraître comme discriminatoire, mais bien d'une attitude réfléchie, de la part de l'opposition, par laquelle celle-ci tient à montrer que les images et les séquences que l'Unique veut rapporter du terrain de la contestation font d'une manière ou d'une autre l'objet de manipulations. Dans l'esprit des forces politiques et sociales, qui se soulèvent contre le système et qui se mobilisent pour un changement radical, le travail d'information de la Télévision nationale, auquel elles ont droit, n'est jamais objectif. L'Unique est tout simplement qualifiée «d'outil de propagande et de média diffamatoire» par les étudiants, attribution peu glorieuse qui fait l'unanimité chez toutes les forces d'opposition lesquelles, pour faire entendre leur voix, préfèrent encore s'ouvrir aux médias étrangers. Au moins avec ces derniers, on est sûrs que nos messages ne sont pas déformés, dit-on. A l'évidence, notre télé, réduite à une vulgaire caisse de résonance, tout comme les deux chambres parlementaires, paye désormais le prix fort de ses élucubrations qui commencent d'ailleurs sérieusement à gêner aux entournures les dirigeants de ce pays qui, visiblement, n'arrivent pas à trouver la bonne formule pour la rendre plus acceptable. Les Algériens qui ont, en tous cas, quelque chose à dire contre le système actuel de gouvernance ne lui font plus confiance. Incapable de se mettre à hauteur des enjeux actuels, incapable aussi de réformer sa vision sur la société, elle s'obstine donc à perpétuer un mode de communication qui ne fait plus recette puisqu'elle n'est plus seule dans la compétition médiatique. Paradoxalement, au lieu d'être encore plus sévère contre la médiocrité qui continue de transparaître de notre petit écran, contre notamment les formes sournoises de manipulation de l'activité multiforme qui provient de l'opposition, le ministre de la Communication ne trouve pas mieux que de louer les efforts accomplis par l'ENTV dans son travail d'information, lui décernant ainsi des satisfecit purement formels qui résonnent comme autant d'encouragements aux partisans de l'inertie. Quand par exemple l'Unique continue de diaboliser de manière outrageuse les marches pacifiques pour décourager les militants de la démocratie à venir investir nombreux la rue, ou lorsqu'elle organise un pseudo débat sur les revendications des étudiants, mais sans la participation de ses vrais représentants, on se demande où sont ces efforts que le ministre est seul à percevoir. Il y a là matière, en revanche, à réfléchir sur la déconnection totale de ce média que même les directives du président de la République n'ont pas réussi pour l'heure à recentrer. Aux intentions d'ouverture pluraliste et de démocratisation prônées par les hautes instances, Nacer Mehal saisit l'opportunité pour rappeler que les télévisions privées ne sont pas à l'ordre du jour et qu'«avec notre télé, nous sommes capables de nous ouvrir sur nous-mêmes». Le signal est clair : même s'il éprouve la nécessité de rendre l'Unique un peu plus fréquentable en s'attaquant aux questions de forme et non de fond, ceci comme gages donnés aux défenseurs de la liberté d'expression, le pouvoir ne lâchera jamais un instrument de propagande et de manipulation aussi efficace qui d'ailleurs demeure sa force de frappe la plus redoutable face à des mouvements de contestation de plus en plus complexes à maîtriser. L'image la plus saisissante de cette semaine est celle qui montre le vieux défenseur des droit de l'homme, Ali Yahia Abdennour, face à un policier qui lui demande de reculer : «Nous ne reculerons pas. Nous sommes là pour nos enfants, pour leur laisser la liberté et la démocratie…», lui répond-il. Plus le pouvoir se raidit, plus la contestation s'amplifie. Plus la Télévision nationale s'enfonce dans ses contradictions, plus elle se couvre de ridicule…